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Discorama 2000's : les incontournables art rock


Maxime, le 17/09/2011

2003-2004


Massive Attack : 100th Window
Février 2003

Mushroom parti, Daddy G en pause, que reste-t-il de Massive Attack après le passage au nouveau millénaire ? Les conflits d’intérêts entre les têtes pensantes du groupe étaient perceptibles depuis les débuts. Massive Attack était avant tout collectif où les individualités devaient se fondre. 3D et son égo décident malgré tout de prendre seul les rênes de 100th Window et d’envoyer à la face du monde sa vision désenchanté et lugubre de la musique. Seul ? Le bonhomme sait tout de même s’entourer. Un fidèle d’abord en la personne d’Horace Andy et Sinead O’Connor, la nouvelle venue qui bonifie tout ce qu’elle touche. Cette équipée sauvage s’enfonce alors dans les tréfonds d’une musique contemplative et industrielle plus que déstabilisante pour les inconditionnels du groupe.

Mais à y repenser, Massive Attack avait bien peu de choix après le succès colossal de Mezzanine. La redite étant interdite, le fan s’attendait donc à la cassure, mais peut-être pas à celle-ci. Car Massive Attack ne groove plus. Le collectif est devenu une bête rampante, tapis dans l’ombre. C’est ce que révèle "Futurproof" en introduction : la voix est déshumanisée par un vocoder, la guitare sous-produite. Seule la rythmique électronique est mise en avant. Comme si 3D ne voulait plus de ce son organique et jazzy qui a fait la renommée des siens. Les beats se font glaciaux, les nappes de clavier futuristes s’immiscent partout. Derrière, les guitares électriques, les cordes, sont couvertes par une production froide. Les morceaux s’étirent en longueur, demandent patience et concentration. Le pari est risqué. Cette démarche extrémiste et tournée sur elle-même parvient pourtant à se sortir de l’impasse grâce à la performance des invités qui magnifient la majorité des pistes de l’album. Sinead O’connor insuffle intensité et pudeur sur "Special Case" quand le vieillissant Horace Andy parvient à ramener le groove qui manquait à ce disque sur "Everywhen". L’univers dépeint, profondément désespéré, fini par devenir envoûtant, et les morceaux qui utilisent des structures similaires commencent à s’emboîter les uns dans les autres formant une longue boucle à écouter d’une traite et sans fin.
Pierre

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The Rapture : Echoes
Septembre 2003

The Rapture a débarqué de Brooklyn alors que le monde se demandait où étaient passés les Strokes. On aura beau dire, mais cela a sûrement joué sur les premières critiques flatteuses reçues par le groupe. En 2010, ces garçons là auraient sûrement été "hype" pendant trois mois (la dure loi de la hype, pire que la mode) avant de rejoindre l'immense fosse à groupes "post-hype". Bref, tout ça pour dire que The Rapture est bien tombé, bénéficiant d'une écoute attentive dès que les premiers titres d'Echoes ont pointé dans les salons branchouilles new-yorkais.

Le bon côté, c'est que l'attention était amplement méritée. Avec Echoes, The Rapture a comblé un espace délaissé entre disco-punk, électro-house et rock psychédélique. Amateur d'un synthé doux et gentiment rythmique, le groupe l'utilise pour ponctuer des morceaux construits comme certains titres de jazz, en répétitions et variations subtiles. D'autres titres, comme "I Need Your Love" montre bien qu'Hot Chip n'a pas inventé grand chose, l'essentiel dans la pop-house-électro avait déjà été fait... Et avec la voix si particulière de Luke Jenner, The Rapture tient le moyen de se distinguer. Le groupe ajoute par dessus le marché un talent certain pour introduire le saxophone de manière inattendue. Echoes se révèle à chaque titre un album surprenant, oscillant, sans jamais se fixer, entre une pop mélancolique et torturée aux accents yorkiens ("Open Up Your Heart") et des beats électro teintés de funk. Le tout n'a rien du son calibré pour les boîtes de nuit mais se révèle irrémédiablement séducteur pour tout ceux qui aiment se trémousser sur autre chose de Jennifer Lopez remixant la Lambada.

Le titre "House of Jealous Lovers" restera le tube d'Echoes. S'il n'est pas représentatif de la tonalité globale de l'album, on comprend aisément qu'il ait attiré les amateurs du genre vers The Rapture. Le titre "Echoes" lui ressemble beaucoup, sorte de mélange entre un rock psyché à moitié crié et d'un beat électro-funk assourdi, posé comme un matelas moelleux venant accueillir des gamins surexcités qui se battent à coup de pelochons. Voilà l'effet que peut produire The Rapture. Sa musique est un doux bordel contrôlé, plein de multiples sonorités inattendues, qui surprennent, mais peuvent aussi décevoir. L'ensemble n'est pas toujours équilibré, mais suffit à faire de ce disque un immanquable de la décennie.
Elise


Franz Ferdinand : Franz Ferdinand
Février 2004

Ne tournons pas autour du pot : Franz Ferdinand est certainement l'un des groupes les plus intéressants à avoir émergé du Royaume Uni dans les années 2000. Petite parenthèse biographique. Basé à Glasgow autour d'un chanteur-guitariste fils d'immigré grec et féru d'avant-gardisme russe (Alex Kapranos) et d'un peintre synesthésique amateur de jeux vidéo et de rock n' roll (Robert Hardy), la formation emprunte le nom de l'archiduc d'Autriche François Ferdinand, célèbre pour avoir été assassiné par un serbe à Sarajevo en 1914 et pour avoir ainsi involontairement déclenché la première guerre mondiale. Dès que les deux hommes s'accordent pour collaborer, tout s'enchaine à la vitesse de l'éclair : Hardy se laisse persuader par Kapranos d'apprendre la basse, puis les deux hommes recrutent un autre guitariste (Nick McCarthy) et un batteur (Paul Thomson) pour compléter l'effectif. De fait, l'ascension de Franz Ferdinand est fulgurante : formé en 2002, le groupe se voit propulsé au sommet des charts anglais deux ans plus tard avec son premier album éponyme et le fameux single "Take Me Out" multi-diffusé. En cet an de grâce 2004, la Perfide Albion n'a d'yeux que pour ce combo écossais surdoué qui rafle à peu près tout ce qui existe en terme de récompenses, notamment deux Brit Awards et le prestigieux Mercury Prize. Fin de la parenthèse, mais il fallait que cela soit dit.

Cet immense succès ne doit rien au hasard et a d'ailleurs initié toute la vague arty anglaise qui a balayé le pays quelques mois plus tard avec l'émergence successive des Bloc Party, Klaxons et consorts. D'ailleurs, s'il faut au moins reconnaître un mérite à Franz Ferdinand, c'est celui d'avoir revigoré un rock anglais de plus en plus austère en lui donnant un caractère ludique, festif et dansant. Mariant parfaitement des éléments esthétiques rétro (voix de dandy classieuse triturée par des micros saturés, références old school 60's puisant l'énergie et la fougue de groupes comme les Kinks et les Who, artwork rétro-futuriste kitch) à une conception pop et remuante de la musique à guitare, les quatre hommes ont réussi à se définir autour d'un rock frais et léger, lové autour d'une basse bondissante, d'une batterie binaire tonique et de giclées de guitares revigorantes. Franz Ferdinand aime aussi marier les extrêmes sonores, noyant notablement des mélodies limpides sous des chœurs braillards et très souvent dissonants (phénomène culminant sur le cacophonique "Michael") qui donnent à l'ensemble une sorte de folie brouillonne, impression démultipliée par des changements de tempos ("Take Me Out", impeccablement balancé) et d'amplitude sonore des instruments ("Auf Achse" et ses enchainements couplet - refrain - pont complètement à l'ouest). La voix de Kaparanos, tour à tour tendre et impérieuse, contribue à amplifier cette sensation d'ambivalence qui fait osciller le disque entre pudeur et extravagance, "Jacqueline" en étant l'exemple le plus démonstratif avec son début langoureux et son développement bestial déjanté. Mais ce qui fait avant tout le charme de Franz Ferdinand, c'est l'humour décalé qui se dégage de leur écriture. On reste sans cesse sous le charme de paroles joyeuses et pleines d'un bon sens presque rustique ("On se sent toujours mieux en vacances, c'est pour ça qu'on ne travaille que lorsqu'on a besoin d'argent", c'est l'évidence même) ou d'un charme timide et touchant ("Tell Her Tonight" et son héros timoré qui peine à aller déclarer sa flamme à celle qu'il aime). Ailleurs, le romantisme du groupe fait mouche par le biais d'images évocatrices fortes ("This Fire", violente allégorie d'un incendie destructeur, ou "The Dark Of The Matinée" et son escapade urbaine au lever du jour), images qui s'allient d'ailleurs à la perfection avec l'esthétique Bauhaus des clips du combo, donnant aux écossais une personnalité visuelle et sonore particulièrement tranchée et originale.

Seulement, comme beaucoup de groupes de la vague art-rock de cette période, Franz Ferdinand s'est rapidement vu pris au piège de son propre style, peinant à se renouveler convenablement sur You Could Have It So Much Better, deuxième album enregistré très rapidement après le premier, certes réussi mais recyclant sans aucun scrupule les recettes de l'original. Quant à l'album suivant, Tonight, il surprit tout le monde avec sa tonalité sombre, ses tempos sensiblement ralentis et ses touches électro, jamaïcaines et africaines, prouvant ainsi que les quatre hommes pouvaient s'extraire du carcan dans lequel il s'étaient volontairement enfermés. Malgré tout, l'album a du mal à convaincre sur la durée même s'il s'avère d'une tenue on ne peut plus honorables. La quête du renouveau sera-t-il l'éternel mythe de Sisyphe des écossais ? Les prochains mois seront probablement décisifs pour répondre à cette question, car à ce jour, Franz Ferdinand n'a pas réussi à démonter de façon indiscutable qu'il était plus que le groupe d'un seul album.
Nicolas

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The Prodigy : Always Outnumbered, Never Outgunned
Août 2004

Tempête sous le crâne peroxydé de Liam Howlett. Que faire du succès monstre de The Fat Of The Land, cet ouragan électronique qui avait déferlé sur les ondes et cloué le big beat aux cimaises des hits parades ? Comment jongler entre fêtes cocaïnées et sa récente union avec une ex-All Saints, lui offrant Liam Gallagher comme improbable beau-frère ? Comment réagir au départ de Leeroy Thornhill, longiligne breakdancer ? Quel sort réserver à Keith Flint et Maxim Reality, MC's grimés et outrés, désormais élevés au rang de rock stars post-apocalyptiques ? Ces questions, le cerveau de The Prodigy ne va cesser de les ressasser comme une rage de dent lancinante pendant sept douloureuses années. Sept ans de doutes, sept ans de tâtonnements, sept ans de revirements. Sept ans de malheur, après quelques mois de gloire euphorique.

Il est impossible de se pencher sur le quatrième opus du gang techno-punk sans analyser les ressorts de sa pénible gestation. On peut certes l'attribuer à l'indolence et la perte d'inspiration consécutives au triomphe de son prédécesseur, mais l'explication demeure insuffisante. The Prodigy n'a jamais été un collectif stakhanoviste, se contentant d'aligner cinq réalisations sur plus de deux décennies de carrière. Maigre moisson. C'est que, derrière son air effacé, Liam Howlett cache un tempérament volcanique. Le type est un boulimique de sons, un maniaque du détail, hanté par l'idée de se répéter. D'où sa discographie sèche, mais pulsée par une constante course prométhéenne. Chaque disque de Prodigy se devait de remporter un nouveau défi, de frapper plus fort que le précédent. Experience avait eu l'audace de faire communier la multitude avec l'univers clandestin des rave parties, Music For The Jilted Generation marquait le deuil de ce mouvement, assassiné par les Criminal Justice Bill, et tentait de s'accaparer le lustre d'un rock revenu en grâce par la fusion et le grunge, The Fat Of The Land enfonçait le clou, empaquetant punk, hip-hop et électro pour forger le défouloir ultime, un Nevermind The Bollocks 2.0 qui brouillerait les cartes entre les genres, entremêlerait les postures et décollerait les étiquettes au napalm. Howlett a réussi chacun de ses paris, au-delà de ses espérances.

Très finement, il a rapidement compris, contrairement à ses collègues qui explosèrent au même moment (The Chemical Brothers, Fatboy Slim, Basement Jaxx…), qu'il lui fallait donner à sa musique une identité visuelle forte, surtout sur le terrain du live où d'ordinaire le grondement des enceintes se trouve accompagné de quelques lasers et de fades papiers peints visuels. Simples danseurs dont le rôle se limitait strictement à haranguer le public, Keith Flint et Maxim Reality sont progressivement passés au premier plan, leur flot de postillons se muant petit à petit en embryons de couplets et de refrains. Flint tapa dans le mille lorsqu'il se fit la tronche du Johnny Rotten de la grande époque. Sa double iroquoise rose fluo arborée dans les clips de "Firestarter" et "Breathe" s'imprima dans la rétine de toute une génération, au même titre que le gant de métal et les lentilles reptiliennes de Maxim. Ces trouvailles fonctionnèrent tellement que, revers de la médaille, elles figèrent pour toujours Prodigy à la case 1997, alors que Howlett s'était systématiquement employé à se réinventer sur chaque album, aussi bien musicalement que visuellement. La problématique de ce quatrième opus débouche logiquement sur ce dilemme : faut-il partir dans une direction inédite, et fatalement placer les deux énergumènes en retrait, sinon leur assigner une autre fonction, ou bien capitaliser sur la formule de The Fat Of The Land ? Si la gestation de Always Outnumbered, Never Outgunned fut si longue, c'est justement parce que Howlett mis longtemps avant de trancher entre ces deux options.

Le bases du projet sont posées dès septembre 1998, dans l'élan d'une tournée triomphale. Mais Howlett n'arrive pas à redescendre de son petit nuage, se collant au turbin sans grande conviction. Deux ans plus tard, il jette l'éponge, flanque ses démos à la poubelle et décrète un break, le temps pour lui de "sortir avec les potes et se saouler". Retour au studio en 2001, où le compositeur collationne mollement boucles insipides et séquences périmées dans les circuits de son sampler, paralysé par une inspiration stagnante que la montagne de machines qui s'empilent dans les locaux ne parvient pas à animer. De guerre lasse, il finit par supplier Neil Maclellan (qui l'avait aidé à mixer Music For The Jilted Generation et les singles phares "Firestarter" et "Breathe") de venir à la rescousse. Flanqué de deux ingés son, Maclellan pousse son protégé à retourner chez lui à Londres où il est placé sous son étroite surveillance. Seuls un laptop sur lequel est installé le studio digital Reason de Propellerhead et quelques claviers Korg transitent dans ses bagages. Une grosse moitié d'album voit le jour au prix d'extrêmes douleurs, c'est assez pour se relancer à la conquête d'un public pour qui le terme Big Beat constitue déjà un lointain souvenir. À l'été 2002, le single "Baby's Got A Temper" est envoyé en reconnaissance. Ecrit par Flint, l'éphémère formation punk-rock de Keith, et boosté aux anabolisants par Howlett, le morceau reconduit avec application la formule firestartienne : beat obèse, glaviots crachés avec l'accent cockney, sirènes hurlantes, rien ne manque, pas même les lyrics doucement subversifs en forme d'apologie du Rohypnol, la drogue du viol. Une telle paresse stylistique se voit sanctionnée d'un demi-échec auprès du public et de la critique. C'est finalement le clip qu'on retiendra le plus de ce come-back raté. Cynique et outrancier, il offre le spectacle d'un groupe résigné à trimballer son cirque sans trop y croire, comme des fonctionnaires blasés, devant un public (symbolisé par un troupeau de vaches) qui ne voit en Prodigy qu'un prétexte à se défouler. Voilà qui en dit long sur l'état d'esprit du leader du pack.

Après une rapide tournée des festivals estivaux, Howlett remet son ouvrage sur l'établi, et une nouvelle batterie de morceaux passe à la trappe. On ne sait pas grand chose sur la nature de ces rebuts. Les inédits "Razor" et "Back 2 Skool" (présents sur le disque bonus du best of Their Law) ou encore le titre "Wake The Fuck Up" qui ouvrait la compilation de Liam (Back To Mine) faisaient-ils partie de cette charrette ? Les bootlegs des concerts de cette époque nous apprennent en revanche que bon nombre des titres du futur opus étaient déjà esquissés dans des versions plus longues, plus boursoufflées, bénéficiant des contributions vocales de Flint et Maxim. "Trigger" reprenait ainsi la plupart des éléments de "Shoot Down" dans une mouture moins bourrine, "Night Boat To Cairo" s'improvisait comme une esquisse de "Medusa's Path". Howlett a en somme tiré le bilan de l'expérience "Baby's Got A Temper", en renonçant à ce qui se profilait comme un Fat Of The Land bis, comprenant que radoter le menait droit dans le mur. Et le compositeur de prendre la décision qui s'imposait : flanquer le skinhead hystérique et le MC vaudou à la porte du studio, ces derniers retournant à leur fonction première d'agitateurs scéniques.

Dos au mur, Howlett s'est replié sur ce qu'il considère représenter les fondamentaux du son Prodigy : une musique décomplexée, basique, brutale et un peu idiote. Qu'il en soit ainsi. Conscient qu'il est à deux doigts de passer pour un has been, le prodige entreprend le disque comme une virulente déclaration de guerre, une arme de déhanchement massif, un engin explosif carburant au dance-punk, car tel sera le fil conducteur adopté. Toujours en minorité, jamais à court de munitions clame le crédo vengeur inscrit au frontispice de ce quatrième album. Seul face à son programme et ses claviers, le bonhomme n'en oublie pas moins de réquisitionner une pléiade d'invités. Affirmant sa fidélité au hip-hop, il convie de nouveau Kool Keith à la noce et s'offre Twista et son flow unique, basé sur un phrasé effréné débité en rafales continues dont il crible l'orientalisant "Get Up Get Off". Mais il accorde surtout les pleins pouvoirs aux voix féminines, omniprésentes sur tout le disque, une fascination qui, de "Music Reach" à "Smack My Bitch Up" en passant par "No Good", a toujours accompagné le groupe depuis ses débuts. Aguicheuses aux limites de l'indécence, à l'image des Ping Pong Bitches sur "Girls" (qui repasse à tabac les beats massifs de "Smack My Bitch Up") ou de Princess Superstar le long du plombé "Memphis Bells", ondulant en une lascive danse du ventre ("Get Up Get Off"), surgies des limbes des sixties ("Phoenix", remix du "Love Buzz" de Shocking Blue que Nirvana avait déjà revisité sur Bleach), elle règnent sur le dancefloor avec l'autorité salace d'une maitresse SM. Une prise de pouvoir qu'incarne bien Juliette Lewis, se taillant la part du lion sur les incendiaires "Spitfire" et "Hotride", petite riot girl princess dont les hurlements rauques prennent la place qu'occupait jadis Keith Flint.

Musicalement, le virage stylistique s'avère encore plus radical. Exit les rythmiques issues de la jungle et du breakbeat, tout comme les pulsations déjà arthritiques du Big Beat. Conscient qu'en ce début de millénaire, c'est au r'n'b de Timbaland et des Neptunes qu'il faut à présent se mesurer en terme de production, Howlett cale ses BPM sur les cadences puissantes du hip-hop pour virer tous les potentiomètres dans le rouge. Résultat, Always Outnumbered, Never Outgunned n'est ni plus ni moins qu'une bastonnade en règle de près d'un heure. Les infra-basses, menaçantes, grondantes, au bord du grésillement, broient la carotide. Les beats pleuvent et assomment le plexus. Les samples d'abattent en grêle drue, s'entrechoquent, se percutent, se concassent, giclent en gerbes acides. Les riffs électriques ont laissé place aux torrents de claviers ultra-compressés, impitoyables instruments à laminer les tympans. C'est désormais à travers cette production à l'agressivité inouïe, aux limites du bourdonnement continu, que l'énergie rock passe, et non plus par le looping paresseux de quelques samples de guitare. Les douze pistes schlinguent les boites éclairées au fluo, rades à la vulgarité clinquante où les oligarques russes besognent des lituaniennes mineures sous les néons glauques en se gavant de coke et de vodka-redbull, avec tout ce que ce genre de spectacle peut avoir de fascinant et de répugnant. Pas la moindre seconde de répit ne sera accordé à l'auditeur, du guerrier "Spitfire" en passant par l'éboulis de groove über-maousse de "Memphis Bells" ou le krautrock amphétaminé d'"Action Radar", un joyeux vacarme que Liam Gallagher vient clore les poings dans les poches, en brayant à tue-tête les ultimes coups de semonce de "Shoot Down".

Dans le registre de l'efficacité brute, le combo de l'Essex s'en est très bien sorti, le disque tenant encore bien la route sept années après sa sortie. Il entérine cependant une rupture discographique franche. En braquant quasi-exclusivement son mur de son sur son potentiel de destruction scénique, Liam Howlett a renoncé à domestiquer l'expérience Prodigy sur album. Adieu les subtilités d'un "Weather Experience", d'une Narcotic Suite ou d'un "Narayan", seul prime ici un hip-hop électronique admonesté à la sauce hard rock. Seule piste à peu plus nuancée de l'ensemble, "Medusa's Path" ne parvient pas à exhaler l'envoûtant parfum hallucinogène d'un "Climbatize". Howlett semble même tirer à la ligne, lorsqu'il se contente de molester le célèbre sample de "Thriller" à coups de boite à rythme ("The Way It Is") ou de s'abaisser à l'exercice du remix bas de gamme ("Phoenix"). AONO est un bloc de violence pure, et ne tente plus de varier les atmosphères comme jadis, une recherche de la consommation immédiate qui annonce déjà le très médiocre Invaders Must Die.

Le public est loin d'accorder un triomphe à cette quatrième réalisation. Sept longues années d'attente ont fini par tuer le désir. Si le disque fait un joli démarrage en Angleterre, "Girls", puis "Spitfire" et "Hotride" surnageront bien vite dans les moitiés de classement. Pourtant, Prodigy y prophétisait une forme d'éléctro sauvage et débridée dont la formule à base de beats poisseux et d'échardes acides se verrait bien vite dupliquée, de Digitalism aux frenchies de Justice, jusqu'à la génération nu-rave. Pourquoi ne leur a-t-on pas pardonné ce qu'on a loué chez ses descendants ? Qu'attendait-on d'eux, après avoir exclu le rabâchage de l'ère Fat Of The Land prôné par "Baby's Got A Temper" ? Vestiges d'une époque dont le mot fusion était la clé de voûte, les Prodigy n'ont plus besoin de jouer les passeurs, les genres sont devenus perméables et désormais les rockeurs savent très bien se construire une culture électro par eux-mêmes, et inversement. Le groupe semble en tout cas renier cet épisode. Preuve en est leur récente tournée, où aucun titre de l'album n'y a été exécuté. De même, le disque et ses singles ont été exclus de l'ample campagne de repressage vinyle entreprise sur leur catalogue à l'occasion de la sortie de Invaders Must Die. On s'entête pourtant, en dépit de l'avis général, à se repaître encore et encore de ce rollercoaster hystérique au mauvais goût assumé. Avec cet ultime baroud d'honneur, Liam Howlett renonce à continuer d'écrire les pages de l'histoire de la musique éléctro et prône le saccage décibélique tous azimuts. Jouissif naufrage.
Maxime

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Ghinzu : Blow
Septembre 2004

Lors de la première écoute, on est en droit de se demander si Blow est étrange (dans sa connotation péjorative) ou s'il est totalement extra. Quelques écoutes, voire une écoute plus tard, le verdict tombe : purement superbe. Sagesse et violence, noir et blanc, douceur et piquant, John Stargasm met toutes les armes de son coté pour séduire ses proies. 12 titres, et presque 12 angles d'attaque. Les Ghinzu ne se mouillent pas pour quelques morceaux de l'album, quand ils offrent des titres vendeurs, où la règle de la chanson qui plait à tout le monde est appliquée : de la guitare, de la batterie, un bon rythme et hop. Exemple de ''Do you read me'', qui flirte globalement avec du Strokes et qui est médiatisée, et aimée. Malheureusement la chanson résume mal le groupe. Heureusement, ce presque conformisme n'est que mineur, et la nature bouillante, errante, prend le dessus.

C'est presque sans aucun doute que nous pouvons dégoiser, la main sur la hanche, que toute la force de Ghinzu réside dans l'originalité et la puissance de leurs morceaux. Oscillant coquettement entre calme trompeur et hystérie maitrisée, Stargasm et sa bande ruse, charme et électrise. La prise de risque est alors appréciable, car le chant des instruments est d'un parfait saisissement. Notre attention est tiraillée vers cette fusion d'instruments, étonnante et magnétique, où claviers, violons, batterie et guitares mélangent leurs grâces. Difficile de rester passif, sauf peut être lors des morceaux quasi dénués de paroles (''21 century crooners''). Flottement. On ne peut balayer les pistes pour en tirer un climat général, puisque chaque morceau est un melting pot de décors musicaux. Une case pour ''Cockpit Inferno'', une autre pour ''Sweet love'', et encore une autre pour la binaire et renversante ''The Dragster wave'', par exemple. Finalement, tout est annoncé subtilement dans le titre éponyme et d'ouverture de 8'50, intense, pluriforme et inquisiteur.

Définir le style ambiant de Blow semble périlleux : piano-rock, art-rock, pop-rock, alternatif ? Finalement l'étiquette est futile, ''Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse'', comme disait à juste titre, ce cher Musset. Après un coup d'épée dans l'eau (avec Electronic Jacuzzi), Ghinzu s'empare de 2004 et la conclusion semble évidente : les Belges ténébreux volent légèrement au dessus de leurs amis pop-rockeurs à la formule facile et au succès prédit, et taillent leur univers d'une main de Ghinzu.
Emilie

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