Cirith Ungol
Forever Black
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1- The Call / 2- Legions Arise / 3- The Frost Monstreme / 4- The Fire Divine / 5- Stormbringer / 6- Fractus Promissum / 7- Nightmare / 8- Before Tomorrow / 9- Forever Black
Presque trente ans de silence discographiques (mais pas scéniques) depuis l’excellent Paradise Lost (1991) avant ce retour inattendu pour Cirith Ungol, à peine espéré avec son single Witch’s Game (2018). Le groupe californien, complètement underground (comment pouvait-il en être autrement ?), est non seulement toujours vivant (rassurez-vous …) mais désormais populaire, presque mainstream … Bon d’accord, là, c’est exagéré, mais regardez quand même les résultats commerciaux de Forever Black dans les premières semaines de sa sortie – en pleine épidémie qui plus est ! : dans le top 3 des ventes Metal de Bandcamp, 11ème place des charts en Allemagne ! Le groupe avait même obtenu, avant son annulation, une double prestation au festival Keep It True : il devait jouer deux sets différents le vendredi et le samedi. Une petite gloriole et un prestige obtenus grâce à la toile qui a permis aux amateurs de (re)découvrir ce groupe bien obscur des années 1980.
Ceux qui suivent le site connaissent Cirith Ungol puisque sa discographie avait été passée en revue en prévision de cette sortie. Mais il convient de rappeler les caractéristiques esthétiques du groupe. Celui-ci donne dans un Heavy Metal souvent épique, un peu lourd – entendre à la limite du doom -, qui soigne les mélodies sans donner dans le Power. Ça reste du heavy assez traditionnel, rien de trop extrême. Il faut également souligner le chant très particulier de Tim Baker, assez aigu mais agressif, facilement hurleur avec une amplitude non-négligeable. Disons-le tout de suite : il fait une prestation incroyable sur ce nouvel album, comme si les années n’avaient eu aucun effet sur ses cordes vocales. Cela est d’autant plus perceptible que l’album bénéficie d’une bonne production, à l’image de leur dernier opus en date, contrairement au son artisanal des premiers disques. Enfin, le groupe maintient ses références à l’univers d’Elric, avec, cette fois-ci, une belle pochette originale (ils utilisaient les couvertures des romans de Moorcock jusqu’alors). On est donc dans un univers connu, reste à savoir si Cirith Ungol est à la hauteur des attentes qu’on peut mettre en lui.
Ne passons pas par quatre chemins, Forever Black est excellent. Les pistes dévoilées pour en faire la promotion avaient éveillé de nombreux espoirs, notamment "Legions Arise" qui ouvre l’album. Le titre est renforcé d’une introduction ("The Call") qui apporte une réelle plus-value à un morceau déjà bien épique, avec un riff inoubliable. Un écho à "Join the Legion" qui commençait l’excellent Paradise Lost (1991), et à la thématique "heroïc-fantasy" dans laquelle baigne le groupe. Celle-ci, portée par l’imagination de Moorcock, revient souvent, et de façon explicite lorsqu’il s’agit de faire référence à son œuvre : "The Frost Monstreme", pachydermique, est typiquement Ungolien (on cherche en vain l’adjectif dérivé qui convient au groupe). Dans la même veine, le sombre "Nightmare" et "Forever Black" sont des appels du pied aux fans de la première heure, et c’est un vrai bonheur. Jamais lourdeur et finesse n’ont été aussi bien agencées : les mélodies de guitare sont nombreuses et les structures inventives, tandis qu’on demeure dans une esthétique assez brute.
Cirith Ungol maintient son inscription dans une époque révolue, celle des années 1980 voire même des années 1970 ("Fire Divine" et son refrain unificateur, la partie instrumentale regarde vers Thin Lizzy). Une époque révolue certes, mais qui retrouve de sa superbe depuis quelques temps. Il est certain que la dynamique ne risque pas de s’essouffler au regard des bijoux pondus par le groupe. Ici intervient la subjectivité avec toute sa force, alors prenez cela comme un conseil : au milieu de ce chapelet de titres remarquables, on trouve deux morceaux époustouflants, agencés l’un avec l’autre. D’abord "Stormbringer", avec son introduction arpégée, permet à Baker de montrer qu’il est capable de changer de registre, tandis que les grosses guitares débarquent, rappelant le final épique de la trilogie ultime de Paradise Lost. Le solo épique mais plus typé hard-rock que Metal est parfaitement exécuté, et la basse gagne à être mise ainsi en avant. Enfin, il y a le démentiel "Fractus Promissum", sommet de Forever Black, qui commence sur une introduction dense et terriblement envoûtante : le riff, le petit chorus, la basse bien épaisse et agressive … Si vous êtes amateurs du genre, vous tomberez en pâmoison.
Il est certain que Cirith Ungol n’est pas un groupe destiné à un public forcément très large, il reste trop rude et brut de décoffrage dans son approche, et il maintient des spécificités (le chant, surtout) qui peuvent heurter l’oreille. Mais si vous aimez le genre et les albums précédents, ce retour en force est un cadeau fabuleux.