Kansas
Kansas
Produit par Wally Gold
1- Can I Tell You / 2- Bringing It Back / 3- Lonely Wind / 4- Belexes / 5- Journey From Mariabronn / 6- The Pilgrimage / 7- Apercu / 8- Death of Mother Nature Suite
Topeka, Kansas. Cette petite ville du Midwest, capitale de son État, n’est pas exactement le genre de lieu où l’on aurait imaginé voir naître l’un des fleurons du rock progressif américain. Pourtant, c’est là qu’émerge Kansas, peut-être la formation la plus caractéristique de la scène étatsunienne, réaffirmant le rôle du Midwest comme terre de prédilection du rock progressif aux États-Unis.
Au début de la décennie, la République nord-américaine s’amourache du rock progressif anglais dont les plus grands représentants organisent des tournées triomphales. Pour autant, aucune véritable scène locale n’émerge, en dehors de quelques premiers signes assez peu significatifs à l’échelle de la scène rock étatsunienne – citons tout de même Styx, Glass Harp, Sigmund Snopek III, Jasper Wrath, Polyphony et Bloodrock qui effectue à ce moment un tournant stylistique. Durant cette première moitié des années 1970, beaucoup de formations vivotent sans avoir les moyens d’enregistrer et sans trouver de label.
C’est le cas des premières incarnations de Kansas, puisque le premier opus du groupe, paru en 1974, est en réalité l’enfant d’une forme de Mark III, aboutissement de multiples tergiversations autour d’un pivot, Kerry Livgren. En 1970, ce dernier avait tenté de prendre le dessus sur la scène de Topeka en fusionnant son groupe Reasons Why avec White Clover, où jouaient le bassiste Dave Hope et le batteur Phil Ehart. Or, ces deux musiciens quittent le navire dès 1971, laissant le Mark I presque mort-né. Rapidement, Livgren convoque de nouveaux musiciens pour former un Mark II, surnommé Proto-Kaw dans la postérité, dont les premiers efforts seront publiés en 2002 (Early Recordings from Kansas 1971-1973). Cette captation est très intéressante en ce qu’elle affiche l’influence du rock progressif britannique sur les musiciens de façon saisissante (Van der Graaf Generator, Uriah Heep et King Crimson), alors qu’elle sera très peu présente sur le premier album de Kansas.
En 1973, après une nouvelle séparation, Kerry Livgren est appelé par Phil Ehart pour rejoindre White Clover qu’il avait restauré avec Dave Hope (basse), Steve Walsh (claviers, chant), Robby Steinhardt (violon) et Rich Williams (guitare) : les amateurs auront reconnu les membres de Kansas, ceux-là même qui enregistrent un premier opus en 1974 après avoir trouvé le nom définitif de leur groupe.
Comme si le choix du nom de l’État n’était pas suffisant pour affirmer son identité géographique, le combo choisit d’illustrer son album par une peinture représentant John Brown, leader abolitionniste du "Bleeding Kansas" des années 1850, présente sur les murs du Capitole de Topeka. De plus, sur le plan musical, Kansas offre à entendre une forme caractéristique de rock progressif américain fondé sur le maintien d’une forte orientation hard-rock. À ce titre, on évoquera volontiers le tube "Can I Tell You", qui met en avant la belle osmose entre le violon et la guitare, ou "Belexes", un morceau heavy-prog’ à la Uriah Heep doté d’une touche klezmer. Kansas souhaite donc se montrer accessible, comme en témoigne plus loin la ballade "Lonely Wind". En outre, cette touche américaine est soulignée par la présence du violon et d’éléments issus de la musique folk américaine, ce qu’illustre la reprise magnifiée de "Bringing It Home" de JJ Cale.
Plus progressif, l’excellent "Journey from Mariabronn" est représentatif des compositions du groupe à venir, notamment dans son introduction remarquable, où se succèdent la guitare et le violon, et dans son intermède instrumental sublime. La deuxième face est volontairement plus ambitieuse, avec deux suites imposantes que sont "Aperçu", plutôt britannique dans son approche (au-delà des divagations au violon) et "Death Mother Nature Suite", belle épopée progressive saturée qui reste assez fragile dans son construction.
Ce premier opus de Kansas peut donc être considéré comme l’acte de naissance d’une forme de rock progressif aux États-Unis guidé par une formule esthétique purement américaine. Ce poids historique fait qu’on lui pardonnera les quelques hésitations et tâtonnements qui sont l’apanage d’un premier album.
À écouter : "Can I Tell You", "Journey from Mariabronn"