
Robin Trower
Bridge of Sighs
Produit par
1- Day of the Eagle / 2- Bridge Of Sighs / 3- In This Place / 4- The Fool and Me / 5- Too Rolling Stoned / 6- About to Begin / 7- Lady Love / 8- Little Bit of Sympathy


Bridge of Sighs est incontestablement l’album le plus connu de Robin Trower, un des derniers guitar-hero des années 1970 encore en état d’exercer son talent à la six-cordes. Enregistré dans la continuité directe d’un premier album prometteur, Twice Removed From Yesterday, qui montrait déjà au monde toute l'étendue de la maîtrise des techniques de jeu hendrixiennes par le guitariste anglais, Bridge of Sighs surpasse son prédécesseur en tous points. Pour répondre à la demande de Chrysalis Records, Robin Trower rassemble une nouvelle fois son power trio composé de Reg Isadore et Jim Dewar avec Matthew Fisher à la production, son ancien camarade de Procol Harum et Geoff Emerick (qui a notamment travaillé sur les albums des Beatles) comme ingénieur du son.
Et le virtuose ne se fait pas prier pour faire cracher son ampli Marshall dès l’ouverture de "Day of the Eagle" avec une énorme riff funky bardé de soli impétueux qui évoque en contrepoint le contexte de la guerre et ses secousses sur la jeunesse de l’époque ("nous vivons à l’époque des aigles et non des colombes"). Dewar habille comme toujours de ses intonations chaudes et rocailleuses le torrent électrique qui se déverse depuis la stratocaster de Trower, avant que le titre change de tempo au bout de quelques minutes avec un chorus plein de douceur et d’élégance. L’album regorge de trouvailles riffesques au groove dansant comme sur le turbulent "The Fool and Me" ainsi que d’hommages appuyés au maitre Hendrix comme sur le long "Too Rolling Stoned", sa basse remuante et sa wah-wah incandescente qui rappelle "Voodoo Chile (Slight Return)" avant un final bluesy un peu halluciné.
Mais Robin Trower excelle sur les blues lents qui lui permettent de faire ressortir tout le grain de son toucher de guitare au feeling prodigieux. Ce dernier exprime toute la douleur d’une séparation amoureuse sur "In this place" et nous met à genoux sur "About to Begin" et ses accords lacrymaux. Plus planant et psychédélique avec ses textures brumeuses pleines de réverbération et le chant de Dewar qui confère au morceau une humanité émouvante, le titre éponyme reste l’un des morceaux les plus célèbres du bluesman britannique. En écho à la tonalité inquiétante du titre, les soupirs dont il est question renvoient davantage aux prisonniers conduits devant les juges (le pont des soupirs de Venise reliait les anciennes prisons aux cellules d’interrogatoire du palais des Doges) et non aux amoureux transis. Ces derniers se voient finalement balayés par des rafales de vent qui font la jonction avec le morceau suivant.
Enfin, la conclusion de l’album renoue avec une rythmique plus enlevée et un jeu blues-rock rugueux, d’abord sur le mélancolique "Lady Love" puis surtout avec "Little Bit of Sympathy" puissant heavy funk qui part d’une nouvelle jam infernale entre les trois musiciens et qui sort une dernière fois l’artillerie électrique avec un riff au phrasé intrépide.
Bien plus qu’un simple produit d’imitation, Bridge of Sighs est un album sans le moindre déchet qui alterne parfaitement ses moments forts entre manifeste rock punchy et blues sensible et langoureux. Plus discret et moins fantasque que ses camarades guitaristes surdoués de l’époque (ce qui explique certainement en partie sa longévité), Robin Trower réalisera avec ce second opus un vrai carton aux Etats-Unis, synonyme de grandes tournées en compagnie de Ten Years After et King Crimson. L’occasion de faire connaissance sur la route avec Robert Fripp et de lui donner quelques cours de guitare au passage… Sacrée époque quand même…