Aerosmith
Aerosmith
Produit par Adrian Barber
1- Make It / 2- Somebody / 3- Dream On / 4- One Way Street / 5- Mama Kin / 6- Write Me / 7- Movin' Out / 8- Walkin' the Dog
Dans l’histoire du rock, combien de groupes peuvent prétendre avoir sorti un premier album parfait ou à la limite de la perfection ? Qu’on s’entende ici, on ne parle pas seulement d’un très bon opus initial, mais bel et bien d'un chef-d’œuvre. Il faut pour cela avoir une œuvre originelle qui installe dès le commencement le "son" caractéristique du groupe, et qui, en plus, propose des titres d’une grande qualité, des tubes qui trôneront à jamais au sommet de leur répertoire.
Led Zeppelin et Lynyrd Skynyrd y sont parvenus, King Crimson également. Mais, pour ne citer que les plus grands représentants de leur époque ou de leur genre, ni les Beatles ni les Rolling Stones dans les 1960’s, ni Yes ni Genesis dans le rock progressif, ni Scorpions ni Deep Purple dans le hard-rock, ni Iron Maiden (même si leur premier opus est excellent) ni Judas Priest dans le Heavy, n’ont réussi à démarrer leur carrière avec un chef-d’œuvre. Et nous nous sommes contentés de prendre des groupes unanimement considérés comme exemplaires dans leur genre, des monstres sacrés du rock … Nous aurions pu continuer notre plongée dans l’histoire du rock pour essayer de trouver les quelques rares exemples de naissance miraculeuse, et nous aurions fini par tomber sur Aerosmith, bien qu’il ne fasse aucun doute que cet avis ne soit pas unanimement partagé. Essayons de vous convaincre.
En 1972, les bad boys de Boston, désormais membres d’Aerosmith suite à la fusion de Chain Reaction et The Jam Band, deux combos locaux qui écumaient les clubs sans grand succès dans les 1960’s, viennent de signer chez Colombia après avoir été repérés lors d’un concert à New-York. Qui dit contrat dit album, donc séjour en studio, une épreuve à laquelle le groupe, selon ses propres dires, n’était pas réellement préparé ; l’enregistrement fut donc intimidant. De plus, la réception ne fut pas au niveau, l’album fut loin d’être un succès lors de sa sortie en 1973, et son tube, "Dream On", ne connut de réelle popularité qu’en 1976 après la réédition du single en 1975 (qui respecte la longueur du titre, contrairement au radio edit du premier 45 tours).
Pourtant, de bout en bout, l’ouvrage est remarquable. Commençons par le plus simple en évoquant "Dream On", slow intense devenu intemporel, Steven Tyler offrant une performance vocale telle qu’on n’en avait pas entendue depuis … celles de Plant ou Gillan – on ne citera pas Mercury puisque Queen ne fera paraître son premier opus qu’en juillet 1973. Ce seul morceau justifierait le qualificatif "historique" pour l’ensemble de l’opus, mais il est accompagné d’une belle succession de compositions de haut vol.
Aerosmith s’affirme comme un groupe de hard-rock, tout en maintenant son inscription dans les racines blues et rock’n’roll aux origines de cette musique populaire. Ainsi, la façon dont le chant est isolé des riffs sur les couplets de "Make It" donne au titre cette facette rock’n’roll 1950’s, tandis que lors du pont, la superposition du chant et de la mélodie à la guitare puis la montée en force pour le solo s’avèrent plus modernes et plus typiquement hard-rock. Cette même hybridation se retrouve sur le groove de "Somebody" et sur "Mama Kin" qui est un pur rock’n’roll modernisé à la sauce Côte-Est. Même l’audacieux "Walkin’ the Dog", qui s’en détache par ses riffs, multiplie les gimmicks piochés dans ce rock traditionnel - la suspension de la musique pour laisser le chant déclamer a capella, le riff du refrain …
Quand ce n’est pas du côté du rock’n’roll que leur esthétique est puisée, c’est du côté du blues, qu’on pense à la présence de l’harmonica et du piano sur le roublard "One Way Street", et à "Write Me a Letter" qui est un pur titre de blues-rock flegmatique. Le summum de la réinterprétation du blues version saturée est atteint avec l’excellentissime "Movin’ Out", qui nous accueille sur une introduction tamisée et roots avant de lancer un arpège plein de classe, piste de lancement pour une attaque plus énergique et hard-rock. L’essence et le génie du groupe sont ici parfaitement synthétisés.
Le premier opus d’Aerosmith laisse interrogatif. On a l’impression de tenir entre les mains quelque chose de complètement neuf, une œuvre à l’identité forte et unique, alors qu’esthétiquement parlant, leur hard-rock ne possède pas d’approche particulièrement originale tant il revisite et met au goût du jour un passé musical connu et reconnu. Ce qui est certain, c’est que de bout en bout, le plaisir est sans faille, et qu’on sent bien que le qualificatif de chef-d’œuvre n’est pas loin d'être approprié. L’aura d’Aerosmith dans l’histoire du rock est donc à chercher sur ce premier essai.
A écouter : "Dream On", "Movin’ Out", "Make It"