Machiavel
Phoenix
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Qui aurait misé une thune sur un nouvel album de Machiavel, quarante-huit ans après la création du groupe belge et neuf longues années après un opus (Colours – 2013) que beaucoup croyaient être le dernier (1) ?
Et qui aurait pu dire que Phoenix dépasserait définitivement toutes les attentes en mariant de discrètes racines eurockéennes avec une contemporanéité d’une pertinence implacable. Dieu sait combien l’art du grand écart requiert de souplesse et de talent…
Il faut une foi inoxydable pour poursuivre sa route en remisant au grenier toutes les embûches, les deuils et les déconvenues.
Et il faut une conviction sans pareille pour encore réalimenter le foyer en charbon, raviver les flammes et surveiller la pression de la chaudière jusqu’à ce que le convoi reprenne sa course sur les voies improbables du rock.
Bien que douloureusement orphelins de leur attachant chanteur Mario Guccio (1954 – 2018), Marc Ysaye (batterie) et Roland De Greef (basse), membres historiques de Machiavel et incorruptibles gardiens du temple, poursuivent leur aventure sans fin entourés de Hervé Borbé (2), un claviériste exceptionnel (de la trempe d’un Don Airey ou d’un Phil Lanzon pour n’en citer que deux), de Christophe Pons, un surdoué de la guitare (3) et de Kevin Cools, jeune chanteur (4) d’exception qui affole les potentiomètres lorsqu’il s’envole dans les notes aigues.
Remarquablement enregistré par Roland De Greef et finement produit par le groupe, Phoenix compte onze compositions (toutes créditées collectivement), variées et cohérentes (5). Certains titres font plus que flirter avec cette excellence qui a souvent conduit ce groupe unique à (re)déployer ses ailes au-delà des frontières de la petite communauté francophone de Belgique.
Le temps viendra forcément patiner les choses et les impressions actuelles sont naturellement très immédiates et subjectives. Les deux très bons singles, "Magical Mess" et "Soulrise", sont les premiers à retenir l’attention (avec le catchy "When the Eagles Cry"). Cependant, sans nostalgie aucune, ce sont probablement les titres les plus longs ("Drop The Mask", "Six Feet Under" ou l’halluciné "Afterlife") qui tirent l’album vers la stratosphère avec leurs ambiances contrastées et leurs ponts progressifs très élaborés (parfois discrètement symphoniques). Puis les fans des premières heures se réjouiront de retrouver Marc Ysaye au chant sur le très touchant et ô combien accompli "The Following Day".
Certaines légendes racontent que le Phénix (parfois aussi appelé Rokh, une étrange coïncidence) pouvait vivre cinq cents ans…
(1) Pourtant, belgitude oblige, Brel avait déjà chanté cette vision prophétique de l’existence : "On a vu souvent rejaillir le feu / D’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux."
(2) Diplômé des beaux-arts, le claviériste signe également la pochette, forcément très symbolique, de l’album.
(3) C’est certainement un cliché d’écrire au sujet d’un musicien qu’il est capable de "tout jouer". Mais c’est vraiment le cas ici. Par sa versatilité et son aisance, Christophe Pons, quand il joue du rock, inspire le même respect que le fraîchement retraité Steve Morse.
(4) Il est trentenaire, ce qui en fait un "gamin" en termes de rock progressif. Fait rare dans les annales rock : le frontman avait été adoubé par son prédécesseur…
(5) Les textes ne sont pas reproduits sur la pochette mais figurent intégralement sur le site du groupe (www.machiavel.be)