Zone Libre, Casey & Hamé
L'angle mort
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1- Les mains noires / 2- L'angle mort / 3- Purger ma peine / 4- E.L.S.A / 5- Le mur / 6- Une tête à la traîne / 7- 1/20 / 8- La chanson du mort-vivant / 9- Maintenant
L'objet de toute rumeur, si pertinente soit-elle, se veut d'être authentique. C'est peu dire alors que la présente collaboration, qui pendait au nez de l'Hexagone, aura été attendue avec ardeur. Une ardeur plus violente et colérique que le soulèvement d'un peuple armé de valeurs. Cinq artistes ont traversé le rideau de feu et les étincelles de fer afin de perforer les étiquettes musicales. Grands responsables, le trio instrumental Zone Libre composé de Serge Teyssot-Gay (guitare), Marc Sens (guitare, basse) et Cyril Bilbeaud (batterie) allié à Casey et Hamé, deux MC's affranchis. Que les incultes se rhabillent, on ne présente plus la famille !
La haine et la passion ont donc rassemblé des blancs sans désir noir de terre saine, et des noirs dont les micros ne se chargent jamais à blanc. L'angle mort, un disque compact dans la ligne de mire d'un risque opaque. L'angle mort, un album lumineux aux reflets sombres d'un monde remplit d'ombre. Clairement, la musique délivrée par ce combo hors normes transpire d'élégance et suffoque d'intelligence. Un bijou qui, au départ, laisse perplexe. Zone Libre opte-t-il pour la douceur ? Casey et Hamé cherchent-ils la rédemption ? Non ? Bien sûr que non ! "Les mains noires" nous le prouve déjà, d'entrée. Sous une rythmique hip-hop, les deux guitares, d'abord ambiantes, carressent les paroles adoratrices de nostalgiques damnés de la terre. Les écrivains-penseurs Frantz Fanon et Kateb Yacine, les penseurs-lutteurs Martin Luther King, Rosa Parks et Malcolm X ou la panthère noire Angela Davis, que "des noms de géants" qu'il serait dangereux d'oublier. S'en suit un déluge noisy rock défrisant, une colère cosmique qui répond furieusement au sample d'une lointaine interview. L'angle mort a de l'allure ! Sa silhouette est plus filiforme qu'une onde de choc.
Parfois, l'atmosphère tend à s'approcher d'un spoken word ténébreux qui clôture son conte musical par des plaintes sonores denses et abrasives. Hamé, par exemple, observe le paysage sociétal à travers "Le Mur", miroir de belles personnes qui ne bougent pas d'un pouce face aux maux. Casey, elle, choisit la personnification pour mieux exploser les représentations sociales ("La chanson du mort-vivant"). Tout en rage montante, ces morceaux demandent des nerfs solidement cramponnés. Des sons noise stridents giclent de la guitare de Marc Sens comme le bruit d'une perceuse électrique frappant des cordes.
La plupart du temps, Zone Libre imprègne à son rock ténébreux une dimension plus mélodique qu'expérimentale. Un espace est ainsi habilement laissé à disposition des chanteurs. A la manière d'un Zack de La Rocha français, Casey, comme un poisson dans l'eau, rappe avec véhémence dans "Purger ma peine". Aussi, il faudra bien suivre sa plume, sans quoi l'éventualité d'être "Une tête à la traîne" ne conduira qu'à l'impasse. Si la martiniquaise se régale d'un menu couplet-refrain, Hamé pèche, d'une mini goutte, par la quantité de ses textes. Mais son langage est concis, ses mots aussi aiguisés qu'un appétit de lion. Il débat pour abattre "E.L.S.A", cet Engin Léger de Surveillance Aérienne que la police utilise afin de payer certaines prostituées informatiques telles Edvige, Ariane ou Cristina. Et sur le titre "Maintenant", Hamé vocalise une de ses meilleures poésies qui se loge implacablement parmi les mémorables "Un chien dans ma tête" ou "La meilleure des polices". Parsemées de politique : "Qui veut encore / Nous refourguer / Le petit Affreux comme un progrès ?", de clins d'oeil sympathiques : "Sous les pavés, le fourgon", et de belles rhétoriques : "Et on peut toujours parler d'amour / Quand part l'émeute au crépuscule", les phrases du franc-tireur surchauffent le climat jusqu'au magnifique solo de Sergio.
Mais Casey et Hamé partagent également le micro sur deux autres chansons. L'entrainante "1/20" où l'on se délecte des qualificatifs "Insupportable / Invendable / Insolent / Insortable / Inmontrable / Impossible / Ingérable / Infâme / Affreux / Infréquentable / Un vrai nid de crabe" cadencés d'une froide ironie. Enfin, la métaphore de "L'angle mort" réplique orageusement à tous les détracteurs grâce, notamment, à son chant énervé et sa basse dronique.
Avec L'angle mort, Zone Libre, Casey et Hamé réussissent bien plus qu'une fusion des genres. Rock et rap donnent aujourd'hui naissance à un album important qui marque le parallèle entre les valeurs du hip-hop et celles du Velvet Underground. "C'est maintenant et ici que tout commence", et partout à travers la France, là où les scènes ne censurent pas Elysée et uniformes bleus...