Amanda Palmer
There Will Be No Intermission
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There Will Be No Intermission (2019 - 8ft. Records) se révèle plus qu’un album, c’est un processus complet dont la musique représente un aboutissement. Amanda Palmer qui s’est fait connaître au travers du duo The Dresden Dolls au début des années 2000 a depuis enduré quasiment tout ce qui peut compliquer une vie d’artiste, l’enfermement lié aux exigences du business, la séparation d’un groupe, la procédure contre son label. Son parcours prend alors la forme d’une recherche de contact direct avec son public, une recherche de suppression des intermédiaires qui l’a parfois fait surnommer "The Queen Of DIY". De ce point de vue il est difficile de faire mieux que la stratégie déroulée ici sous nos yeux et nos oreilles.
Quatrième opus solo de la discographie foisonnante et multiforme de l’américaine, There Will Be No Intermission est un recueil qui explose tous les codes du business. Et on ne peut qu’être admiratifs. Financée par les fans jusqu’au dernier centime, cette indépendance totale vis à vis de l’industrie autorise une authenticité, une liberté et une prise de risque maximale. A commencer par le visuel de couverture qui dépeint une Amanda Palmer nue et conquérante, parvenant à insuffler de la beauté dans une image à rebours des canons esthétiques.
La construction de l’album joue sur l’ironie par rapport à son titre, en effet les chansons sont toute séparées les unes des autres par un court interlude. Mais il ne s’agit pas simplement de relier les chansons entre elles, ces moments instrumentaux créent des passerelles, rappellent des thèmes déjà croisés. Par exemple l’interlude "Intermission Is Relative" - qui annonce le dernier morceau - reprend l’air de "The Ride" qui ouvrait le programme plus tôt tandis que "You’d Think I’d Shot Their Children" reprend "Bigger On The Inside". L’ensemble de ces petites pièces installent des atmosphères diffuses, élégantes, parfois rappellent le son d’un vieux grammophone. Les passerelles peuvent aussi être textuelles, "Voicemail For Jill" cite le titre de l’interlude qui la précède, "You Know The Statistics".
Nous ne chercherons pas à être exhaustifs en la matière, mais l’auditeur attentif trouvera une multitude de références croisées, de parentés entre morceaux et textes mêlés, l’ensemble révélant un formidable jeu de tiroirs qui se dévoile au fil des écoutes.
Composant en grande majorité pour le piano, Palmer ne délaisse pas pour autant son autre instrument fétiche, le ukulélé qui ajoute un supplément de fragilité notamment sur "Bigger On The Inside".
Deux chansons fleuve font forte impression, tout d’abord "The Ride" et son entrée tourbillonnante. Une longue digression sur l’existence, la nécessité de toujours avancer puisque que finalement il n’y rien d’autre à faire, une chanson pleine de bonnes ondes qui font un bien fou d’entrée de jeu, on se sent en quelque sorte consolés.
Ensuite et dans un tout autre registre, "A Mother’s Confession" descend jusqu’aux tréfonds de l’instinct maternel. Un texte en forme de réquisitoire contre soi-même, Palmer fait l’inventaire du terrible, révèle et assume sa facette misérable. Il y a beaucoup de grandeur dans cette démarche qui nous pousse à la réflexion, faisons nous mieux réellement? La montée en puissance de la dédramatisation, au moins le bébé n’est pas mort, d’abord fragile et presque murmurée comme une excuse puis carrément scandée par une chorale nous encourage à nous déculpabiliser en plus de nous donner le fin mot - heureux - de l’histoire.
Sorti le 8 mars , Journée Internationale des Femmes, l’album se confronte à des thèmes féminins majeurs et difficiles, la maternité déjà évoquée, mais également le droit à l’avortement dans "Voicemail For Jill". Ce message laissé à une copine touche au but, nous montre la solidarité dont les femmes qui sont dans leur droit doivent souvent faire preuve encore pour affronter le qu’en dira-t-on, ne pas céder et ne pas se considérer honteuses.
La relation mère fille est également traitée, "Look Mummy, No Hands" qui se situe immédiatement après "A Mother’s Confession" nous permet de retrouver un peu d’innocence. Les rôles sont inversés, Palmer redevient la petite Amanda et change de perspective. Un thème enfantin joué au piano, le rappel d’une boîte à musique, l’image du manège à chevaux, l’artiste signe ici sa chanson la plus théâtrale, la plus belle et la plus émouvante du disque en s’adressant directement à sa mère - réelle ou fictive - en alternant reproche, tendresse, nostalgie mais aussi en reconnaissant ses torts personnels et faisait comprendre entre les lignes qu’elle réalise qu’elle a parfois fait du mal.
L’interprétation est comme toujours poignante et juste malgré l’exubérance. Amanda Palmer livre ici de loin son meilleur album, personnel mais dans lequel chacun, homme ou femme, peut y puiser et y apprendre.