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Billet Albumrock

Edito mai 2015 : pop, le mal nécessaire du rock


Nicolas, le 02/05/2015

Depuis une semaine et même plus, on ne parle que de ça. Blur est de retour dans les bacs, et il n’y a pas un mag spécialisé qui n’en ait fait sa une, pas un journal généraliste qui ne s’en soit fait écho. On pourrait dès lors ressortir les sempiternelles rengaines : mais pourquoi diable s’intéresser encore à ces vieilles gloires de la britpop ? Hasard du calendrier, c’est également en 2015 que nous fêtons les vingt ans de The Great Escape et par là même de (What’s the Story) Morning Glory? de l’éternel rival Oasis. Vingt ans déjà que Damon Albarn et les frères Gallagher se sont partagés les coeurs anglais en se foutant sur la tronche dans les tabloïds. Et vingt ans, ça commence vraiment à compter à l’échelle d’une planète qui carbure à toute vitesse et qui s’épuise à brasser la moindre commémoration à grands renforts de tweets et de hashtags. N’y aurait-il pas d’autre façon plus contemporaine de se réjouir ? Serions-nous désormais condamnés à vivre le regard éternellement tourné vers le passé, emplis de nostalgie envers un temps béni pour le rock, un temps qui ne semble jamais vouloir revenir ?

Abandonnons, temporairement peut-être, The Magic Whip à son triomphe critique actuel. Pour le moment, l’album n’a pas trouvé preneur à la rédaction, faute de bagage bluresque ou d’envie de se frotter à ces vieux grognards de la pop. Le fait est que la couverture large et unanime accordée à Blur renvoie à une popularité que nombre de groupes plus jeunes ne sauraient revendiquer. La faute à qui ? Il n’est jamais simple de répondre à une telle question qui mériterait d’être développée selon plusieurs axes, mais attardons-nous sur celui qui a l’avantage de la sémantique. Car ce qui fait que Blur, et par extension Oasis, Supergrass, Suede et consorts ont connu un tel succès en leur temps, c’est que leur musique, leur rock, avait vocation à s’adresser à un large, à un très large public. La britpop, ce n’est pas qu’une simple vue de l’esprit. Ce qui fait que l’on se rappelle de ces groupes, c’est que tout le monde a encore envie de fredonner leurs “Charmless Man”, “Don’t Look Back in Anger”, “Alright” et autres “Trash”. Allons plus loin. Si la britpop a connu un tel succès, c’est en grande partie à cause du grunge, et de facto de Nirvana et Pearl Jam, locomotives américaines qui, en cherchant à frapper fort auprès du grand public, d’entrée de jeu pour Eddie Vedder and co avec Ten ou a posteriori - et de façon tout à fait intentionnelle - pour Kurt Cobain avec son emblématique Nevermind, ont réveillé la susceptibilité anglaise. Allons plus loin encore. Lorsque la britpop a poussé son chant du cygne, d’autres formations populaires ont pris le relais, on pense bien sûr à Coldplay ou à Travis. Coldplay, qui n’a eu de cesse de conquérir un auditoire de plus en plus large jusqu’à compromettre son intégrité musicale. Idem lorsque d’autres formations, sensiblement dures et intransigeantes dans leur jeunesse, ont senti le vent tourner et vu qu’un créneau plébéien se dessinait. C’est le tournant pop rock des mid-00’s, avec en première ligne Muse et Placebo suivis à la trace par les jeunots Franz Ferdinand qui ont fait les beaux jours de Virgin Radio, à une époque où le terme “pop rock” signifiait encore quelque chose. Le point commun de tous ces groupes est qu’ils ont tous, à un moment ou à un autre, cherché à engranger un vaste succès populaire et qu’ils se sont donné les moyens d'y parvenir. A savoir composer des pop songs, peaufiner leurs mélodies tout en travaillant leur son de manière à le rendre accessible au plus grand nombre. Les ténors contemporains du rock mondial pourraient-ils en dire autant ?

Le fait est que depuis dix ans, les rockeurs ne semblent plus intéressés par le succès de masse. À tort ou à raison ? Le monde de la musique a changé, il est plus difficile de se faire remarquer dès le premier album, les majors s’intéressent moins à des formations qui n’offrent pas absolument toutes les garanties d’un succès immédiat. Majors vues d’emblée comme les grands méchants de l’histoire, qui exploitent les groupes, les pressent jusqu’à la dernière goutte et s’enrichissent sur leur dos. S’il est toujours facile de cracher sur ceux qui ont transformé la musique en business, il ne faudrait pas oublier que le rock ne serait certainement pas autant considéré par les masses sans ces pros aux dents longues. Et clairement, le parcours consistant à commencer par jouer à un concert lycéen dans un gymnase pour finir par se produire dans un stade de foot devant une centaine de milliers de personnes semble désormais quasi-irréalisable. D’autant que les vieilles gloires, celles qui ont bénéficié de cet ascenseur industriel dans leur jeunesse, sont toujours là et remplissent de facto lesdits stades dans le monde entier, même si leurs derniers émoluments studios s’avèrent pour la plupart très en deçà de leurs plus grands succès. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, dans toute cette histoire.

Pourquoi les groupes de rock les plus talentueux des années post-2005 n’ont-ils pas réussi à triompher massivement dans les charts radiophoniques, à défaut de s’être imposés en terme de ventes physiques sans plus la moindre signification ? Les raisons sont nombreuses. Certains n’ont pas du tout souhaité populariser leur succès et ont refusé tout de go de “compromettre” leur musique pour toucher un plus vaste public. Exemple caricatural avec Jack White qui n’a eu de cesse, d’une part de s’éloigner autant que possible d’un “Seven Nation Army” considéré comme un regrettable accident, et d’autre part à profiter de la confortable notoriété apportée par ce single (paradoxe…) pour défendre sa vision extrémiste du vintage, des roots et du vinyle, des causes somme toute louables mais loin de constituer une ligne de pensée universelle. D’autres formations n’avaient pas forcément les munitions pour se battre sur ce terrain. On citera au hasard les Queens of the Stone Age ou Nine Inch Nails, Josh Homme et Trent Reznor n’étant pas à proprement parler de grands songwriters, de grands mélodistes, ayant basé leur rock sur un canevas sonore travaillé qui, même sans se départir d’une matrice lourde, n’aurait pas forcément été un obstacle à un succès de masse si les chansons populaires avaient suivi. D’autres enfin ne s’en sont jamais donné les moyens, on n’aura de cesse de conspuer la paresse des Strokes, gamins surdoués qui avaient tout pour réussir et qui se sont sabordés eux-mêmes sur l’autel de l’égo et du laisser aller. Et quid des Arctic Monkeys et de Kasabian ? Récemment encore, en glosant sur le déclin du rock, Noel Gallagher pointait du doigt ces deux formations soi disant importantes qui revendiquent clairement l’influence d’Oasis et qui, aujourd’hui, n’influencent elles-mêmes plus personne. Inutile de dire qu’il n’a pas tort.

La “pop-rockisation” n’a bien sûr pas que du bon. En s’adonnant à de telles digressions, nombre de formations ont vendu leur âme au malin, on pensera en premier lieu aux Red Hot Chili Peppers qui, à mesure qu’ils ont simplifié et popularisé leur musique, ont fini par complètement perdre tout ce qui faisait le sel de leur funk rock libidineux. Et ils sont nombreux dans le même cas. Aerosmith. Incubus. Weezer. Muse. Coldplay. Et tant d’autres. Des groupes qui ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils ont été. Si les quatre derniers cités semblent s’être rendus compte qu'ils sont allés trop loin et essayent de se ressaisir de leur mieux - on attend à ce propos la réaction de Brandon Boyd et sa bande après le calamiteux If Not Now, When? et bien sûr les Drones de Bellamy qui auront la tâche de faire oublier l’éprouvant diptyque The Resistance / The 2nd Law - d’autres se complaisent à servir à leur public une soupe qu’eux même rechigneraient à laper s’ils faisaient preuve d’un minimum d’amour propre. De fait, il est toujours effrayant de voir un groupe que l’on chérit prendre la tangente et renoncer à une partie de sa personnalité pour tenter de séduire un auditoire plus étendu. On peut alors tâcher de se montrer complaisant jusqu’à un certain point de rupture, variable selon notre degré de tolérance. Muse a-t-il vendu son âme avec Absolution, Black Holes ou The Resistance ? Les puristes se partageront à trois tiers égaux entre ces différentes options. Le bouillon est plus difficile à avaler lorsque des formations plus indés dans l’esprit prennent des envies de gloire, avançons au hasard les noms des Decemberists, des Shins, de Pinback ou, Kévin s’en est récemment ému, de Calexico. Plus révélateur encore est le sort que connaissent actuellement les Black Keys, seul exemple récent d’un groupe qui s’est popisé à grande échelle. Rien, absolument rien ne laissait penser que les deux larrons d’Akron pourraient un jour franchir les barrières de la FM, des pubs TV ou des bandes sons de documentaires. Mais à un moment où à un autre, Dan Auerbach et Patrick Carney ont décidé de passer à la vitesse supérieure, ont réfléchi à et travaillé leur mutation, ont pallié leurs carences en terme de songwriting en oeuvrant avec un producteur renommé (Danger Mouse, en l'occurrence). Résultat, les Keys ont percé. Cela aurait certainement été plus simple pour eux s’ils n’avaient pas été les seuls à chercher réellement un succès massif, mais leur pari est plus ou moins gagné. Plus ou moins, car si El Camino tenait encore convenablement la route, Turn Blue montre qu’en accélérant, il est parfois très facile de manquer un virage et de frôler l’accident. Reste aussi à savoir si ces deux derniers disques sauront susciter des vocations parmi la jeune génération. Rien n’est moins sûr.

Or il est un fait qu'actuellement, le rock n'a plus pignon sur rue. Cela fait des années que la FM le boude, que les ventes plafonnent - et Adele est pourtant là pour nous montrer qu'un bon disque pop est encore capable de s'écouler par camions entiers. Il n'y a plus de rock à la télé, le public s'extasiant sur des télé-crochets musicaux sirupeux qui mettent en lumière des divas vocales vouées à s'épanouir dans une musique rengaine. Le rock, dans toute cette histoire, n'est plus qu'un faire valoir, un vague courant à peine considéré que les directeurs de programmation tolèrent dans The Voice et autres Nouvelle Star à condition d'en ôter toute la substance. Une tendance mineure en voie de disparition qui risque bientôt, pourquoi pas, d'être soumise à des quotas comme ceux que l'on condescend à nos minorités culturelles. Les magazines TV ? Pour un "Fever" des Black Keys illustrant le dernier Cauchemar en cuisine, combien de Rihanna, Maroon 5 et autres Pharrell Williams ? La publicité ? Pour un "Tick Tick Boom" des Hives vantant la C3 de Citroën (et c'était il y a combien d'années ?), combien de jingles dance ou électro ? Seuls le cinéma et les séries télé s'autorisent encore des B.O. plus rugueuses et rock n' roll, voir à ce propos l'excellente bande son de la série british Peaky Blinders récemment diffusée sur Arte. Un bastion isolé surnageant dans un océan infini, et pour combien de temps encore...

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Donc oui, la pop fait peur, et il y a de quoi. Néanmoins, s’il s’obstine à s’arc-boûter sur les vieilles gloires du passé, s’il ne regagne pas rapidement un certain nombre de locomotives populaires modernes, le rock finira par s'enfermer dans un sous-genre de musique contemporaine joué par des initiés à destination d'initiés et qui perdra petit à petit tout caractère fédérateur. Le passé nous prouve que bien des groupes ont réussi à réaliser des albums universellement estimés sans rien perdre, ou presque, de leur essence, en traçant leur route d’emblée en ligne droite ou en négociant savamment leur virage. Mais sans intention, sans un minimum de moyens engagés, sans soutien professionnel et industriel, sans producteur expérimenté, sans travail acharné et sans talent (bien sûr), point de salut. De fait, on ne pourra que saluer les propos régulièrement tenus à cours d’interview par la plantureuse cantatrice d’Alabama Shakes, Brittany Howard, qui semble plus que jamais déterminée à percer et à aller le plus loin possible. Bonne nouvelle : Sound & Colour reste une franche réussite sans que sa heavy soul sudiste n'ait eu à en pâtir. Puisse Howard réussir dans cette estimable entreprise, on gagera que le rock n’aura pas vraiment à en souffrir. Et espérons qu’elle ne soit pas qu’une exception confirmant la règle d’un défaitisme trop largement assumé.

Commentaires
josax, le 15/06/2015 à 10:46
J'ai toujours un peu de mal avec ce jugement à l'arrache de qui est un bon songwriter ou pas. Comme si le "songwriting" était synonyme de savoir écrire une bonne chanson populaire. Il faudrait peut-être préciser ça dans ce billet, car je ne vois absolument pas en quoi Josh Homme ou Trent Reznor seraient en deça de Gallagher. Quitte à faire dans la comparaison trollesque, je trouve leurs chansons parfois bien mieux écrites que celles d'Oasis. Mais quel intérêt de comparer des chansons réalisées dans des esprits différents, et avec des objectifs différents. Que je sache, NIN et QOTSA n'ont jamais revendiqué de plaire à la masse sans se corrompre. Ils font juste ce qu'ils veulent, que ce soit accessible ou pas. Même remarque pour d'autres groupes cités ci et là, en particulier les Strokes (mais également les Arctic Monkeys, voire même Incubus, dont le jugement de leur album popisé me semble injuste). Pour le reste, le propos de l'article reste intéressant ;)
Sharvey, le 15/06/2015 à 10:46
Edito très intéressant s'il en est, et surtout sujet à de nombreux débats. Pour ma part je te rejoins sur quelques notions, mais Quid de la volonté de l'artiste ? Tu prends l'exemple des Black Keys, en disant que rien ne laissait présager une telle popisation, et c'est vrai, mais au vu de la teneur très (voire trop) respectueuse des standards blues de leurs premiers albums, on était en droit d'attendre une émancipation de ces sons, et pour eux c'est passé par un son plus pop. Mais au fond, est ce que le fait de se rapprocher des sommets des ventes était un objectif ou un (très agréable) à côté de cette volonté de changement ? Idem pour les Shins ou les Decemberists, en 15ans de vie les mentalités des musiciens changent (parfois les musiciens eux mêmes changent), les influences évoluent avec, qui peut dire qu'il écoute la même chose qu'il y a 15ans et qu'il est attiré par les mêmes musiques. Pour les Arctic Monkeys par contre je trouve le propos trop hâtif : on s'accorde tous sur le côté pas novateur pour un sou de leurs premiers albums, jouissifs en défouloir, justes comme rarement en pour les paroles, mais niveau musical ça cassait quand même pas 3 pattes à un canard. Je pense que leur influence sera plutôt retenu pour leurs derniers albums (et notamment AM, qui a quand même joui d'une belle portée populaire).