Queens of the Stone Age
Voilà un concert que l'on attendait depuis de longs mois avec une impatience certaine. Dans le sillage de la salutaire réédition de leur premier opus (le pressage original chez Roadrunner avait fini par atteindre des prix démentiels sur ebay), les Queens se fendent d'une tournée au cours de laquelle ils réinterprètent l'album dans son intégralité, une pratique de plus en plus répandue chez les groupes confirmés, maintenant que le live est devenu la seule activité rentable du métier, et qui se vérifie également dans le petit monde du stoner (voir Fu Manchu et son récent In Search Of Tour). Alors que le nom du groupe grésille en néons rouges sur la façade de l'Olympia, on croise tout un peuple de revenants, des fans de la première heure notamment, qui avaient progressivement lâché la bande à partir de Lullabies To Paralyze, perturbés par l'évolution stylistique du combo et sans doute également par un succès croissant qui les a contraint à partager le fruit de leur adoration avec un public de plus en plus vaste et de moins en moins légitime à leurs yeux. Car à l'heure où la plupart des critiques retournent leur veste en louant ce premier effort, il faut bien se souvenir que le disque s'était fait, au pire exécuter, au mieux accueillir avec une polie condescendance par les médias spécialisés, ces derniers se demandant avec quel culot Josh Homme prétendait tourner la page Kyuss en s'embringuant dans un groupe à la personnalité si fade (on a gardé les articles, on a les noms !). Avec un disque uniquement disponible en import, les QOTSA étaient à l'époque affaire d'initiés, seule une petite centaine d'aficionados se pressait à leur premiers passages hexagonaux à la Boule Noire ou la Loco. Une partie de ce public originel, qui ne s'était plus déplacé pour les Californiens depuis des années, est de la partie pour un ultime baroud d'honneur, alléchés par la perspective de s'enquiller des morceaux qui n'ont pour certains plus été joués depuis des lustres dans une salle à taille humaine. Une façon de faire son deuil en beauté, avant de passer définitivement à autre chose sur l'air de "t'façon les Queens c'est plus c'que c'était".
Qu'il fasse office de paradis perdu pour les vieux fans aigris ou qu'il soit redécouvert par la génération Songs For The Deaf, le disque homonyme n'a pas perdu son magnétisme avec le poids des années. Au contraire même, tant la singularité de cet album ne fait qu'en renforcer le charme persistant, au fur et à mesure que la discographie du groupe se perd en digressions plus ou moins bien acceptées. Le chant encore timide de Josh Homme, les guitares ultra-compressées, la rythmique tendue d'Alfredo Hernandez, les titres entamant parfois un flirt poussé avec le krautrock ou le grunge néandertalien, la mythique version vinyle de Man's Ruin (dont Domino n'a malheureusement pas conservé la sublime pochette pour le repressage), on s'en repait comme jamais. Tout le monde, vieux briscards comme récents convertis, semble aujourd'hui vénérer cette époque où les Queens Of The Stone Age voulaient faire danser les robots sur le groove cadencé du stoner. C'est dire si, quelque soit le rapport de chacun avec l'évolution du groupe, le concert était attendu à l'unanimité avec fébrilité. Entre déception fugace, enthousiasme intermittent et circonspection tenace, chronique d'une soirée où l'on passera par une foultitude de sentiments et d'impressions parfois contradictoires.
L'honnêteté nous oblige d'abord à indiquer d'où l'on parle. Préférant des conditions d'écoute a priori optimales à la moiteur brutale de la fosse à pogos, on a choisi de se poster au balcon, un peu au-dessus de la console de son, exactement en face de la scène. Cette indication topographique n'est pas anodine, car elle influera grandement sur l'impression générale du concert. Clairement, balcon et fosse n'ont pas vécu la même prestation.
On passera rapidement sur la première partie et sur ces Dough Rollers, médiocres adeptes du rockabilly à la papa, attifés et gominés comme il faut, mais dont les morceaux transparents et le jeu de scène désespérément statique invitent au bâillement blasé. The Jim Jones Revue ou le Blues Explosion font tellement mieux sur ce créneau, c'en est presque embarrassant. Puisqu'il fallait célébrer ce premier album, pourquoi ne pas avoir convié quelques groupes locaux à la fête, histoire d'illustrer son influence sur toute une génération de musiciens ? Avec Loading Data ou 7 Weeks en ouverture, la soirée aurait été complète et cohérente. Dommage.
Il est finalement 21 heures quand le groupe apparaît sur les planches au soulagement général. Affublé d'un col de prêtre dont il se défera rapidement, Josh Homme a l'air absent, le regard vitreux. Le début du concert est catastrophique, un chaos indescriptible. On pleure de rage devant un tel gâchis et on se met bien vite à regretter les 50 euros engloutis pour assister à ce désastre et ce matin de février passé à rafraichir sa page pendant de longues minutes comme un abruti pour se dégoter un ticket. La basse noie tout, les guitares sont suraigües, crissantes, insupportables, la batterie et les chant inaudibles. "If Only" se voit défiguré par le solo final de Troy Van Leeuwen, un fatras de guitares élimées qui flingue définitivement les tympans. Posté à la console de son, Hutch, qui a plus que jamais la gueule d'Alan Moore, s'affaire et répare les dégâts, les choses s'améliorant grandement à partir du quatrième/cinquième titre, même si la guitare de Josh ne retrouvera jamais sa lourdeur légendaire. Pour le superbe trio d'ouverture, le mal est fait. Les conditions acoustiques éprouvantes n'expliquent pas uniquement cette entame ratée. Josh Homme a récemment indiqué qu'il en avait marre de rejouer le premier album tous les soirs, une lassitude que l'on constate clairement en ce début de concert, offrant le spectacle d'un groupe au turbin, peu concerné. On a l'impression qu'on les a fait monter sur scène à grands coups de pieds au cul. Voilà sans doute pourquoi le géant rouquin carburera à la vodka pendant tout le set.
Si le balcon reste assez timide, seuls quelques téméraires prendront peu à peu d'assaut les travées pour se déhancher, la fosse, elle, s'embrase immédiatement, ondulant frénétiquement comme un seul homme. Grisé par l'alcool et l'accueil que lui réserve son parterre, Homme se répand en apostrophes démagogiques ("c'est toujours spécial de jouer à Paris", "vous êtes géniaux", "c'est nous contre le monde") qu'on commence à avoir marre de subir avec les années. Un peu plus tard le frontman balance : "c'est fantastique, on a l'impression qu'on pourrait jouer n'importe quoi, vous seriez quand même contents !" Est-ce de l'ironie devant un public conquis d'avance ou un émerveillement sincère ? Toujours est-il que, effectivement, la fosse accepte tout ce qu'on lui balance avec fougue, sans arrière pensée ni retenue. Quelque soient les titres joués et le son offert, la foule pogoteuse s'abîme dans une constante clameur extatique. Sans doute était-ce la seule posture à adopter pour profiter pleinement du concert. Toujours est-il qu'une osmose se créée, ténue, pas celle des grands jours en somme, mais on commence vraiment à rentrer dans le show. Avec la puissance démesurée que leur confère le live, les excellents "You Would Know", "How To Handle A Rope" et "Give The Mule What He Wants" déversent leur souffle rauque. "Hispanic Impressions" s'agonise sous ses giclées de riffs priapiques, tandis que "Mexicola" se meut lourdement sous ses contorsions pachydermiques. "I Was A Teenage Hand Model" passe plutôt bien la rampe à notre grande surprise. "You Can't Quit Me Baby" clôt superbement l'affaire sur une débauche blues/psyché qui a fait la réputation du collectif.
On frissonne souvent de plaisir, mais un malaise persistant bourdonne au fond de la tête. On met longtemps à en trouver la cause : la pertinence des forces en présence. Avec son line-up inchangé depuis 2007, QOTSA était-il le mieux armé pour affronter l'ère primitive de son répertoire ? Si Van Leeuwen comble à peu près correctement les brèches dès lors qu'il ne se charge pas des solos, doublant les parties de guitare ici, égrainant quelques notes de clavier là, il y a indubitablement quelqu'un en trop ce soir. Esseulé face à ses touches, engoncé de sa guitare à l'utilité réduite, agitant piteusement des maracas ou des tambourins que l'on entend de toute façon pas, Dean Fertita se trouvait constamment sur la touche. Et c'est alors que l'on se rappelle que le premier opus se distinguait de ses successeurs notamment par sa simplicité, son épure, n'ayant besoin que de trois musiciens, d'un clavier intermittent et de quelques renforts à la guitare pour se voir correctement retranscrit sur scène, guère plus. En l'état, le surnombre créé parfois une cacophonie alourdissant des morceaux qui n'en avaient pas besoin. Soit on rejoue l'album à la note près en restreignant ses troupes en conséquence, soit on le réinterprète en fonction du line-up présent. Le concert naviguera dans l'entre-deux, ne transcendant ni ne se montrant totalement fidèle aux originaux. Du coup, la machine tourne parfois à vide.
Le plat de résistance achevé, vient l'heure des rappels, sous des tubes lumineux mal pendus, enluminures cheap qu'on croirait volées au service communal après les fêtes de fin d'année. L'appréciation du choix des titres reste à la discrétion de chacun. En fan jusqu'au-boutiste, on espérait vaguement un "Infinity", un "Born To Hula", voire, soyons fou, un "18 A.D.", mais on ne se faisait guère d'illusion. Pris un peu au hasard, sans réelle cohérence dans leur enchaînement laissé au bon vouloir du public, le groupe s'est payé de quelques incunables, interprétés sans ardeur excessive. Définitivement imbibé, Homme enlace les luminaires. Le concert se clôt sur un triptyque issu de Songs For The Deaf, démarrant sur un toujours aussi efficace "Go With The Flow" avant de se conclure sur un "No One Knows"/"A Song For The Dead" tellement resservi qu'on souhaiterait ardemment que le groupe innove franchement dans ses fins de set à l'avenir. Le chanteur repart la main sur le coeur, apparemment ému de l'accueil reçu. 90 grosses minutes viennent de s'écouler. Rideau.
L'audience retourne bien vite à la réalité. Les impressions s'échangent vivement sur le trottoir du boulevard des Capucines. Le retour est plutôt positif. Les die-hard fans, collés aux basques du groupe sur plusieurs pays, assurent qu'il s'agit d'une de leurs meilleures dates européennes. On les croit volontiers, tant il serait abusif de conclure qu'on a assisté à une purge. Homme et sa clique n'ont juste pas su flatter notre fibre nostalgique, se contentant d'abattre le boulot avec le professionnalisme et la générosité qu'on ne leur enlèvera jamais. Ceux qui ont eu la chance de les voir à leurs débuts peuvent continuer à conserver leurs précieux souvenirs et poursuivre leur route, les autres se mettre à attendre de nouvelles compositions propices à renouveler une set-list qui en a bien besoin. Queens Of The Stone Age a soldé ses comptes. Seule certitude de cette soirée : il n'y a pas de retour en arrière possible. La nostalgie en aura pour ses frais. Le prochain passage de Kyuss Lives nous amènera-t-il aux mêmes conclusions ?
Regular John
Avon
If Only
Walkin' On The Sidewalks
You Would Know
How To Handle A Rope
Mexicola
Hispanic Impressions
The Bronze
Give The Mule What He Wants
I Was A Teenage Hand Model
You Can't Quit Me Baby
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Monsters In The Parasol
Turnin' On The Screw
Into The Hollow
Make It Wit Chu
Little Sister
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Go With The Flow
No One Knows
A Song For The Dead