Midwife & Vyva Melinkolya
Orbweaving
Produit par Ed Brooks
1- Miss America / 2- Hounds of Heaven / 3- NMP / 4- Plague X / 5- Orbweaving
Orbweaving a été enregistré dans le petit home-studio de Madeline Johnston (Midwife) sous la chaleur aride du désert de Chihuahua. La néo-mexicaine et Angel Diaz (Vyva Melinkolya) évoluaient jusque-là séparément autour des sons éthérés du shoegaze et se sont rapprochées en 2020 malgré l’immobilité de la pandémie, pour se rejoindre physiquement dans la touffeur de l’été suivant. Jusqu’à présent, Midwife dictait sévèrement les vapeurs incolores d'une musique austère parfois catégorisée de "heaven metal", tandis que Vyva Melinkolya préférait simplement la tendresse routinière des guitares brumeuses – mais par une union qui a finalement dépassé le simple cadre artistique, les deux américaines aspirent désormais les lentes vibrations d’une dream pop grondante et dénudée, dans un glissement perpétuel de sable et de poussière.
"If it’s all just the same to you
Would you take my hand?"
Ce premier album en commun s’est formé au cours d’aventures nocturnes menées sur les routes brûlantes de Las Cruces, menant principalement à la rencontre de serpents à sonnette ou d’orbitèles (araignées qui tissent des toiles circulaires, ce qui n’est pas systématique contrairement aux représentations communes). On retrouve dans Orbweaving des traces de cette ardeur mais dérobées sous une flamme réservée et délicate, qui s’attache à rassurer les esprits agités par le vertige de l’obscurité et de l’inconnu. L’introduction "Miss America" et sa guitare slide hallucinée répète inlassablement ses arpèges entrelacés jusqu’à ce que l’on cède aux visions réconfortantes des mirages lointains. Les lignes vocales se limitent à des chuchotements amputés de leurs fréquences extrêmes, comme suspendus aux lèvres de la moiteur du désert. Postérieurement, les guitares s’endurcissent et rôdent avec fermeté sur les dunes, mais ne se manifestent presque jamais au-delà de la force d’un frisson. La distorsion est intense, mais paradoxalement effacée, minimaliste ; elle agit telle la texture sensible de la fragilité des deux chanteuses et finit souvent absorbée dans leur romance, en particulier sur les derniers instants de "NMP" et de son ascension intangible.
Derrière la porte mystérieuse du visuel de Orbweaving se cache sans doute simultanément une araignée de jardin et une éventuelle ouverture pour traverser cette prison de toile. Une manière d'anticiper la tension entre le péril et la quiétude au cœur de cet album : Johnston et Diaz marchent tout au long de "Hounds of Heaven" sur le fil du danger avec une imprudence teintée de croyances insensées, comme un retrait volontaire de la réalité ("The Hounds of Heaven runs like hell / I know it’s all just a game to you / Was it part of the plan?"). La rythmique mécanique, presque industrielle, constitue ici la seule véritable incarnation de civilisation évoquée sur le disque, dont le regard se pose surtout sur les infinités magnétiques du désert et de ses secrets, ses troubles. "Plague X" embrasse l’horreur et les impuretés cachées dans le sable avec une fascination aggravée puis introduit le morceau-titre, une pièce instrumentale sobre, répétitive et méditative caractéristique de l’ambient : les deux compositions partagent le même bourdonnement grave et souterrain pour des finalités distinctes mais complémentaires. Orbweaving atteint le comble de son aura sur "NMP" (No More Pain), qui s’abandonne lentement dans un dernier écho de flammes déformées jusqu’à l’arrivée d’un orgue libérateur, pareil à une dernière adresse divine, amère et solitaire.
"Sing of love / Sing of death
Give up your body / No regrets
(I’m still here)"
Par bien des aspects, Orbweaving s’apprécie davantage comme un album d’ambient. Notre attention s’y fixe et se délite sans ordre ou proportions particulières et indépendamment de l’éventuel progrès des compositions. On pense alors facilement à Liz Harris et son projet Grouper, entre ambient et dream pop, qui développe depuis presque 20 ans cette esthétique feutrée et nébuleuse (touchant l’excellence sur Dragging a Dead Deer Up a Hill et Ruins) mais sans se risquer aux expériences doucement bruyantes de Johnston et Diaz. En seulement cinq titres et une trentaines de minutes, Midwife et Vyva Melinkolya réalisent alors un petit miracle avec cet opus envoûtant à la croisée de sous-genre discrets : au delà de ses plages éternelles, l’expérience invoque tendrement ces crépuscules lointains où l’on finit par céder paisiblement à la fatigue, bercé par les images rutilantes de la journée écoulée.