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Chronique Livre

Iron Man


Auteur : Tony Iommi
Editeur : Camion Blanc
Date de sortie : 16 octobre 2012
"L'indispensable autobiographie de Tony Iommi, le maître alchimiste de Black Sabbath"
Nicolas, le 07/06/2013
( mots)
"(Pour certains), c’est à la perte de mes doigts que l’on doit le son plus profond et grave de Black Sabbath, qui a à son tour inspiré la plus grande partie de la musique heavy qui a suivi. J’admets volontiers qu’appuyer sur les cordes avec les os de mes doigts sectionnés me faisait un mal de chien, et que j’ai dû réinventer mon jeu pour atténuer la douleur. Et au cours de l’opération, Black Sabbath s’est mis à sonner comme aucun groupe auparavant - ou depuis, à vrai dire. Mais dire que j’ai créé le heavy metal à cause de mes doigts ? Il ne faut quand même pas pousser. Après tout, l’histoire est bien plus longue que ça."

Voilà en gros le préambule à la truculente autobiographie de Tony Iommi, préambule qui reflète bien la teneur de l’ouvrage : nous faire entrer dans l’intimité de l’un des guitaristes les plus révolutionnaires à avoir vu le jour tout en faisant tomber un paquet d’idées préconçues à son sujet ainsi qu’à celui de Black Sabbath.

Ce qui frappe avant tout, à la lecture de ce livre, c’est l’humour de l'amputé. On connaissait le personnage public, le patron despote de son groupe, celui qui prenait les décisions, qui composait l’essentiel de la musique, on découvre le Iommi privé, le fils de commerçants - son père tenait un magasin de bonbons - issu d’un milieu modeste, le lycéen frustre et bagarreur, obligé de se castagner dans les rues de son quartier pour se faire respecter, mais surtout le joyeux drille toujours prêt à jouer des tours pendables à son entourage. Dans l’imagerie populaire, c’est toujours Ozzy qui passe pour le bouffon de la troupe sabbathienne, et il est indéniable que la réputation du Madman n’est plus à faire (voir, à ce propos, la savoureuse autobiographie d’Osbourne, Moi, Ozzy), mais on était loin d’imaginer que Iommi le talonnait d’aussi prêt. A cet effet, les anecdotes de tournée de Black Sabbath valent très largement celles des pourtant déjantés Led Zeppelin, tellement Ozzy, Tony, Geezer et Bill ont rivalisé d’inventivité et de provocation pour accoucher des pires conneries possibles. Mais plus que les frasques rock n’ roll des intéressés, c’est le recul mature et amusé de Iommi qui frappe à la lecture de cet ouvrage. Dans un style direct et très oral, l’âme du Sab nous prend par le bras et nous entraîne au bistrot du coin pour nous livrer ses mémoires autour d’une bonne binouze, sans faux semblants ni fausse pudeur. A ce titre, le livre se dévore littéralement et se place comme le complément indispensable de Hammer Of The Gods, la bio débonnaire du Zeppelin.

Car dans le même genre que Page et ses acolytes, Iommi and co ont mené une sacrée vie de débauche. Argent coulant à foison, dope consommée en quantité astronomique, nuits blanches de fiestas à la chaîne, sexe également - mais semble-t-il moins que pour Plant et consorts, voitures de sports, belles maisons, Black Sabbath a vraiment brûlé la chandelle par les deux bouts durant la période Ozzy. Cette existence hédoniste et superficielle a malheureusement failli coûter très cher au naïf quatuor qui s’est rapidement fait plumer par un management inique et irresponsable. Lire à ce sujet les relations ambivalentes de Iommi avec les différents managers qui se sont succédés à la tête de la section business du Sab’, Jim Simpson, arriviste provocateur, Patrick Meehan, mafioso sans scrupule, ou encore le tandem Don - Sharon Arden, aussi inefficace que délétère pour la cohésion du groupe. Le fait est que, malgré tous les coups tordus dont il a été victime, le guitariste moustachu, pas du tout préparé à gérer autant d’argent et de prospectives artistiques, a mis du temps à vraiment réussir à s’encadrer d’une équipe de gestionnaires fiables et avisés, et sa longue dérive à court terme tout au long des années 80 en représente le douloureux témoignage. Autres batailles de longue haleine, la quête pour récupérer sa fille Toni-Marie des griffes d’une ex-femme tortionnaire et paranoïaque, et son difficile décrochage d’une addiction à la coke qui a pratiquement failli lui coûter sa santé mentale.

Sur Black Sabbath en tant que tel, on n’en apprend pas énormément. Les différentes étapes du groupe sont bien reprises, les détails des sessions d’enregistrement nous sont livrés, certaines appréciations personnelles sur les morceaux favoris de metal Django nous sont proposées. Rien de foncièrement inconnu, et pourtant le traitement de toute cette information transforme radicalement l’image que l’on pourrait avoir des pionniers du heavy rock. Iommi revient assez largement sur les sujets qui prêtent à polémique, satanisme, provocations, drogue, et nous livre une version "officielle" bien loin de ce qu’en rapportent les adorateurs de la sphère heavy metal. Les relations du Sabbath avec l'Église et les occultistes sont abordées avec humour et détachement, comme lorsque le groupe a donné un concert sur la place Saint Pierre de Rome en utilisant la sono du Pape, rendant furibards les prêtres du coin, ou lorsqu’il faisait encore plus de boucan en enregistrant Sabotage pour énerver le curé qui habitait à proximité, mais aussi en soufflant sur les bougies des satanistes assis dans le couloir de leurs chambres d’hôtel en chantant un "Joyeux anniversaire" narquois. Plus que de la provoc’ gratuite ou de la contestation idéologique, Iommi et ses comparses ont toujours pris un malin plaisir à tourner en dérision systématique tout le ramdam qui entourait leur œuvre... tout en se faisant manipuler par leur entourage gestionnaire qui, de son côté, a tout fait pour amplifier les polémiques qui ont circulé à leur sujet. Si le son du heavy metal semble bien avoir été inventé par le guitariste estropié, la culture inhérente à ce mouvement semble plutôt s’être bâtie sur un mythe. Amusant, à plus d’un titre.

Reste que Iommi, dans cette biographie, élude partiellement les sujets qui fâchent. Pas de réelle autocritique, pas de vraie reconnaissance de torts, pas d’analyse rétrospective nuancée. A aucun moment l’homme n’écrit qu’il a viré Ozzy Osbourne : pour lui, ça s’est fait comme ça, le Madman était démotivé, il fallait aller de l’avant, Bill Ward est allé le voir en lui demandant de comprendre que le groupe avait besoin d’avancer, et voilà. Hallucinant, même si les torts sont plus que partagés du côté d’Osbourne. Idem quand Geezer Butler s’est fait la malle : il est parti parce qu’il avait envie de faire autre chose, ce serait aussi simple que ça. Iommi se reconnaît pourtant de nombreux travers : imparfait, violent, colérique, aveuglé par la cocaïne, mal conseillé, autoritaire, parfois obtus, mais jamais décrit comme ayant des torts à se reprocher dans ses relations à autrui ni dans les décisions prises au nom du groupe. Nul n’est forcément entièrement lucide sur sa propre personne.

Dernier regret concernant Iron Man : que le livre s’arrête en 2010, alors que les trois dernières années du guitariste ont été particulièrement riches en rebondissement : mort de Ronnie James Dio, rapprochement avec Ozzy, cancer, chimiothérapie, album de la réunification, brouille avec Bill Ward, il y aurait tant que l’on souhaiterait encore connaître de lui, surtout avec cette prose directe et familière. Espérons qu’il aura l’occasion de compléter ses mémoires un jour ou l’autre, mais en attendant, cette autobiographie peut être achetée les yeux fermés : on vous met au défi de ne pas la trouver à votre goût.
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