Nick Drake
Pink Moon
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1- Pink Moon / 2- Place To Be / 3- Road / 4- Which Will / 5- Horn / 6- Things Behind The Sun / 7- Know / 8- Parasite / 9- Free Ride / 10- Harvest Breed / 11- From The Morning
La Lune est dite "rose" (ne pas confondre avec la Lune "rousse") lorsqu’elle est pleine et qu’elle est au plus proche de la Terre. Ca se passe en avril et la couleur est attribuée en référence au phlox qui fleurirait au même moment.
Fin de la minute astronomique et botanique…
Le peuple du monde est parfois hypocrite lorsqu’il glorifie post mortem un artiste qui s’est suicidé à 26 ans (1) parce que personne ne s’était intéressé à lui durant sa vie.
Outre Nick, ce même peuple du monde a retenu de la famille Drake :
• la sœur Gabrielle, pour son rôle à perruque mauve dans la série de science-fiction Alerte dans l’Espace (2) dont vingt-six épisodes ont été diffusés entre 1971 et 1973 ;
• la maman Molly pour son aptitude à jouer du piano et à composer de bien jolies mélodies qu’elle chantait devant son fiston ébahi.
A ce stade de la chronique, il est possible de considérer qu’à l’évocation de ces deux femmes, tout l’univers du musicien a déjà pratiquement été parcouru. On a vaguement l’impression de relire la biographie maudite de H.P. Lovecraft.
Nick Drake n’avait pas été conçu (ni élevé) pour appartenir à notre univers inhumain. Certains de ses comportements (lisibles dans ses textes) se situent aux extrêmes confins d’un comportement autistique qui aurait certainement mérité une écoute plus attentive de la part de ses proches. L’album (du moins dans sa version CD, rééditée en 2004) comporte une jolie photo en noir et blanc où un grand chien très expressif, observe l’humain indifférent avec cette commisération dont seuls certains animaux sont capables.
Comme tout le monde en ces temps immémoriaux, Nick a gratté un peu de guitare acoustique. Ses accords inattendus s’égrenaient en écho à ceux que sa maman Molly imaginait sur son clavier. Comme il est quasiment impossible de concilier mélodiquement les deux instruments, le bonhomme a inventé des open tunings (3) improbables. Et il a calé sa voix fluette et ses curieuses mélodies sur des notes qui n’ont vraiment rien d’académique (même si les rythmiques sont souvent les mêmes).
A lire les textes, il est évident que personne n’a pris la peine de le corriger ou de lui expliquer pourquoi trois mots enchaînés ne faisaient pas une phrase et pourquoi deux rimes ne font pas un poème.
"Tu peux voir comment le Soleil brille
Si tu le souhaites
Moi, je peux voir la Lune
Et elle est si claire
Tu peux emprunter la route qui te conduit jusqu’aux étoiles" (4)
Il est évidemment possible de gloser à l’infini sur l’interprétation des mots, en expliquant que le Soleil représente la Vie tandis que la Lune représente une Non-Vie, ce qui signifierait que l’auteur, qui se sent différent des adorateurs du Soleil, navigue entre ombre et lumière et qu’il a déjà fait le choix de choisir une voie médiane en montant vers les étoiles, …
A ce rythme-là, Jonathan Richman (5) pourrait être une réincarnation de William Shakespeare.
Il s’est forcément trouvé un idiot ou l’autre pour expliquer au chanteur à la voix de fausset qu’il avait énormément de talent. Et Nick a compris qu’il allait devenir une star adulée et riche, même si ses titres ne passaient pas à la radio et même s’il se refusait à jouer en public…
Après l’échec de trois albums (1969, 1971 et 1972), il a préféré s’expatrier sur une autre planète (en route vers les étoiles), plus accueillante et moins mensongère. A coup d’antidépresseurs (amitriptyline).
Au même titre que sa pochette illisible (œuvre d’un ami de Gabrielle), Pink Moon est un opus difficile à aborder. Son principal avantage est sa brièveté (28 petites minutes). Selon l’humeur, c’est vite fini ou ça peut se répéter à l’envi.
Le producteur John Wood (qui avait déjà enregistré Pink Floyd à un stade prépubère) n’intervient guère. Un micro bien choisi pour la voix. Un autre pour la guitare. Puis les touches "Play" et "Record". Relax.
Les onze titres (dont "Horn", un minuscule instrumental) ont été enregistrés pratiquement en temps réel au cours de deux petites sessions nocturnes / lunaires. Il n’y a nul autre overdub que les quelques notes de piano qui enluminent la plage titulaire.
Tous les défauts ont été fidèlement gravés dans la cire (cordes qui frisent, voix qui s’égare, accords fantomatiques un peu à côté, doigts qui flirtent souvent avec les frettes, …). Brut de brut. Juste un homme seul, peu sûr de lui, et sa guitare en bois.
Certains titres sont immédiatement intéressants, comme la plage titulaire, "Road" (qui fait penser à la fausse naïveté de Dick Annegarn), et "Things Behind The Sun". Les autres, parfois cafardeux, souvent cryptiques, demandent des efforts. Seule la plage finale, "From The Morning", se montre un peu plus solaire, sans que l’on puisse parler réellement d’un message d’espoir.
Petit maître des mots mais grand maître des maux (sa versification adulescente et dépressive est parfois malaisante à lire), Nick Drake était probablement le seul à croire que son album pourrait se vendre en 1972. Cette année-là, les jeunes rockers allaient dépenser leurs maigres économies entre le meilleur Bowie, le dernier Rolling Stones abouti, un Neil Young exceptionnel, un Lou Reed tout maquillé, un Yes au sommet de son art, un Genesis fabuleux, Deep Purple, Uriah Heep, Jethro Tull, …
Les rares qui ont suivi Drake en temps réel ont eu le nez très fin. Les autres sont arrivés trop tard et ont toujours entretenu une relation complexe (pour ne pas écrire "complexée") avec Pink Moon. A la décharge de ces "autres", l’album était loin de se trouver dans les bacs de tous les disquaires de province.
Mais, les années passant et une fois le charme installé, il est compréhensible que l’opus soit devenu une référence ultime pour les gens qui pensent ponctuellement que la misère du monde peut reposer sur les épaules d’un homme seul.
VW a utilisé la plage titulaire pour une publicité putassière en l’an 2000. Il est toujours difficile d’admettre qu’une entreprise qui "se méprend" sur ses performances environnementales s’approprie la Culture Populaire. La seule chose qui soit réjouissante ici est que les concessionnaires de la marque ont reçu plus d’appels au sujet de la musique que pour commander leur bête cabriolet.
La revanche de la Lune et des Phlox roses.
(1) loupant par conséquent le Club des 27 de quelques mois….
(2) de vieux pervers avertis qui fréquentaient les salles obscures alternatives (celles où il fallait porter un feutre mou, un long trench-coat mastic et prévoir un journal à déplier pour l’entracte) l’ont même vue vêtue de son seul parfum dans le nanard The Au Pair Girls (1972).
(3) jouées à vide, les six cordes d’une guitare accordée selon la méthode universelle produisent une résonnance horrible. Pour en jouer, il faut poser des doigts sur le manche selon des schémas bien spécifiques. L’Open Tuning (accordage ouvert) consiste à tendre ou détendre les cordes pour que l’instrument délivre un accord spécifique même à vide. C’est une méthode pour paresseux (popularisée par Keith Richards) qui impose évidemment de disposer de plusieurs guitares pré-accordées en différentes tonalités pour jouer sur scène.
(4) et, comme de coutume, le traducteur n’est qu’un traître…
(5) exemple : "L’abeille fait bzzz-bzzz, l’oiseau fait cui-cui mais le son de ta voix est la plus jolie musique que j’aie jamais entendue."