Steven Wilson
Salle : Trianon (Paris)
Première partie :
Forte affluence éclectique et transgénérationnelle, mais peut-être pas salle comble en ce jeudi 4 mai. Alors que les portes sont ouvertes depuis 18h30, les amateurs de Wilson peuvent discourir tout leur saoul tandis que s'égrènent sur la scène de curieux plans photographiques animés, projetés sur un grand rideau blanc. Une entrée en matière intrigante mais malheureusement un peu longuette : il faudra que l’assistance se farcisse pas moins que l’intégralité du dernier album de Bass Communion, soit trois bons quarts d’heure d’ambient tour à tour crépusculaire et onirique illustrés par ce grand rideau immobile, avant que les musiciens ne prennent place successivement au rythme du teigneux "No Twilight Within The Courts Of The Sun", le massif quasi-instrumental d’Insurgentes. D’emblée, la qualité sonore impressionne positivement : Steven Wilson ne fait pas mentir sa réputation de sonoriste pointilleux et engagé, et de fait chaque instrument possède une puissance et une précision effarantes. Pas le temps de souffler, car à peine Wilson a-t-il eu le temps de prendre place au piano que déjà retentit l’inquiétant et synthétique "Index", dont la retranscription live donne lieu à un jeu de lumières théâtralisées du plus bel effet, rythmées au gré des riffs et des frappes de caisses. Nous voilà déjà rassurés : clairement le déplacement ne s’est pas effectué pour rien, et l’euphémisme est léger.
Sur scène, l’homme à la barre se trouve littéralement envoûté par son projet solo, faisant montre d’une présence et d’une implication encore plus intense que lors d’un live de Porcupine Tree, ce qui n’est pas peu dire. Toujours drapé dans sa tenue de scène habituelle, T-shirt et jean noirs sur pieds nus de rigueur, Wilson maîtrise chaque titre à la perfection, que ce soit vocalement ou instrumentalement. Il s’est pour cela entouré d’un backing band dont le bagage technique ferait presque rougir l’arbre à porc-épic, entre un bassiste-vocaliste à la longue chevelure blanche qui fait furieusement du tapping sur son manche en emballant les choeurs angéliques, un batteur survolté et surpuissant tout en approche fluide et jazzy, un guitariste à mèche bougon qui fait vrombir sa stratocaster à la moindre occasion, et les habituels claviériste et flûtiste-saxophoniste (Theo Travis, immense dans tous les sens du terme). On comprend mieux pourquoi le binoclard prog planche en étroite collaboration avec cette bande de tueurs sur son troisième projet solo... en parlant de ça, d’ailleurs, Steven Wilson nous a réservé une surprise : un inédit qui prendra place sur son prochain disque, "Luminol". Et bon sang, quel morceau, racé, percutant, puis ménageant des instants de purs flottements ouatés sans se départir d’une certaine forme de luminosité, une sorte de King Crimson extatique et optimiste ! Auparavant, nous avons droit aux meilleurs morceaux de Grace For Drowning, illustrés en toile de fond par les courts métrages glauques et fantastiques de Lasse Hoile, du doux "Deform To Form A Star" à l’entêtant et sombre "Reminder The Black Dog", sans oublier quelques pièces de choix d’Insurgentes, loin d’être oublié lors de ce set ("Harmony Corine", toujours aussi limpide, "Abandonner" et son contraste calme - éléments déchaînés), avec même une exclusivité parisienne ce soir : le morceau titre du premier album, très réussi même s’il manque la fameuse guitare japonaise qui donnait tout son charme à la pièce sur disque. L'ambiance est bonne, Wilson prend le temps d'échanger longuement en anglais avec une assistance conquise et respectueuse, même si un petit malin croit bon de balancer un "Joue nous un morceau de Porcupine Tree !" pas vraiment très subtil. "Tu t'es trompé de concert, mec. On m'a déjà fait cette blague, faut te renouveler un peu !", répond un Wilson impassible et amusé, déclenchant un fou rire général qui électrise positivement l'assemblée. Mais bien sûr, les grands moments du live sont représentés par les terrifiants morceaux à rallonge de Grace For Drowning, l’orchestral et crimsonien (encore) "Sectarian" et le colossal "Raider II", sur lequel Wilson parvient à retranscrire des arpèges supersoniques à couper le souffle, un prestation de folie.
Court rappel avec le troublant "Get All You Deserve", et Wilson se décide enfin à prendre la tangente après pratiquement 2h30 de show, non sans avoir pris le temps, comme à son habitude, de saluer longuement l’assistance. On comprend mieux, en quittant la salle, comment un groupe comme Porcupine Tree a pu se retrouver classé quatrième meilleur performer live, toutes tendances rock confondues, sur un classement publié il y a deux ans dans Ultimate Guitar. Le mérite en incombe indubitablement à ce grand monsieur qui, sous ses airs fragiles et timides, cache un redoutable emballeur de concert doublé d’un ingénieur du son exemplaire. Que ceux qui craignent que le retour de Porcupine Tree se fasse attendre soient rassurés : si Steven Wilson nous plante encore quelques albums solo ponctués de live de cette trempe, nous aurons largement de quoi nous régaler les oreilles durant les années à venir. Et si vous n’avez pas encore compris, on va être plus clairs : ceux qui n’ont pas encore vu Steven Wilson en live ont intérêt à prendre rapidement leur billet lorsque la prochaine occasion se présentera : ils risquent de ne pas s’en remettre.
Setlist
No Twilight Within the Courts of the Sun
Index
Deform to Form a Star
Sectarian
Postcard
Remainder the Black Dog
Harmony Korine
Abandoner
Insurgentes
Luminol
No Part of Me
Raider II
Rappel
Get All You Deserve