Foals
Everything Not Saved Will Be Lost - Part 1
Produit par Foals, Brett Shaw
1- Moonlight / 2- Exit / 3- White Onions / 4- In Degrees / 5- Syrups / 6- On The Luna / 7- Cafe d'Athens / 8- Surf Pt. 1 / 9- Sunday / 10- I'm Done with the World (& It's Done with Me)
On ne va pas se mentir, cet album-là, on l’attendait de pied ferme. En un peu plus d’une décennie, Foals a réussi à s’imposer sans problème comme l’un des groupes de rock majeurs de sa génération - certes pas vraiment gâtée, la pauvre - en sublimant sa matrice math-punk dansante au gré d’albums qui n’ont fait qu’ajouter des pierres de plus en plus solides quoique différentes à un édifice discographique qui commence à avoir une sacrée gueule. Dernière prouesse en date, What Went Down tentait le hold-up intégral sur la scène anglaise voire, soyons fous, mondiale, emportant haut la main la palme de l’album de l’année lors des Albumrock Awards 2015 côté rédaction. Plus frontal, plus mainstream, plus costaud également que ses grands frères, WWD a marqué les esprits, et si son plébiscite critique ne s’est pas à ce point propagé dans tous les médias du monde - car oui, Foals est hype, mais la hypitude connaît maints ténors -, il nous a au moins assurés que nous avions affaire, avec les Poulains de Yannis Philippakis, à une valeur aussi forte que sûre. Et ce n’est pas ce Everything Not Saved Will Be Lost – Part 1 qui fera mentir ce constat.
Oui, Part 1, car cela n’aura échappé à personne, il n’y aura pas qu’un seul disque de Foals en 2019, mais deux, la seconde livraison étant d’ores et déjà attendue (d’un pied tout aussi ferme) le 20 septembre. Si l’annonce d’un double album en deux parties aurait auparavant eu de quoi faire grincer quelques dents - bah oui, il faut passer deux fois à la caisse -, on est devenu nettement plus tolérant avec ce genre d’artifice depuis que la musique ne vaut, eh bien, depuis qu’elle ne vaut plus rien, n’est-il pas. D’ailleurs ici, le laps de six mois séparant les deux réalisations en question a plutôt de quoi intriguer, car en toute honnêteté, le carré d’Oxford a pris un peu tout le monde à contre-pied, secouant les habitudes d’écoute, intriguant, chamboulant des auditeurs qui peuvent se sentir déstabilisés après un What Went Down nettement plus accessible. On sent ici que Foals a pris le temps de construire une œuvre certes moins directe mais beaucoup plus cohérente, loin de la dispersion et du grand foutoir des thèmes habituellement soulevés par le chanteur d’origine greco-sud-africaine.
L’urgence climatique se voit ici prise à bras le corps, et l’univers onirico-futuriste de Philippakis, autrefois déconnecté de toute réelle préoccupation sérieuse, se pare d’atours visionnaires forcément glaçants quand on sait les projections dramatiques que certains scientifiques n’hésitent pas à avancer quant à l’avenir de notre planète bleue. “Exits” donne le ton : “Now the sea eats the sky / But they say it's a lie / And there's no birds left to fly / We'll hide out / The weather is against us / We build houses underground / And flowers upside down / In our dreams”. Climat détraqué, montée des eaux, ghettos souterrains, disparition des espèces, et ailleurs pluie noire, dunes de sable autour des villes, cités en flamme, robots devenus fous… le futur dressé par le barbu à mèche flanque les chocottes. Mais Foals ne joue pas les donneurs de leçons, mis à part un (tout petit) coup d’aiguillon à Trump pour son climato-scepticisme. D’ailleurs tout le monde est coupable, y compris les jeunes, cf “Sunday” et ces strophes : “We don't give a damn / 'Cause we got all our friends right here / We got youth to spend”. À la fin ne subsistent que des regrets, le conclusif et désabusé “I’m Done With The World (And It’s Done With Me)” égrenant un pathétique “And all I wanna do is get out of the rain / An autumn day, an autumn day”. Le narrateur, se languissant d’un plaisir aussi simple qu’une pluie d’automne, finit par se retrouver à genoux dans son jardin incendié, désemparé face à une catastrophe contre laquelle il ne peut désormais plus rien. Echo du précédent “In Degrees” où, justement, il lui était encore possible d’agir : “I lose you in degrees / Don't leave me on my knees”, le “you” s’adressant bien évidemment à notre Terre-Mère. Ces images fortes qui se répètent d’un titre à l’autre assurent une forte cohérence à l’album, et si Philippakis s’est toujours montré doué pour trousser des lyrics à la fois prégnantes et originales, il trouve avec ce thème si actuel le liant et la cible qui manquaient auparavant à ses divagations. Après la liberté d’expression, le féminisme, la paix dans le monde, and so on, le climat va-t-il devenir l’une des nouvelles causes à défendre par les rock star ? Foals donne le ton, en tout cas, et à ce jeu de l’alarmisme artistique, le chanteur-parolier s’en sort ma foi fort bien.
On pourrait imaginer, à lire ce qui précède, avoir affaire à un album sombre, glaçant, désespéré. Que nenni. Everything Not Saved Will Be Lost (appréciez la confondance du truisme), loin de sombrer dans le misérabilisme musical, prend le parti, du moins dans sa première partie (l’avenir nous révélera de quoi sera bâti la seconde), de nous faire danser au chevet de notre planète. Le rééquilibrage de la palette sonore de Foals vers les synthétiseurs constitue le point le plus marquant de ce cinquième disque, après un What Went Down nettement plus guitar-driven. L’apport du grand Jimmy Smith (au sens propre : c’est un géant, ce type !) s’avère ici déterminant, l’homme imposant sans vergogne à l’album ses claviers tour à tout sémillants, racés, rêveurs et remuants. On se rapprocherait ici plutôt de l’ambiance d’un Total Life Forever, en plus électronique, avec une tonalité dancefloor qui a un petit goût d’Arcade Fire dans ses dernières réalisations (et on préférera bien évidemment retenir le brillant Reflektor que le décevant Everything Now), les canadiens se faisant eux aussi le fort de remuer nos popotins en faisant bouillir nos circonvolutions cérébrales. Autre point capital, autant les morceaux de la livraison précédente pouvaient s’apprécier indépendamment, au gré de tracklists compilatoires sur smartphone (de hipster, forcément), autant ici ENSWBL1 appelle justement une écoute enchaînée, chaque titre prenant toute sa place à l’aune de ses voisins immédiats. L’album ménage une progression qui lui apporte une forte personnalité d’ensemble, sans doute au détriment de morceaux individuellement moins percutants que sur WWD.
Ainsi, passée l’intro rêveuse de “Moonlight”, les respirations du balancé “Exits” ont de quoi désarçonner, même si au gré des écoutes le titre parvient à développer des trésors d’attirance. Véritable point d’ancrage musical, stylistique et thématique de l’album, “Exits” impressionne en fait par sa retenue, par la science de ses respirations, par l’envie que suscitent son tempo chaloupé rehaussé de subtiles coups de cloches synthétiques. Habile, Foals l’est également dans sa façon de nous imposer son math-punk dansant : on avait rarement autant remué que sur “In Degrees”, alors que l’efficacité du support rythmique ne cède en rien à la subtilité, là encore grâce au travail remarquable effectué sur les arrangements de synthétiseurs. Et le gigotage nous reprend là où on l’attend le moins, comme lors de la coda du languissant “Sunday”, tellement triste et tranquille qu’on le croirait en charge de clore les hostilités : la puissance disco-punk de sa seconde moitié a tôt fait de nous extraire de notre torpeur. En définitive, il y a beaucoup d’ambiances différentes sur ENSWBL1, du rock à la What Went Down sur le surexcité et intenable “White Onions”, du psyché onirique sur le coolos “Syrups” tout entier aux ordre de sa ligne de basse glandeuse (avec là encore une belle accélération finale), de la pop lorgnant vers du Nine Inch Nails versant futurisme froid à la Ghosts sur le troublant “Cafe d’Athens” (avec ses magnifiques xylophones liquides), de la complainte piano-voix avec le conclusif - et désespéré - “I’m Done With The World”. Et puis il y a des petites touches de génie brut, comme ce riff insensé de classe et d’intelligence mis en orbite par un clavier lunaire en total décalage sur “On The Luna”, quelle classe quand même ces Poulains.
Un petit regret sur la durée de l’ensemble un poil chiche (39 minutes), et une splendide interrogation sur la suite, car les quatre étoiles (bien méritées au demeurant) de ce Everything Not Saved Will Be Lost premier du nom pourraient bien se voire arroger une demi récompense de plus lorsque l’on accolera sa suite et conclusion à cette œuvre forte qui, moins évidente que What Went Down, ne s’en montre pas moins superbe à tous points de vue. Le chef d’œuvre se trouverait-il dans le viseur des Poulains pour 2019 ? Les paris sont ouverts, et l’attente jusqu’à septembre va s'avérer bien longue...