Queens of the Stone Age
Un compte à rebours d'une minute apparait : QOTSA investit la scène, salué par une clameur démente. Un souffle euphorique traverse la salle, plus que dix secondes. Trois, deux, une, c'est parti ! "Medication" ! Un séisme naît sous les milliers de pieds qui martèlent le rythme. La foule s'est pressée vers l'avant, le verni de la civilisation a disparu. On saute, on danse, on hurle sa joie. Les rugissements d'amplis réveillent nos instincts bestiaux. Le son est énorme, la grosse caisse vibre jusque dans la moelle des os.
Commence alors le sinistre "Keeps Your Eyes Peeled". Dans la lumière violacée, la mélodie lugubre se traîne jusqu'au prochain morceau. On pardonne d'autant plus facilement que Jon Theodore, nouveau venu à la batterie, enfonce l'accélérateur à faire péter le moulin en lançant "Millionaire". Cette version live est tout bonnement pachydermique. Premier pogo au milieu des flashs verts et blancs. Histoire de faire monter la sauce, le groupe enchaîne sur un second classique : "No One Knows". Complètement délabrée, une immense enseigne QOTSA apparaît en fond. Exceptée la touche morbide ajoutée depuis le dernier album, l'imagerie du groupe est restée la même : de la drogue, du cul et du désert. Avec sa classe nonchalante, Homme demande : "ça va Lyon ?" Mais oui ça va, ça va très bien même ! Le groupe est en pilotage automatique, la mécanique implacable roule sur le public, l'écrase sous ses basses stéroîdées, mais on en redemande.
Le matraquage continue avec un troisième classique, "Avon". La puissance du titre emporte sans distinction néophytes et connaisseurs. QOTSA ménage d’ailleurs la frange avertie de son public en sortant du carcan des quelques standards incontournables du groupe. La set list correspond à une configuration « de tournée », savant panachage consensuel de titres « grand public », de nouveautés et de « raretés ». L’heure de la piqûre de rappel promotionnelle a sonné, avec trois titres issus du dernier album : "My God Is The Sun", "I Sat By The Ocean" et l’éponyme "…Like Clockwork". L’intelligent decrescendo suivit par ces trois titres résume, dans une sorte de typologie, le dernier bébé de Queens Of The Stone Age : du franc bourrinage, une bonne dose de guitare dansante et quelques sorties mélancoliques.
"I Never Came" et "In The Fade" installent le concert dans une ambiance plus torturée qu’attendu : ces morceaux faussement dynamiques laissent transparaître une fragilité très éloignée des chansons calibrées « séquence émotion ». C’est peut-être le choix de ces morceaux subtils – pour du QOTSA – qui surprend le plus agréablement. On regrette "Long Slow Goodbye", qui n’aurait pas détonné dans ce passage. On regrette également que l’acoustique déplorable de la halle Tony Garnier, dont les ingénieurs du son s’étaient pourtant bien accommodés, ait dévoré la guitare solo sur le refrain d’"In The Fade". "If I Had A Tail" et ses paroles cabotines ajoute un piquant rafraîchissant à un concert un peu trop sage pour l’instant. Accompagné d’une projection des plus suggestives (un visage de femme, vu de profil, léchant les bords de l’écran), le morceau donne envie de se déhancher avec le premier succube venu. Rien à voir avec "Kalopsia", au mieux soporifique, au pire exaspérant. En plus de ne pas être le meilleur titre de QOTSA, le morceau dure une plombe et ne bouge pas d’un iota par rapport à la version studio. L’improvisation n’a d’ailleurs pas l’air d’être au programme. Le copier/coller studio/live est compréhensible, ou trop répandu pour qu’on s’en offusque, mais le temps mythique des generator parties est décidemment révolu.
La « petite sœur » de Lullabies To Paralyze sauve heureusement le public de la catatonie. Joli solo de Josh Homme, leader omniprésent d’un groupe dont les autres membres passent pour des figurants. Sans conteste l’un des morceaux possédant le plus gros potentiel « live » du dernier album, "Smooth Sailing" explose les groovomètres avec son intro à la Them Crooked Vultures et son tempo binaire râpeux. Je m’attends à voir débarquer un cow-boy badass à chaque instant. Dommage en revanche que le mixage ne soit pas plus doux sur "Make It Wit Chu". Sans lui donner plus de punch, la grosse caisse omniprésente étouffe la dimension planante du duo gratte/piano. L’hystérie royale reprend ses droits avec "Sick Sick Sick". Pan ! Je prends un grand coup de coude en pleine poitrine, au milieu d’un pogo. Les risques du métier. C’est l’émeute : les forcenés, échaudés par la basse fuzz de Michael Schuman, se lancent dans un tour d’auto-tamponneuse en pleine fosse. Le concert prend des allures chamaniques quand la guitare lancinante de Troy Van Leeuwen lance "Better Living Through Chemistry". Cette version rallongée de trois minutes donne enfin l’impression que les reines de l’âge de pierre se laissent un peu aller. Ce n’est pas vraiment une impro, mais ça y ressemble.
L’imparable "Go With the Flow" fait office de conclusion à la partie « régulière » du concert. QOTSA peine un peu à faire tourner cette locomotive sans saccade. Même si le morceau fonctionne, il est un peu brouillon. Il faudrait un Dave Grohl ou un Nick Oliveri pour remettre un peu d’huile dans le moteur. Le rappel commence avec "The Vampyre of Time and Memory", ouvertement pop mais très réussi. Encore une fois, Josh Homme est impérial et tracte l’ensemble. Le magnifique "I Appear Missing", tantôt tranchant, tantôt chaloupé, donne le sentiment d’une maîtrise parfaite des nuances et de la syncope. 20/20 pour QOTSA, qui parvient à restituer tout l’éventail d’émotion de ce morceau à la fois épique et mélancolique.
Le noir salle revient, dans un beuglement généralisé, le public réclame la dernière chanson, qu’il connaît d’avance. "A Song for the Dead" commence. Dans un crépitement de flashs blancs, le riff obsédant introduit l’intro colossale imaginée par M. Grohl. Le batteur pioche sur les refrains, mais c’est bon signe : il est humain. 21 titres, dont la moitié à s’en faire péter les articulations, ça calme son bonhomme. J’avoue ne plus très bien me souvenir de la qualité intrinsèque de cette version, mais seulement de l’impression de ferveur qui émanait du public à ce moment. Queens Of The Stone Age a fait son boulot, rien que son boulot, et ça suffit à rendre les gens heureux. La lumière revient, la musique d’ambiance aussi. Le public a le sourire.