Frog prog : musiques progressives en français - chroniques transatlantiques, Henri Vaugrand

Avant de proposer Frog Prog aux éditions Camion Blanc, Henri Vaugrand avait déjà aiguisé sa plume en tant que chroniqueur au sein de Bing Bang, revue française de référence en matière de rock progressif, mais aussi en tant que parolier du groupe Grandval - c'est dire si son engagement au service des musiques progressives (il préfère cette formule) avait tout d'un cursus honorum. Néanmoins, le format livresque conserve son aura et sa noblesse si bien qu'il tardait à l'auteur d'aboutir à un ouvrage en bonne et due forme. Nous y voilà. 

Amoureux de la langue française et de la chanson à texte, l'auteur a voulu rendre hommage au rock progressif francophone, c'est-à-dire non seulement français mais également canadien - et marginalement belge et suisse (grâce aux Jurassiens de Galaad). Chroniques transatlantiques donc, qui croisent deux espaces ayant été marqués par l'essor du rock progressif dans les 1970's et qui ont, bon an mal an, maintenu une tradition musicale à travers le temps. En effet, Henri Vaugrand ne se limite pas à l'âge d'or que constituent les années 1970, mais s'atèle également à traiter du creux des années 1980 et de l'époque très contemporaine. L'ouvrage est ainsi découpé en trois grandes parties chronologiques, à chaque fois introduites par quelques pages de contextualisation et de mise en perspective : l'amateur de rock progressif comme le béotien pourront ainsi trouver leurs repères. 

Côté français, les connaisseurs croiseront d'un côté Ange et ses épigones (Mona Lisa, Atoll ...) mais aussi les acteurs plus expérimentaux du mouvement RIO (et autres fantaisies expérimentales) pour lesquels l'auteur a légitimement accordé une place assez large, notamment en ce qui concerne la scène actuelle (Jack Dupon et Poil, pour évoquer les groupes de la région AURA). Côté québécois, Harmonium se retrouve en compagnie de Pollen, Sloche, et de nombreuses formations évidemment moins connues sur cette rive de l'Atlantique. Nous avons ainsi découvert la vitalité de la scène canadienne francophone actuelle dont nous ignorions tout ou presque. 

Puisque l'aspect linguistique est au cœur de l'entreprise d'Henri Vaugrand, celui-ci se montre attentif aux textes et à la poétique progressive francophone. Se faisant, il pose son regard vers certains artistes rarement classés dans le rock progressif voire carrément issus de la chanson française. Si, sans surprise, l'on croise Manset, on s'étonne davantage quand Christophe, Ferré, Gainsbourg ou Thiefaine montent sur scène. Après la surprise, on se laisse aisément convaincre par la démonstration d'Henri Vaugrand qui illustre à quel point l'influence du rock, et plus encore du rock progressif, fut réelle. Il en va ainsi de Bahamas, backing band de Christophe. Faut-il rappeler que Mona Lisa ou Ange ont rendu hommage à la chanson française, en reprenant respectivement Brassens et Brel ? Cette association est plus naturelle au Québec où la frontière entre chanson à texte et rock progressif est bien plus mince : le chansonnier Robert Charlebois ne jure pas aux côtés d'Harmonium. 

Le format est celui de la chronique, cent textes brillamment rédigés qui s'étendent sur deux pages avec la pochette en guise d'illustration. Si vous êtes déçu de ne pas trouver votre album préféré au sein de la sélection opérée par Henri Vaugrand, sachez qu'il propose à chaque fois une discographie complémentaire et qu'il a pensé à une liste supplémentaire de cent albums en fin d'ouvrage. Qui a dit que le rock (en) français avait un arrière-goût de mauvais vin ? 

Camion Blanc, 2023, 370 pages. 

A lire : interview d'Henri Vaugrand.