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Randy Holden, entretien avec un guitar god


Steven Jezo-Vannier, le 03/12/2014

Le bouillonnement psychédélique


SJV : Le grand bouillonnement psychédélique et hippie submerge la Côte Ouest et les Sons Of Adam glissent vers cette nouvelle musique inspirée par l'acide. Et vous, contrairement à la majorité, vous ne vous reconnaissez pas pleinement dans ce mouvement. Pourquoi ne pas vous être fondu dedans ?


RH : C'est vrai que je ne me suis jamais vraiment intégré ni même identifié à la chose hippie. Je n'étais pas très en adéquation avec l'idée de la vie communautaire. Je supportais mal qu'un autre me dise ce que j'avais à faire et je n'aimais guère rester assis en cercle à me défoncer en groupe. Ce n'était pas un truc pour moi. Au lieu de me sentir libre à travers ce mode de vie, je me sentais à l'exact opposé, emprisonné. Je n'ai pas fumé de dope. Je n'ai même jamais eu la moindre idée de ce que cela produisait.


Comme les autres groupes, nous avons vécu un temps en communauté nous aussi, mais plus par nécessité que par choix. Nous aimions notre vie privée et dès que nous avons eu assez d'argent pour avoir chacun notre propre domicile, c'est la première chose que nous avons faite.


La seule chose que j'ai adorée dans le San Francisco hippie, c'était la musique, surtout la façon de la jouer. On jouait tout le temps et très fort, dans les anciennes salles de bal en bois, des salles à l'acoustique hors norme, sans l'ombre d'un doute, les meilleures salles du monde ! Le bois absorbait la puissance du volume ; la salle devenait une créature vivante qui faisait partie intégrante de la musique, qui participait à sa matérialisation. Vous pouviez sentir le pouls de la musique à travers le plancher et les murs. J'aimais aussi le public, de grands auditoires exigeants, habitués à l'excellence, face à qui il fallait réaliser de très bonnes performances pour susciter l'engouement.


J'ai adoré le monde hippie pour son amour de la musique, parce que j'aimais jouer de la musique. Malheureusement, les choses se sont vite dégradées. Les endroits où l'on allait écouter et jouer de la musique, en particulier les grandes salles, étaient devenus des lieux davantage dédiés à la défonce qu'à la musique. Pour une majorité du public, elle est devenue secondaire face à la drogue. J'ai compris le changement lorsque le public a commencé à perdre son exigence artistique, lorsqu'il a commencé à applaudir de mauvais groupes.


Cela coïncidait avec le changement de génération, un moment où de nouveaux gamins venaient à la musique. Ils commençaient tout juste et moi, je devenais déjà un vétéran. Ce sentiment était nouveau, je m'y suis habitué du temps de Blue Cheer. Dans le groupe, aucun des autres membres n'avait eu de groupe auparavant, sauf Paul Whaley, qui jouait avec Oxford Circle, mais il comptait parmi les nouveaux venus. Moi, cela faisait déjà une décennie que je jouais, j'avais eu plusieurs groupes et je vivais de la musique.



SJV : Malgré cela, vous n'avez encore sorti aucun disque à cette époque.


RH : C'est exact. Et la plupart des nouvelles formations semblaient quant à elles obtenir des contrats sans difficulté ! À vrai dire, je n'ai jamais réussi à comprendre pourquoi je n'y arrivais pas, alors que mes groupes étaient toujours les meilleurs, sincèrement. Beaucoup des jeunes formations étaient parfaitement incapables de nous suivre en live, mais eux, ils avaient des contrats. Je devais me contenter des restes.


Lorsque Blue Cheer est enfin sorti dans les bacs, nous avons instantanément trouvé le succès. C'était un juste retour des choses, la conséquence des graines semées toutes ces années auparavant. Ça n'avait rien à voir avec les petits gars qui ne savaient même pas jouer correctement et qui obtenaient pourtant un succès retentissant. En terme de concerts, on avait nos entrées dans les grandes salles, les meilleures, et le public était au rendez-vous. On faisait de l'argent. C'était dingue ce décalage. Personne ne comprenait pourquoi les différents groupes que j'avais cartonnaient en concert, mais n'arrivaient pas à obtenir le soutien d'un gros label, le genre de structure puissante qui gère le groupe, donne des avances, assure le budget de promotion, la diffusion à la radio et tout ce qui va avec, qui permet d'obtenir un succès commercial dans les bacs. Au lieu de ça, on allait d'un mauvais manager à un autre, d'un arnaqueur à un amateur, collectionnant des hommes qui n'étaient là que pour le pourcentage qu'ils obtenaient sur chaque show.


SJV : Je suppose que vous avez réfléchi à la question et aux causes de votre infortune.


RH : J'attribue cela à la culture hollywoodienne. C'est là que tous les principaux labels étaient basés, or c'est le pays de ce qu'on appelait alors le Hollywood Shuffle. Il fallait être débrouillard, c'était chacun pour soi, chacun prenait tout ce qu'il pouvait prendre dans l'instant, en bousculant les autres sur sa route. Aucun de ces prétendus managers ne prenait son rôle au sérieux, aucun d'eux ne croyait vraiment en ce qu'il faisait, rien à voir avec un Brian Epstein, qui, lui, a été d'un sérieux absolu dans sa fonction auprès des Beatles. Au fond, les petits arnaqueurs d'Hollywood n'avaient aucune idée de ce qu'était le job. Tout était superficiel dans cet univers, pas la moindre trace d’honnêteté. Rien n'était dit franchement, et vous ne vous rendiez compte de la merde dans laquelle vous étiez que lorsque vous aviez déjà les deux pieds dedans, tout le problème est là. Hollywood était un endroit très étrange, il l'est sans doute encore.


SJV : Revenons sur votre décalage avec l'univers hippie si vous le voulez bien, et sur votre vision de cette période.


RH : Dans le mouvement hippie, absolument tout, les drogues, la bouffe, tout était horrible. La bouffe ? Salade de pommes de terre avec pommes fruits et raisins, quel pied ! J'aimais simplement l'esprit de liberté qui régnait, l'idée que tout était possible.


Mais quand on dit que les choses sont libres et qu'on a besoin de le répéter pour s'en convaincre, en général, c'est qu'elles sont tout sauf libres... Par exemple, si tu n'aimais pas fumer de la marijuana, t'étais mal vu... Excusez-moi, mais je n'aime pas ça ! Je ne vais pas fumer quelque chose que je n'aime pas, simplement pour me faire bien voir et ne pas rester seul. Ça n'a jamais été une réponse valable pour moi. Si vous prônez la liberté et que vous me détestez parce que je n'aime pas votre drogue, ne portez pas atteinte à ma liberté ! Désolé, mais ça n'a jamais marché avec moi, le mode de vie hippie, ce n'était pas la liberté !


SJV : Et côté drogue ? Quel était votre sentiment?


RH : Je me souviens d'un gars qui était venu me voir après l'un de nos concerts et qui m'avait demandé : « Eh mec, qu'est-ce que vous êtes comme genre de gars ? ». Je n'avais aucune idée de ce qu'il attendait comme réponse, puis il a dit : « Ne me dites pas que vous n'êtes pas stone parce que personne ne peut jouer comme vous le faites sans être perché ». Il m'a vraiment énervé, parce que cela impliquait que mon jeu ne pouvait pas être naturel et qu'il était forcément dû à l'absorption d'une substance. Comme s'il suffisait de prendre ceci ou cela pour devenir un bon musicien. Je ne me droguais pas, je ne touchais à rien, rien d'autre que la musique elle-même, voilà ce qui me faisait planer ! Pourquoi personne ne pouvait-il comprendre que cela me suffisait ?


Je ne saurai pas te dire pourquoi je n'aimais pas la marijuana, je n'aimais pas l'état dans lequel elle me mettait, je n'aimais ni son odeur ni son goût... alors pourquoi devrais-je faire quelque chose que je ne veux pas, juste parce que quelqu'un d'autre pense que je devrais ? Je détestais encore plus la réaction qu'entraînait mon refus chez certains, pour qui, si on ne fumait pas, c'est qu'on était un traître à leur cause... qu'ils aillent se faire foutre ! Ne venez pas me faire chier parce que je ne fume pas, je jouerais aussi bien sans. Je joue pour des gens qui savent apprécier la bonne musique et qui jugent un artiste sur cet unique critère, pas sur des questions de mœurs. Je n'aimais pas la politique non plus et il semblait que la plupart des hippies étaient politisés, suivant l'idéologie d'un autre, ça ne m'intéressait pas. Pour moi, politique et musique sont deux pôles opposés du monde.


Je ne vois pas plus d'intérêt à prendre du LSD. L'acide est arrivé dans ma vie à l'improviste. Mon bassiste dans les Sons of Adam en prenait, mais je ne le savais pas au début. J'ai découvert la drogue psychédélique à travers un fan, qui était vraiment un type sympa, il bossait chez Walt Disney... Il a commencé à me vanter les mérites du LSD, à me dire à quel point l'acide était incroyable, à me décrire les couleurs et la déformation de la réalité... enfin, pour être plus exact, la soi-disant révélation du réel. Selon lui et tous les autres adeptes de l'acide, cette drogue avait le pouvoir de révéler la vraie réalité, celle que nous ne percevions pas, une réalité dont nous ne savions rien et qui rendait caduques toutes nos connaissances.


Après cela, c'est mon bassiste qui m'a convaincu d'essayer avec lui, une nuit. Ce fut une expérience tout à fait étonnante. On était quelques-uns dans ma caisse – j'avais une voiture de course à l'époque, j'adorais la vitesse – et on filait sur Santa Monica Boulevard et c'est là que j'ai ressenti les premiers effets. La route était devenue immensément large, gigantesque. J'ai décidé de rentrer à la maison, j'avais quand même conscience que ce n'était pas très prudent de rouler dans cet état. Mon demi-tour m'a semblé prendre une éternité. Et pendant que je n'en finissais plus de tourner, il s'est mis à pleuvoir une petite bruine. Il y avait plein de petites gouttes d'eau sur la voiture, qui tombaient au ralenti ; à mes yeux, le capot était recouvert de diamants. Je ne sais pas comment j'ai réussi à rentrer à la maison et à garer ma voiture... La seule chose dont je me souviens, c'est d'être assis dans mon canapé à regarder la pièce et tout le mobilier prendre vie. Il était vivant, il respirait. Voilà un truc qu'on ne voit pas tous les jours, hé hé. Et je me demandais très sérieusement si les meubles avaient toujours été vivants, sans que je m'en sois rendu compte jusque-là !


On m'a mis des écouteurs et le premier album de Cream. Je me suis mis à l'écart avec ma guitare, un endroit que je trouvais plus pur, avec de bonnes vibrations, comme on disait. Pourtant, j'ai vu s'inscrire sur le mur le mot « mort » en lettres gothiques dégoulinantes de sang. C'était nouveau et différent, mais je savais ce que cela voulait dire. Le message était : si tu vas plus haut, tu verras Dieu, mais si tu le fais, tu mourras, parce que personne ne peut voir Dieu et survivre. J'ai compris, et je me suis dit alors que l'heure de ma mort n'avait peut-être pas encore sonné. Ça aurait été terrible pour ma femme et tous ceux qui étaient présents de mourir là, à ce moment. Il y avait encore de belles choses à vivre et ma mort ce jour-là n'aurait rien été d'autre qu'un grand gâchis pour tout le monde. J'ai pensé que la meilleure chose à faire était donc de marcher vers la terre, d'être parmi les vivants et de manger quelque chose. Je me souvenais qu'il y avait un reste de spaghetti dans le frigo. J'adorais ça. Je me suis levé et j'ai essayé d'aller à la cuisine, une sacrée épreuve ! Le chaos régnait. Soudain, les spaghettis sont arrivés sur un plateau, mais quelque chose ne tournait pas rond. Les nouilles rampaient sur l'assiette, comme des vers, ce n'était plus très appétissant. Pourtant, j'ai pris ma fourchette et roulé quelques vers avec un peu de viande et mis le tout dans ma bouche. J'ai commencé à mâcher et la viande avait un goût de chair pourrie. Je me suis alors dit que cela devait être le goût véritable de la viande et qu'il n'était plus question que je touche à ça. Puis j'ai remarqué que Rod, un fan et ami proche, était recroquevillé en position foetale dans un coin de la salle à manger, en plein bad trip. Et Georgene (ma femme de l'époque, la plus belle femme du monde !) est allé l'aider à surmonter l'épreuve, ensuite, il s'est installé avec nous parce qu'il n'avait nulle part où vivre.


SJV : Georgene était votre muse.


RH : Et c'est peu dire. Mike, mon bassiste, la désirait aussi, mais c'est moi qu'elle a choisi. La première fois que nous l'avons vu, il a dit “elle est à moi”. Je lui avais répondu : “je ne crois pas mon pote, parce que c'est avec cette fille que je vais me marier” ; ce que j'ai fait la veille de Noël 1964 !


Elle était venue nous voir en concert, me voir, parce qu'elle avait entendu dire que je jouais mieux que Dick Dale, le dieu de la guitare surf, et elle sortait avec lui en ce temps-là. Ce fut le coup de foudre réciproque. J'étais comme hypnotisé, j'avais l'impression d'être absorbé par elle. Après le concert, nous avons passé la nuit ensemble. Le week-end suivant, elle m'a laissé pour rejoindre sa famille à Newport Beach, à une centaine de kilomètres au sud de Hollywood. Je savais où c'était parce que j'avais déjà vu le panneau de la bretelle d'autoroute au cours d'une virée avec le groupe. Un an auparavant on avait fait la route de Californie à Baltimore par ce qui est devenu la route 405. Je me souviens très bien de ce voyage, on roulait sur les hauteurs, de nuit, et on voyait toutes les lumières de Los Angeles. L.A. de nuit est une vision extraordinaire. Il n'y a aucune ville comme elle sur Terre. Bref, je n'ai pas résisté à l'attente, j'ai pris la voiture et je suis allé la retrouver sur place.


Fender IV ne devait pas jouer ce week-end-là, chose rare parce que nous étions très demandés. Le soir où j'ai rencontré Georgene, nous terminions tout juste un engagement dans un club appelé le Twenty Three Skiddo. Les gens faisaient la queue pour nous voir ! La demande ne cessait de croître, et tous les jeunes du coin étaient dingues de nous. Nous cassions la baraque partout où nous jouions. On serait sans doute très rapidement devenu incontournable si le groupe avait duré.


C'était vraiment étrange que nous n'ayons pas eu d'engagement ce week-end-là, parce que tous les soirs de chaque semaine pendant plusieurs mois, sans interruption, nous étions bookés. Je ne sais pas pourquoi, encore une étrange coïncidence.

Commentaires
Saint-Nec-Terre, le 28/06/2015 à 11:21
Randy Holden parle du Hollywood Shuffle. Un autre membre de Blue Cheer, Bruce Stephens a lui, écrit un morceau qui s'appelle "Fillmore Shuffle". Marrant.