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Chronique Livre

Rocks


Auteur : Joe Perry, en collaboration avec David Ritz
Éditeur : Simon & Schuster
Date de sortie : 7 octobre 2014

"Découverte. Ascension. Chute. Renaissance. Déification. L'histoire de l'homme derrière la guitare d'Aerosmith."
Alan, le 08/12/2014
( mots)

Beaucoup s’accorderont pour dire que la genèse du hard rock remonte au British blues boom des sixties, période durant laquelle blues, rhythm et rock ’n’ roll s'hybridèrent au sein d’une nouvelle scène de laquelle découlait doucement mais sûrement un genre désormais aussi large qu’incontournable dans le paysage musical contemporain, façonné par des pionniers dont la légende s’est bâtie à grand renfort de riffs en tout genre. Ainsi The WhoLed Zeppelin et autres Deep Purple posaient là les fondations de ce rock brut, voire même primitif en comparaison de la mouvance progressive alors plus sophistiquée, et pourtant terriblement efficace. Oui mais.

Oui, ce postulat est incontestablement vrai. Il serait néanmoins ingrat d’attribuer la paternité du hard rock aux seuls sujets de Sa Majesté à titre exclusif, car à la même période outre-Atlantique, pendant que la scène rock de San Francisco baignait dans les effluves psychédéliques du LSD, cinq gars s’agitaient à Boston et jouaient eux aussi de ce rock brut infusé de blues, sans se douter que malgré une carrière en dents de scies, ils allaient devenir ce qui est certainement le plus grand groupe de hard rock que l’Oncle Sam a enfanté. Mêlant à leur hard rock enraciné dans le blues des mélodies empreintes de pop, les cinq larrons d’Aerosmith, emmenés par les frères ennemis que l'on surnomme les “Toxic Twins”, peuvent se targuer d’avoir eux aussi contribué de manière significative au dessin des contours du hard rock tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Mais derrière cette identité musicale résonne un nom : Joe Perry, Joe “fuckin’” Perry, guitariste éminemment influent et emblématique de sa génération ayant navigué sur les eaux impitoyables du rock ’n’ roll lifestyle pendant plus de quarante ans, à défaut d’avoir pu écumer les vastes étendues océaniques à l’instar de l’idole de ses plus jeunes années, Jacques Cousteau. Assisté par David Ritz, auteur et biographe passé expert dans la rédaction de mémoires d’artistes ayant à son actif des collaborations avec Ray Charles, B.B. King ou encore Aretha Franklin, Joe Perry revient aujourd’hui sur ses soixante-quatre années de parcours avec Rocks: My Life In and Out of Aerosmith, offrant trois ans après son frère d’armes Steven Tyler sa vérité sur l’épopée fantastique des “Bad Boys from Boston”.

Racontant son enfance passée dans le Massachusetts, Perry se souvient de Lake Sunappee où lui et toute sa famille passaient leurs vacances, entre nature verdoyante et eau cristalline ; ce même Lake Sunappee où sa route croiserait quelques années plus tard celle d’un batteur exubérant répondant au nom de Steven Tallarico… Perry se souvient aussi des entraves et des mésinterprétations d’un système scolaire incompétent et incapable de prendre en charge un élève souffrant d’un déficit d’attention non-diagnostiqué pendant des années. C’est d’ailleurs suite à une altercation avec ses professeurs à propos de la longueur de ses cheveux qu’il claque la porte de la Vermont Academy et déménage à Boston afin de tenter l’aventure rock ’n’ roll, accompagné de son ami bassiste Tom Hamilton et de Tallarico, reconverti en chanteur et répondant désormais au nom de Tyler. S’ajoutent à l’effectif Joey Kramer et Ray Tabano - très vite remplacé par Brad Whitford - permettant ainsi la genèse d’un groupe qui est depuis entré dans l'histoire.

Délivrant un récit franc et détaillé de ses tribulations au sein d’Aerosmith - mais aussi en dehors : le Joe Perry Project, sa rencontre avec Chuck Berry, “le Ernest Hemingway du rock 'n' roll”, ou encore ses jams sessions aux côtés de Kiss et des Guns N' Roses - Perry n’oublie rien ni personne : de Gary Cabozzi, propriétaire haut en couleurs de leur premier appartement au 1325 Commonwealth Ave leur ayant offert leur premier espace de répétition, à Jack Douglas, producteur historique du groupe, en passant par l’armada toujours grandissante de fans répondant à l’appellation de “Blue Army”, toute personne ayant participé de près ou de loin à l’écriture de la légende d’Aerosmith - dans ses moments de grâce comme dans ses heures les plus sombres - voit sa contribution racontée parfois avec rancoeur, souvent avec humour, mais toujours avec honnêteté. Aucune dimension de cette légende n’est occultée, qu’il s’agisse de la traversée du désert du groupe de 1979 à 1987, des problèmes d’argent qu’a pu rencontrer Perry suite à son départ après les années triomphales de Toys in the Attic et Rocks, ou encore les nombreuses histoires de dope ayant conduit à d’innombrables cures de désintoxication et ayant valu au duo Tyler-Perry le surnom de “Toxic Twins”.

C’est d'ailleurs ce même duo qui constitue en réalité le véritable coeur du récit : à l’image du duo Jagger-Richards, la relation entre Tyler et Perry se voit osciller entre amour fraternel et rancune viscérale, Tyler étant ici dépeint comme un personnage totalement imprévisible, aussi bien fourbe que digne de confiance selon ses humeurs. Ce-dernier déclarait d’ailleurs ne pas vouloir lire Rocks en raison du portrait que Perry serait susceptible de dresser à son propos : “Je dois partir en tournée avec lui l’année prochaine ! J’ai besoin d’être en bons termes avec ce salaud.” Car malgré tous les conflits que les Toxic Twins ont pu traverser au fil des décennies, de l’orientation musicale du groupe à la bien trop médiatisée saga American Idol de ces dernières années, Aerosmith continue aujourd’hui encore de se produire dans les plus grandes salles du monde devant un public toujours plus important, tel que se l’étaient promis les deux frères d'armes un matin de 1972, allongés sur la scène du Boston Garden que les Stones avaient foulée la veille. “Un jour…” dirent-ils presqu’en choeur.

Entre drame shakespearien de deux frères emprunts à des querelles d’ego toujours plus déchirantes et rock ’n’ roll story sincère traitant de la musique d’Aerosmith avec un attachement qui force le respect, Rocks s’avère être au final le reflet d’un homme qui a su pendant plus de quarante ans concilier Joe Perry, l’être humain, avec Joe fuckin’ Perry, le légendaire guitariste d’Aerosmith. Keep on walking this way, dude.

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