L’on attend trop des artistes, à tel point que l’on se retrouverait presque déçu quand ces attentes ne sont pas totalement comblées. Les récentes reformations de groupes légendaires n’ont pas tenu les belles promesses qu’elles ont fait insidieusement miroiter aux auditeurs. Les rumeurs d’un nouvel album, d’une nouvelle phase de composition se font entendre, créant l’émulation et par conséquent un désir mêlé de peur à l’idée que le prétendu travail ne soit pas à la hauteur du mythe, puis viennent à s’effondrer soit dans le démenti, soit dans la médiocrité de l‘œuvre tant convoitée. C’est pourquoi il faut détruire les mythes. Détruire les mythes pour ne plus susciter l’attente et savoir enfin se contenter de ce que l’artiste a à offrir sur le moment présent, tant que ce n’est pas de la soupe que l’on nous sert, mais bien une œuvre honorable et somme toute plaisante.
Il est tout à fait possible que les trois premiers albums des
Queens Of The Stone Age furent l’apogée d’un groupe qui ne retrouvera jamais sa superbe. Faut-il pour autant bouder son plaisir devant des albums comme
Lullabies To Paralyse et
Era Vulgaris qui, s’ils possèdent effectivement leurs instants de faiblesse, sont avant tout des albums d’une qualité indéniable dans le paysage musical actuel ? La réponse devrait être non, bien entendu, mais que voulez vous, l’attente se fait maîtresse de la situation. L’on se remémore la richesse du sentiment des premières écoutes, se focalise sur ce que l’on veut entendre et se retrouve frustré devant le fait accompli, incapable de passer le stade de la première déception… Alors quand les
Queens Of The Stone Age ont annoncé une tournée hommage au premier album éponyme qui serait joué dans son intégralité, autant dire que l’émulation fut intense et l’attente forcément conséquente.
Arrivé bien trop tôt devant la Laiterie, on peut contempler la foule débarquer par vagues légères durant quelques heures. Les portes enfin ouvertes, la salle se voit investie par un public relativement varié qui finit très vite de la remplir à bloc. Preuve de l’intérêt que portent actuellement les Queens au blues, la première partie ouvre le bal sous le nom des Dough Rollers, envoyant une rockabilly jeune et fougueuse, quelque peu statique mais efficace. Le bassiste lui se dandine bien, ses doigts s’affolant dans tous les sens quand le chanteur gueule à s’en faire saillir les veines. Beaux gosses, cheveux peignés en arrière et gomina de rigueur, les New-Yorkais chauffent gentiment la salle pour mettre le peuple en jambe. Rien de transcendant mais c’est plutôt réussi. Les techniciens s’affairent longuement avant de voir les lumières s’éteindre et l’un d’eux, fringué en travelo, annoncer les Queens d’une voix incantatrice en arrachant une perruque noire de son crâne chauve.
Pour ce que l’on a entendu de la bouche de l’intéressé même, on sait bien que Josh Homme en a assez de rejouer cet album en boucle chaque soir, ce qui expliquera l’absence de l’étincelle habituelle dans ses yeux, dénigrée pour un professionnalisme exemplaire bien qu'éthylique. Mais dés les premiers accords de "Regular John", l’on sent que quelque chose fait tache dans le décor. Le son est crade et pas dans le bon sens du terme. La guitare de Homme n’a pas la moindre effluve de sa lourdeur légendaire mais un son suraigu, agressif qui couvre absolument tout. Bien sûr la position à la rambarde balance plus facilement les crachats des amplis que la rondeur de la façade mais ce fut apparemment le cas pour toute la salle, voire celles de toute la tournée. L’on appréciera tout de même que le solo une nouvelle fois raté de Troy Van Leeuwen sur "If Only" soit noyé dans la masse avant de se prendre la première sévère mandale.
Si le trio de tête de l’album est effectivement gâché malgré un "Avon" appréciable, "Walkin’ On The Sidewalks" se retrouve embellie par un son finalement à la hauteur de l‘évènement. Les embruns hypnotiques qui ont fait de cet album un disque de chevet revêtent tout leur puissance et leurs vertus dans ce riff à rallonge mécanique et tordu, et c’est à partir de ce moment que le concert prendra toute son ampleur. Dean Fertitia s’empare d’un téléphone et s’offre son seul véritable instant de gloire en pianotant les tonalités de l’intro de "You Would Know", véritable bombe psychédélique qui souffle toute la Laiterie dans sa progression hallucinée et ce refrain final qui s’envole dans une splendeur rare et éthérée. Les titres s’enchainent dans une moiteur lourde et synaptique avec un "How To Handle A Rope" ravageur et la rythmique éléphantesque de "Mexicola", le son de Mike Schuman remplissant allègrement son office pour en venir enfin à l’ovni "Hispanic Impressions" et sa structure déjantée qui passe très largement l’épreuve du live malgré la désespérante inutilité chronique de Fertitia, cantonné à observer le public et discuter avec le technicien, toujours chauve mais moins travesti.
Le line up actuel (d’ailleurs le plus étendu depuis l’existence du groupe) semble trop peu adapté à l’interprétation d’un album si sobre et minimaliste. Quel est l’intérêt si l’un des musiciens doit se contenter de deux notes de clavier à droite et de secouer des maracas à gauche ? Les morceaux nécessitaient peut-être une ou deux retouches qui auraient permis à tout le monde d’y prendre un plaisir conséquent. Ceci ne nous empêchera pas de prendre un pied monumental à l’écoute de "The Bronze", monument des premières heures des Queens avant de retomber sur "Give The Mule What He Wants" et un "I Was A Teenage Hand Model" qui s’en tire à merveille et voit Josh Homme poser son Ovation et parler de cul en bon crooner, la clope au bec, finalement ivre après s’être enquillé la moitié d’une bouteille de tequila. La peur de l’oubli de "I Can’t Quit You Baby" fut vite estompéé par une version à vous coller en transe, la ligne de basse redondante résonnant dans l’estomac et les break démentiels de Joey Castillo dans le crâne, voyant enfin les reines au sommet de leur art, dans l’improvisation folle, enflammée, enchaînant solo sur solo dans un chaos maîtrisé jusqu’à l’apogée fiévreuse, point d’orgue incandescent d’un groupe qui se libère enfin après une heure de show.
Premier rappel. Au vu des récentes setlists, on était en droit d’espérer quelques b-sides ou autres perles bien senties de Rated R ou Songs For The Deaf comme "Better Living" ou "Sky Is Fallin’", et si c’est bien un "Hangin’ Tree" incroyablement jouissif qui rouvre les hostilités, la suite sera moins grandiose. Oui les sets des Queens s’essoufflent. A toujours privilégier les singles habituels, on finit par perdre l’originalité du show, la bonne surprise qui fait plaisir, et on se retrouve avec les éprouvés "Burn The Witch" et "Little Sister", esquivant bien heureusement "Make It With Chu" au profit de "Long Slow Goodbye" et son arrière goût de Natasha Schneider, pour finir après un nouveau rappel sur un "No One Knows" expéditif amputé de toutes ses improvisations superbement greffées dans la tournée de Lullabies. Pas même le classique "Song For The Dead" pour relever une dernière fois la foule. Le groupe se retire après une bonne heure et demie, laissant s’éteindre ses luminaires bon marché et la salle se rallumer.
La nostalgie semble être à la mode en ce moment dans le monde du desert rock. Entre
Fu Manchu qui se fend d’une tournée hommage à
In Search Of…,
Monster Magnet d’une autre consacrée à
Dopes To Infinity et trois membres de
Kyuss qui font revivre la légende pour un temps, le milieu est plutôt effervescent et fait parler de lui. Pour autant, c’est pourtant un concert en demi teinte qui aura eu lieu ce soir avec des
Queens Of The Stone Age relativement absents mais au professionnalisme quasi exemplaire, une setlist à la fois bandante et décevante et beaucoup de questions qui se posent pour la suite. Nous attendions de l'"exceptionnel" mais n'avons eu droit qu'à du "vraiment cool". Le seul plaisir à tirer de ce concert étaient les morceaux du premier album bien qu'ils furent interprétés d'une manière fade et trop peu vivante.
C’est un fait et nous ne manquerons pas de le souligner notre rédacteur en chef et moi : le retour en arrière est impossible. Il est vain d’espérer retrouver même une infime part du line up flamboyant qui avait ouvert la dernière décennie sous les meilleures auspices et donc peu de chance de revivre la révolution qui avait commencé à s’opérer. Désormais et depuis un certain temps, Joshua Homme est seul maître à bord d’une machine qui tourne mais n'a plus rien à prouver et si l’on peut toujours espérer de très belles choses du rouquin, n’attendez pas trop : il est mauvais de vivre dans le passé. Nous reste donc à garder patience pour le successeur de Era Vulgaris qui, s’il n’aura en effet plus rien à démontrer, devra tout de même se pointer avec une certaine consistance s’il ne veut pas décevoir.