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Chronique Cinéma

All Things Must Pass - Episode 6 - Full ELectronic


Je suis venu au monde en février 1958, dix mois avant que le rock ne fête ses trois années d’existence.

Durant les années soixante, j’ai vécu (dans le désordre et parfois sans le savoir) en compagnie de The Beatles et The Rolling Stones, de Bob Morane et de Bob Dylan, des mini-jupes de Mary Quant et des parkas M51 des Mods, de P.K. Dick et A.E. Van Vogt, des premiers délires de Pink Floyd et de la boue de Woodstock, du mur de Berlin et de la peur maladive de l’atome.

A l’instar de tous les êtres âgés, je ressens de plus en plus souvent l’envie de partager / transmettre certains souvenirs (rock en l’occurrence). C’est comme si une alarme s’était mise à résonner dans mon vieux cerveau. Ce sont peut-être simplement des acouphènes. Je ne sais pas.

Est-ce que tout cela est vraiment vrai ? Difficile à dire. Depuis le début du XXIème siècle, les scientifiques soutiennent que le fait de se souvenir de quelque chose rend le souvenir en question labile, fragile et vulnérable aux interférences…

En d’autres termes, le souvenir est un "sachet de frites – andalouse". Les frites sont la vérité ; l’andalouse incarne cette petite dose piquante de mauvaise foi qui donne du goût à la vérité. 

"Episode 6.- Full Electronic"
Daniel, le 14/11/2024
( mots)

Episode 6 – Full Electronic

Date : 1956
Lieu : Altaïr IV

Quelque part dans le Greenwich Village de Manhattan (New-York)

Tous les petits rockers savent que le rock’n’roll est né accidentellement le 5 juillet 1954 à Memphis.

Combien sont ceux qui savent que la musique électronique est née sans le savoir en 1956, c’est à dire  seulement deux années plus tard, à Manhattan ?

Les deux courants mettront quelques années avant de se rencontrer et s’épouser…

Début des années cinquante. Bébé (1925-2008) est une petite brunette passionnée par le piano ; Louis (1920-1989) est un moustachu à la Walt Disney, féru de ces sciences électroniques naissantes. Les Barron sont originaires de Minneapolis (Minnesota). Après s’être mariés, les tourtereaux filent à New-York en emportant dans leurs bagages le magnétophone à bandes IG-Farben (1) qui leur a été offert par un ami allemand. Il se raconte qu’il pourrait s’agir du premier modèle "domestique" de ce type jamais importé aux États-Unis.

Louis est passionné par les théories du mathématicien américain Norbert Wiener, le fondateur théorique de la cybernétique qui entend définir des "lois naturelles" s’appliquant aussi bien aux êtres vivants qu’aux machines électroniques.

Le moustachu bricole son magnétophone et l’enrichit d’un modulateur en boucle, d’un delay et d’un reverb de fabrication maison qui lui permettent de générer et contrôler des sons produits artificiellement. Bébé découpe et assemble des segments de bande magnétique pour élaborer des mélodies inédites et abstraites qui ne répondent à aucune règle musicale connue. Le travail est aléatoire et d’une extrême lenteur.

Une synchronicité bienvenue fait qu’un cousin de Louis travaille fort opportunément chez 3M. C’est lui qui alimente régulièrement le couple en bandes magnétiques dont il collecte les nombreuses chutes dans son entreprise.

Pendant ce temps à Hollywood...

Isadore Dore Schary est originaire du New-Jersey. En 1954, c’est un homme important à la MGM. Il n’hésite pas à bousculer les certitudes de son employeur, Louis B. Mayer, qui estime que le cinéma a pour seule vocation de distraire les masses.

Schary figure en effet parmi les premiers à défendre la théorie selon laquelle le septième art doit distraire mais aussi instruire. C’est à lui que l’on doit le caractère un peu pontifiant de Billboard Jungle dont le générique génial - "Rock Around The Clock" de Bill Haley – va faire le tour du monde.

Le prochain projet de Schary est ambitieux. Depuis le début des années cinquante, les Américains se passionnent pour l’espace, les soucoupes volantes, les extraterrestres et la science-fiction. A l’écoute de son temps, Dore demande à ses scénaristes d’imaginer un film révolutionnaire. Il s’agira de science-fiction. Ce sera en couleur, en cinémascope et en stéréo.

Louis B. Mayer n’est pas enthousiaste mais le scénario finit par le convaincre. Forbidden Planet sera l’adaptation futuriste (l’action se passera au XXIIIème siècle) de The Tempest, une tragédie pesante de William Shakespeare qui évoque de façon très classique les parts d’ombre et de lumière qui caractérisent chaque être humain.

Le drame se déroulera cette fois non sur une île mais sur la planète Altaïr IV, dans le Secteur 9 de la zone du cadran Alpha (2). Le vaisseau spatial C57-D (qui présente le profil d’une soupière aplatie) remplacera le trois-mâts, Robby the Robot engloutira sept pourcent du budget du film pour jouer le rôle du serviteur, Leslie Nielsen sera le Commandant du vaisseau et la jolie Altaira (la délicieuse Anne Francis) portera une courte jupette plissée (plutôt qu’une longue robe empesée) qu’elle tombera bien vite pour se baigner, vêtue de son seul parfum, sous les yeux incrédules des spectateurs (qui n’ont pas remarqué que la scène était tournée dans les décors foutraques du film The Wizard Of Oz).

Il reste à trouver une musique adaptée au caractère innovant de l’œuvre. Le même genre de choc culturel que le fameux single de Bill Haley.

Mais, cette fois, Schary ne trouve pas son bonheur...

Mais, fidèle à sa légende, le Père Noël s’en mêle...

Fin décembre 1955. Veille de Noël. Dore Schary et sa famille partagent un drink festif dans un night-club de Greenwich Village. L’orchestre joue du Glenn Miller en sourdine. Un couple s’impose soudain à la table du producteur. Les Barron ont déjà fortuitement croisé les Schary lors du vernissage d’une exposition de peinture. Bébé et Louis expliquent alors à Dore comment ils ont inventé une expression musicale avant-gardiste. Une espèce de musique spatiale…

Quelques martiens (3) plus tard, le deal est rapidement conclu. Noël sera joyeux chez les Schary comme chez les Barron…

Côte Ouest : réaction syndicale

Tandis que, sur la côte Est, Bébé et Louis, plus riches de 30.000 dollars, planchent sur la bande-son du premier grand film de science-fiction de l’histoire du cinéma, c’est la guerre sur le côte Ouest où se trouvent les studios de la MGM. Le syndicat des musiciens de la compagnie vient d’apprendre que Dore Schary entend désormais confier la bande son de son nouveau projet à un mystérieux procédé synthétique générant des bruits sans l’intervention d’un orchestre physique (4).

C’est la révolution. Une grève est programmée.

A l’issue d’une négociation incertaine, le producteur parvient à imposer un compromis : les Barron ne seront pas crédités en qualité de musiciens mais en qualité de responsables des effets sonores. L’honneur est sauf. La musique électronique aussi.

Côte Est : problèmes techniques

Dans leur home studio new-yorkais, Bébé et Louis sont confrontés à un problème majeur qui les poursuit depuis leurs premières expérimentations : leur appareillage, encombrant mais rudimentaire, permet de générer des sons, de les moduler et de les enregistrer sur les bandes fournies par le cousin 3M. Mais chaque création musicale que Bébé imagine, en suivant à la lettre les séquences du script de la MGM, relève d’une suite incontrôlable de "hasards électroniques" qui ne sont pas reproductibles. Par conséquent, le couple ne sera jamais en mesure de "re-créer" deux fois la même séquence que ce soit pour la corriger, pour appuyer un effet ou pour en modifier la durée.

Les bandes fournies à la MGM seront par conséquent des créations uniques et... définitives. Il n’y aura jamais d’interprétation scénique de cette œuvre inaugurale.

Un chef d’œuvre absolu

Le film est un triomphe (5). Décrit comme le premier exemple de "Techno-Horror", il est préservé à la Librairie du Congrès des USA en qualité d’œuvre culturellement, historiquement et esthétiquement essentielle. Robby le Robot deviendra la premier jouet star mécanique. Une icône. Les rares  exemplaires articulés qui ont subsisté valent aujourd’hui une petite fortune.

Initialement privée du statut de musique de film, la bande-son de Forbidden Planet ne sera publiée sous forme de disque qu’en 1977 (l’année de sortie du premier Star Wars). Son écoute demande une certaine préparation psychologique et beaucoup de patience. A proprement parler, il ne s’agit pas d’une œuvre académique. Il n’y a ni mélodie, ni mesure, ni thème, ni rythme récurrent. Les sonorités nouvelles de Bébé et Louis relèvent plus de la musique concrète (acousmatique) telle qu’elle a été définie conceptuellement en 1948 par le Français Pierre Schaeffer.

Mais, celui qui prend la peine d’y consacrer une petite heure de sa vie humaine aura le privilège d’entrer dans un processus créatif totalement inédit pour son temps et absolument magique quant à sa conception. La "musique électronique" des Barron est le témoignage saisissant de la façon dont nos parents imaginaient l’espace infini et leur propre futur. L’œuvre est un marqueur temporel et spatial conçu au départ du néant par deux cerveaux humains.

Le disque a évidemment été classé dans le Top 100 des meilleurs albums de tous les temps que personne n’a jamais écouté. Une référence absolue...

Si le film a évidemment beaucoup vieilli, sa bande-son reste tout à fait audible. Presque contemporaine. Elle continue d’influencer les créatifs qui cherchent à habiller l’espace de sonorités déroutantes.

Au moment où les Barron ont enregistré leur vision hallucinée de l’univers, rien ni personne n’avait encore quitté (volontairement) l’atmosphère terrestre. Tout en posant un acte de création artistique issu d’une forme de néant vertigineux, ils ont aussi ouvert la voie à un courant musical qui va se développer, rattraper le rock, l’épouser puis se ramifier en une myriade de courants souvent novateurs.

We Are The Robots, people !


(1) IG Farben, naguère connue pour son Ypérite et son Zyklon B de fort horrible mémoire, tentait de faire oublier son sinistre passé en investissant dans des disciplines plus pacifiques. La firme sera symboliquement liquidée après la réunification de l’Allemagne.

(2) On ne sait pas vraiment où se situe la zone du cadran Alpha, mais c’est loin. A 10.000.000.000.000 kilomètres. A peu près.

(3) Glace pilée, vodka et tonic à servir dans un verre à Martini.

(4) Cette polémique, vieille de soixante-dix ans, rend très relatifs les arguments contrastés que les tenants et opposants de l’IA s’envoient aujourd’hui joyeusement à la figure.

(5) Forbidden Planet va traumatiser Eugène Wesley Roddenberry et déterminer l’esthétique de toute la saga Star Trek


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