Slade
Slade Alive!
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1- Hear Me Calling / 2- In Like a Shot From My Gun / 3- Darling Be Home Soon / 4- Know Who You Are / 5- Keep on Rocking / 6- Get Down With It / 7- Born to Be Wild
Qu’est-il arrivé à Slade ?
Comment un groupe rock qui a vendu 50.000.000 d’albums, qui a classé une floppée de singles en tête des charts britanniques entre 1972 et 1975, qui est à l’origine d’une mania comparable au tsunami généré un peu plus tôt par The Beatles et qui est cité comme référence par des dizaines de musiciens (de Kiss aux Ramones, en passant par Mötley Crüe, Def Leppard ou Nirvana) a-t-il pu disparaître des pages de l’histoire du rock alors que des météores jurassiques, connus pour un unique titre, sont encore cités comme des références culturelles ?
En 2022, la question reste posée (certains philosophes estiment par ailleurs que réfléchir à une question est plus intéressant que d’y répondre).
Embarquons dans la machine à remonter le temps ! Retour au siècle passé, début des années soixante : c’est à Wolverhampton, une ville industrielle située au cœur du Pays Noir, à 250 kilomètres au Nord-Ouest de Londres, que les quatre musiciens se rencontrent.
Ils sont aussi différents que complémentaires : Don Powell (batterie) se réfugie dans le rock pour échapper à son destin d’ouvrier sidérurgiste ; Dave Hill (guitare) est un six-cordiste assez primitif qui est simplement capable d’aligner à l’envi quelques bons plans à la Chuck Berry ; Noddy Holder (chant / guitare) possède un organe vocal d’une puissance à faire pâlir Joe Cocker ou Van Morrison d’envie ; Jim Lea (basse/chant) est, pour sa part, un multi-instrumentiste (piano, guitare, violon, …) musicalement cultivé.
Après avoir tout tenté, sous divers noms, le quatuor infatigable est enfin repéré en 1969 par Chas Chandler (1938 – 1996), l’ancien bassiste de The Animals, qui devient leur manager après avoir été le célèbre mentor de Jimi Hendrix. Son premier conseil est capillaire : les gaillards doivent abandonner leur look skinhead et arborer des cheveux longs (une perruque comique pour Dave Hill qui était prématurément chauve). Son deuxième conseil est musical : Slade doit abandonner ses préoccupations sociales et ses aspirations folk-rock pour jouer un rock simple, puissant, carré et direct.
Les premiers essais en studio sont décevants (1). Mais Chandler n’est pas né de la dernière pluie ; il a remarqué combien le charisme du groupe opérait sur scène, principalement lorsque les amplis étaient réglés sur onze et que Noddy Holder se transformait en hurleur surexcité.
Le manager a alors l’idée géniale de faire enregistrer un album live à ses protégés (2)
Slade Alive ! sort en février 1972…
Il se fait qu’au début de cette année-là, le rock avait enfanté peu d’albums live marquants. En laissant volontairement de côté le patchwork souvent pénible des captations de Woodstock, il y avait eu, dans l’ordre chronologique, Little Richard (Greatest Hits Recorded Live – 1967), The Rolling Stones (Get Yer Ya-yas Out – 1970), The Who (Live At Leeds - 1970) et, peut-être, Humble Pie (Performance – 1971).
Alive ! va pulvériser la planète rock et propulser le vaisseau Slade en orbite. Devant un public conquis (composés essentiellement de membres de son fan-club), le groupe, privilégiant les décibels, délivre un rock simplissime, bas du front, précipité et volontairement crétin (3).
A ce moment-là, les gaillards ignorent encore qu’ils comptent parmi eux un duo de compositeurs magiques (Jim Lea pour les mélodies et Noddy Holder pour les textes) qui va bientôt se montrer capable d’écrire des hit-singles à la pelle à neige.
Cette ignorance explique pourquoi Alive ! privilégie les reprises. Sur les sept plages que compte l’album, il n’y a en effet que trois titres originaux ("In Like A Shot From My Gun", "Know Who You Are" et "Keep on Rocking"). Ce ne sont pas les moments les plus intéressants, d’autant plus que le troisième est déjà une reprise "masquée" de Little Richard (4). Cependant, les quatre reprises déjantées sont hypersoniques : "Hear Me Calling" (Alvin Lee), "Darling Be Home Soon" (John Sebastian), "Get down And Get With It" (popularisé par Little Richard) et "Born to Be Wild" (popularisé par Steppenwolf) atomisent les versions originales (et toutes celles qui suivront).
La première image qui vient encore à l’esprit est la locomotive "Heavy Metal" de l’illustrateur anglais Rodney Matthews. Le groupe déboule littéralement sur des rails d’acier sonique et rien ne peut l’arrêter.
L’opus – dans son épouvantable pochette rouge vif – est bien entendu proposé brut de décoffrage. Aucun bidouillage en studio. Le délire est gravé depuis la scène, directement dans le vinyle fumant. Avec ses pains, ses contretemps, ses bourdes et son gros rot houblonné au cœur du seul moment apaisé, perdu parmi trente-huit minutes et cinquante-sept secondes de folie furieuse et roborative.
La tournée qui suivra va conquérir une génération de jeunes rockers. Les survivants sont faciles à identifier : ils sont sourds ou malentendants depuis un demi-siècle. En 1972, aucun spectacle rock n’était à la hauteur de la furie tribale que Slade pouvait proposer sur scène.
Les Anglais qui s’adressaient principalement à la classe ouvrière se sont imposés comme un rempart contre l’épidémie de rock dit "progressif" (parfois appelé "head rock") qui éloignait le style de ses origines "carrées".
Les querelles entre prolos et intellos ont été terribles (5). Chacun devait choisir son camp car il n’était pas admissible d’aimer simultanément Slade et Genesis (ou Yes, ELP, Pink Floyd, …). Il y a eu des échanges de torgnoles et des tirages de moumoutes dans les couloirs des écoles et des facultés. Comme au temps maudit des mods et des rockers.
L’Angleterre succombe. L’Australie aussi. Mon petit pays également. En décembre 1972, après un concert historique qui a fait trembler les murs de la meilleure salle belge du moment (6), les lecteurs de la presse rock francophone désignent Slade comme meilleur groupe du monde (et Noddy Holder comme meilleur chanteur). Victoire par KO des rockers !
Durant trois années hystériques, Slade va incarner l’essence du rock basique et festif. Mais nous savons tous et toutes que l’essence est très volatile…
A suivre.
(1) Play It Loud n’a pas rencontré plus de succès que son prédécesseur sorti sous le nom d’Ambrose Slade.
(2) En 1975, Kiss reproduira le même schéma à l’identique, poussant la plaisanterie jusqu’à nommer également son premier double album public Alive.
(3) Conceptuellement, Slade préfigure plus Beavis and Butt-Head que, par exemple, Patrick Eudeline.
(4) Il faut vraiment être culotté pour signer de son nom un pastiche pareil.
(5) Par la suite, Noddy Holder provoquera les intellos en truffant ses textes de fautes d’orthographe volontaires, réinventant un langage populaire plutôt décalé.
(6) C’est dans cette même salle (Forest National) que The Rolling Stones joueront leur "concert français" durant l’après-midi du 17 octobre 1973 ; le groupe était interdit de séjour en France et le public hexagonal avait rallié massivement Bruxelles en train.
(-) Cette chronique, consacrée à un groupe anglais, est rédigée en mémoire de SM Elizabeth II, icône rock (in)volontaire : elle a, parmi d’autres grands gestes "pop", décoré The Beatles, anobli Elton John, Mick Jagger, Barry Gibb, Rod Stewart et Twiggy, illustré la plus célèbre pochette des Sex Pistols, rencontré The Simpson, pris le thé avec Paddington et invité Brian May a jouer sur le toit de Buckingham Palace. God save the Queen !