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Critique d'album

AS Dragon


Va chercher la police


(10/05/2005 - Tricatel - néo garage/pop/post-punk - Genre : Rock)
Produit par

1- Morte / 2- Qu'en Dites-Vous / 3- Comme je suis / 4- L'Alchifumiste / 5- Seules à Paris / 6- Corine / 7- I Wanna Be Your Doll / 8- Plastic Hooker / 9- Froide / 10- Naufrages de l'Ombre / 11- Cloue Moi Au Ciel / 12- Tell Me
Note de 3/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Entre morgue mod et désenchantement post-punk, l'ultime coup d'éclat des dragons"
Maxime, le 11/05/2011
( mots)

Faire du rock en Hexagone a toujours été une équation délicate, dont le point de bascule réside dans la résolution de cette tragique question : va-t-on chanter en anglais ou en français ? Car elle conditionne grandement tout le reste. Soit on décide d'embrasser la tradition littéraire du pays, se confrontant à l'héritage de Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg en essayant de ciseler les textes, au risque de ne produire au final que de la chanson française électrifiée. On sait avec quelles difficultés la langue de Molière s'accommode avec la musicalité d'un genre dont les standards demeurent et demeureront anglo-saxons. Il y eu quelques réussites. Elles furent rares, Noir Désir en étant assurément le principal emblème. L'autre option consiste à couper tout lien avec son identité française et se soumettre aux canons américains et/ou anglais, la francitude du groupe ne devenant alors que cosmétique, souvent réductible à un vague exotisme. Comment savoir, au premier abord, que les Firecrackers sont originaires de Grenoble autrement qu'en consultant leur MySpace ou que The Bewitched Hands se sont formés à Reims si l'on n'a pas jeté un oeil sur le nom des musiciens ? Les AS Dragon, et c'est leur grand mérite, ont choisi, eux, de ne pas choisir. Le chant est principalement français, mais leur moteur résolument anglo-saxon. Évoluant sans cesse sur le fil de rasoir, le combo parisien n'a cessé, de sa courte existence, d'essayer de concilier les contraires.

AS Dragon ne part pourtant qu'avec des handicaps. Celui, tout d'abord, d'être piloté par Bertrand Burgalat, patron du label Trictatel, dont le pistonnage qu'il bénéficie auprès de Rock & Folk (toujours prêt à lui ouvrir ses couvertures pour ses artistes majeurs) expose de facto la formation à tous les procès en parisianisme, trafic d'influences et autres cooptations douteuses, dans un pays qui a toujours considéré qu'il n'y a qu'en province qu'on peut acquérir une légitimité (que serait-il arrivé à Noir Désir s'il s'était formé dans le 20ème arrondissement de la capitale ?). Surtout, le principal problème d'AS Dragon reste qu'il n'est tout simplement pas un groupe, plutôt un agrégat de personnalités diverses au parcours distincts, voire contradictoires, un gang de mercenaires triés sur le volet par Burgalat, recrutés pour accompagner ses différents projets. Aussi viennent-ils soumettre leur force de travail à Michel Houellebecq, April March et leur producteur pour quelques disques et tournées. Deux ans après ses premiers pas, le collectif souhaite voler de ses propres ailes, et commence à chercher un chanteur. Débarque Natacha Lejeune, véritable icône en puissance, une jeune femme d'origine russe au look androgyne ne jurant que par les Stooges et les scènes incendiées à coups de danses imprécatoires et de shots de vodka. La mue s'avèrera pourtant difficile, se soldant notamment par le départ du guitariste Peter Von Poehl (parti en solo) et du bassiste Fred Jimenez (rejoignant Jean-Louis Murat). Les choses s'emboîtent finalement lorsque paraît en 2003 le premier album. Spanked, comme son titre l'indique, est une belle petite claque, remplie d'une morgue de mod teigneux. Si aucun véritable tube potentiel ne pointe le bout du museau, l'énergie et l'attitude sont bien au rendez-vous. AS Dragon était sur le point de raccrocher les wagons du revival ambiant, constituant une des répliques françaises possibles aux soubresauts des Strokes/White Stripes/Libertines.

Mais l'équipe ne briguera finalement pas la Champion's League du neo-garage. Ce deuxième album dévoile une toute autre ambition : AS Dragon y révèle une furieuse envie de pop. S'il ne se dépare pas totalement de l'urgence sixties de son prédécesseur (le spasmodique morceau introductif "Morte"), Va chercher la police va puiser son inspiration dans le crépuscule des seventies et l'aube des eighties, se parant d'autours synthétiques et de fragrances new-wave. Propulsé par la batterie précise et musculeuse d'Hervé Bouétard, le disque tente d'allier avec un chic et un brio certains l'immédiateté mélodique de la pop avec une musique aussi fiévreuse que complexe, fourmillant d'idées et de détails maniaques. On pense autant à Gang Of Four, aux Small Faces, aux Modern Lovers qu'à Blondie et à Iggy période The Idiot. Les claviers de Michael Garçon alternent nappes cotonneuses et arpèges cristallins à la Human League, tandis que la guitare tendue et filandreuse de Stéphane Salvi rappelle par éclairs Television. Mais le grand atout de la troupe reste indubitablement Natacha, gouvernant les débats avec un charisme effronté, dont le chant sait se faire tantôt sensuel pour évoquer les amours troubles ("Corine", "Qu'en dites-vous"), tantôt acerbe ("L'alchifumiste", "Froide"), tantôt évanescent quand plane l'ombre de la mélancolie ("Seule à Paris"). Imbriquant rage contenue et grâce maniérée, Va chercher la police est un baiser transi de fièvre. "C'est le plancher en feu mais des stalactites de glace au plafond", dixit Hervé.

Loin de l'improvisation d'un Spanked bouclé dans l'urgence, de longs mois de travail auront été nécessaires pour donner naissance à cet opus, sous la houlette de l'ingé son de Air. Tout comme le duo de Versailles, AS Dragon exhale ainsi ce parfum suranné, profondément rock mais semblant sans cesse en décalage avec son temps, parfois pas loin du niaiseux lors de ses (rares) baisses de régime ("Les naufragés de l'ombre", "Cloue-moi au ciel"). Romantique, en ce qu'il se lance dans la compétition sans jamais y croire vraiment. "Tant pis, j'aurais pu être comme Iggy, Debbie Harry ou Siouxie, tant pis, je suis née à Paris" soupire Natacha sur le single "Comme je suis". On peut la croire, car quand le groupe tente de rendre hommage à son idole sur "I Wanna Be Your Doll", il rappelle plus Devo que le gang de Detroit. La bande a ainsi la préciosité et la morgue classieuse de ces formations so frenchy, connaissant ses références sur le bout de ses ongles, mais réinterprétant un langage avec un décalage permanent, car il ne sera jamais totalement le sien. En ce sens, elle n'est pas loin d'incarner l'un des rejetons les plus légitimes de Dogs (si le combo de Dominique Laboubée avait daigné chanter en français).

Aussi dense soit-il sur disque, AS Dragon reste un groupe de scène, Natacha se révélant être un véritable cocktail molotov ambulant. Quiconque a pu les voir jouer live a forcément rendu les armes face au charme incandescent et sauvage de la demoiselle, gaffeur sur la pointe des seins, tout en déhanchements robotiques, transformant la fosse en ring de boxe. Sur les planches, le groupe se révèle invincible, n'hésitant pas à transformer le très kitsch "Pump The Jam" de Technotronic en âpre bombe pour dancefloor. Le quintette tient ainsi en respect une foule de motards avinés en assurant la première partie des Stooges au Bol d'Or. Les choses se dégradent pourtant rapidement. Malgré les tournées incessantes, le public ne répond pas présent, le sentiment de gâchis devant tant de travail déployé pour rien flotte dans l'air. Le décalage entre les aspirations des musiciens et de la chanteuse ne cesse de s'accroître. Ils veulent persister dans la veine pop en redoublant d'expérimentations, elle veut revenir à la crudité des Stooges. Le clash était inévitable, et Natacha quitte la formation en 2007. Après avoir tenté, en vain, de recruter un remplaçant en auditionnant sur Myspace, les dragons restants mettent le collectif en stand-by. Depuis, Hervé Bouétard et Stéphane Salvi ont formé Control Club, du AS Dragon sans Natacha, c'est-à-dire de la pop sophistiquée remarquablement bien produite à laquelle il manquera toujours un supplément d'âme. Après plusieurs années de silence et de soirées passées à mixer au Baron, Natacha est récemment revenue sur le devant de la scène avec le trio Oh La La!, fourbissant désormais du Peaches énervé. Compromis permanent, alchimie instable, alliance explosive des contraires, AS Dragon n'aura été qu'un mirage, un rêve éphémère. "Too much class for the neighbourhood", comme l'aurait si bien dit Dominique.

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