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Control Club
Morphine Ballroom
Produit par
1- Inconsolable / 2- Ni les douanes / 3- Play / 4- Rougir / 5- Fin du monde / 6- I'll Try / 7- Pilote automatique / 8- Shame Exorcism / 9- Jacqueline / 10- Facile les filles / 11- Skin Of Pain / 12- Adreamistrative Knight / 13- Keine Romantik
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La trajectoire d’AS Dragon dans le ciel désolé du rock français aura eu la fulgurance d’une comète incandescente. Véritable incongruité dans le paysage hexagonal, le groupe phare du label Tricatel avait réussi l’exploit de n’être ni un clone de Noir Désir ni une pâle réplique de ses modèles anglo-saxons, dressant un prototype impossible à reproduire. Réconciliant l’irréconciliable avec grâce et évidence, la formation brassait avec bonheur des textes exaltés mais pas niais avec une musique tendue, nerveuse mais éminemment romantique, véritable machine à épuiser les corps et à enivrer les âmes. Restent deux très beaux disques (Spanked, 2003 et Va chercher la police, 2005) auxquels le temps rendra leur juste culte. Natasha Lejeune partie pour un album solo, l’ancien backing band de Bertrand Burgalat a longtemps cherché un remplaçant avant de se résoudre à la dissolution. Control Club se charge de reprendre l’aventure là où elle s’est arrêtée, rassemblant Hervé Bouetard, batteur musculeux et métronomique, et Stéphane Salvi, guitariste élégant qui passe désormais au chant, auxquels s’adjoignent Ivan Riaboff (claviers) et Eric Moerman (basse).
Les premiers tours de platine de Morphine Ballroom dressent cet amer constat : la présence de Natasha était une composante essentielle de la réussite d’AS Dragon. Tour à tour vestale diaphane et chienne en furie, elle donnait au groupe un corps, fluet, tonique, sexuel, l’empêchant de verser dans la grandiloquence et lui procurant un charisme qui rendait chacune de ses prestations live essentielles. La demoiselle partie vers d’autres cieux, c’est tout un équilibre fragile qui se trouve rompu. Control Club est pompeux quand les dragons étaient frondeurs, emprunté quand ils flamboyaient hier. On retrouve pourtant dans le combo d’aujourd’hui bien des composantes de son succès passé : un rythme aliénant qui n’a rien à envier au dance-rock d’un Poni Hoax ("I’ll Try", "Skin Of Pain"), des nappes de claviers eighties au charme suranné ("Shame Exorcism", "Ni les douanes") et des textes qui puisent aussi bien dans la langue de Molière, de Shakespeare que de Goethe ("Keine Romantik", comment ne pas utiliser l’allemand quand on veut se laisser dériver sur le fleuve du romantisme ?).
Las, on souffre pour Stéphane Salvi à qui incombe la lourde voire impossible tâche de succéder à Natasha. Le musicien a visiblement fait de son mieux, mais son chant pare le tout d’une emphase déclamatoire qui crispe les oreilles d’emblée. Quand on a un organe manquant cruellement d’aura, des tirades comme "Pourtant, ce que je préfère c’est jouer/Avec ton sexe apprivoisé/Par le désir incontrôlable/Je suis inconsolable" ("Inconsolable") ou "Ni la peur que j’éprouve dans les airs/Ni le doute qui plane sur les charters/Ni les douanes qui veulent me crucifier ne sauraient m’arrêter" ("Ni les douanes") tombent complètement à plat, et c’est tout l’ensemble qui se casse la figure. Il plane sur nombre des textes la prose absconse des groupes français de la new-wave/post-punk des années 80. L’accent so frenchy de Salvi, pourtant tout aussi prononcé que celui de Natasha, plombe complètement les compositions anglophones ("Play", une plaie, oui !). Quel dommage, alors que Control Club accuse une maîtrise mélodique certaine : "Rougir" et "Facile les filles" ont l’urgence et une qualité d’écriture qui en font d’authentiques tubes potentiels. Dans le même ordre d’idées, la production de Lance Thomas (Ladytron) porte idéalement l’album, lui conférant une couleur à la fois désuète et contemporaine. Mais ces éclairs de génie peinent à sauver un disque hanté par une absence assourdissante. Privé de sa muse, Control Club sombre dans le kitsch. Délestée de ses zélés soldats, Natasha s’en tirera-t-elle mieux de son côté ?