Jimi Hendrix
Are You Experienced
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1- Foxy Lady / 2- Manic Depression / 3- Red House / 4- Can You See Me / 5- Love Or Confusion / 6- I Don't Live Today / 7- May This Be Love / 8- Fire / 9- Third Stone From The Sun / 10- Remember / 11- Are You Experienced? / 12- Hey Joe / 13- Stone Free / 14- Purple Haze / 15- 51st Anniversary / 16- The Wind Cries Mary / 17- Highway Chile
1967. Alors qu'un mouvement de chevelus scotchés au LSD est sur le point de tirer sa révérence outre-atlantique, qui aurait pu croire que les fondements du rock allaient trembler jusque dans leurs entrailles ? Que l'éclosion du Voodoo Child allait signer l'avènement du Flower Power et que, dorénavant, plus rien ne serait comme avant ? Jimi Hendrix était sur le point d'embraser la révolution psychédélique, amorcée peu de temps avant par Grateful Dead ou le Jefferson Airplane, et le monde allait à jamais en porter les stigmates.
Pourtant, la sortie successive en Angleterre, pays à cette époque plus propice aux décharges électriques, de deux singles astronomiques aurait du mettre la puce à l'oreille. C'est le label Tracks Records (abritant également Pete Townshend et ses acolytes des Who) qui se chargea de catapulter "Hey Joe", reprise d'un standard version Tim Rose, en décembre 66 et "Purple Haze" en mars 67. Avec ces deux bombes, la vague hendrixienne commençait à prendre forme, et il ne restait plus que la sortie d’un album digne de ce nom pour finir de submerger l'Europe.
Et c'est en mai 67, quelques semaines avant le fameux Summer Of Love, qu'échouera dans les bacs Are You Experienced. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître aujourd'hui, il n'était pas courant à l'époque de remettre sur un album les singles parus peu de temps avant. L'édition anglaise ne comptera donc pas les deux monuments ayant servis de tremplin au gaucher de Seattle. Ce qui ne sera pas le cas de la version américaine sortie trois mois plus tard et affichant, comble de l'hérésie, non seulement une horrible pochette jaune criarde mais également une playliste complètement saccagée et différente de cinq titres de l'originale. Il faut dire qu'après avoir conquis le vieux continent, il lui restait encore tout à faire dans son pays d'origine... Mais rassurez-vous, c'est bien l'édition originale et remise en ordre, comptant l'ensemble des dix-sept titres enregistrés pour l'occasion (les moyens techniques de l'époque ne pouvant en presser que onze) qui va être abordée aujourd'hui.
L’album débute toutes cordes hurlantes avec le sulfureux riff de "Foxy Lady", sublimé il n’y a pas si longtemps par la fameuse danse de Garth dans Wayne’s World. Les préoccupations et tendances de l’époque seront largement abordées dans l’ensemble du disque et, entre les échanges charnels et les délires et visions en tous genres occasionnés par la prise de cette substance en passe de devenir illicite, Jimi tire le meilleur de ses influences pour révolutionner l’approche guitaristique. Il n'aura de cesse de bousculer les schémas musicaux préétablis de l'époque, révolutionnant les diagrammes types pour ériger ses compositions en véritables pièces d'orfèvres. Bien sur, on peut toujours supposer que The Jimi Hendrix Experience n'aurait pas eu autant d’impact sans Noel Redding à la basse et de Mitch Mitchell à la batterie. Que l’incontrôlable progression de "Manic Depression" aurait sévèrement perdu en saveur sans cette implacable rythmique jazzy… Mais, en réalité, c’est bien à propos du jeu et du son du maître qu’il faut crier au génie. Les potards poussés à bloc, un déluge de larsens et de réverb, l’utilisation massive d’effets en tous genres (dont la fameuse wah-wah Cry Baby), et cette sensation qu’Hendrix ne joue pas de la musique mais s’incarne véritablement dans ses notes. Ses compositions viennent de ses tripes, de son âme, et quand elles parcourent l’échine de l’auditeur, obscurcissant au passage son cerveau avec cette brume pourpre, c’est plus qu’une confession qui nous est faite.
Sa prédilection pour le blues et pour l’expérimentation se fera sentir tout au long de l’album, rappelant au passage que son aventure musicale commença en compagnie de Little Richard ou de BB King. L’incroyable "Red House", racé et poussiéreux à souhait, sublime de limpidité s'inscrit en véritable prémisse d’une certaine forme de blues inspiratrice de bon nombre de guitaristes (Stevie Ray Vaughan ou Popa Chubby pour ne citer qu'eux). Alors que les beaucoup plus déstructurés "Third Stone From The Sun" et "Are You Experienced?" sont autant d'orgies hallucinatoires à la limite de la transe dans lesquelles Hendrix innove en passant des parties de bandes à l’envers sur fond de sonorités étranges. La force de ce Are You Experienced réside en partie dans l’intensité de ces morceaux, véritables déchirures sonores alternant entre impacts rapides et percutants ("Fire", "Stone Free") et ballades aériennes ("The Wind Cries Mary"). En quelques mois, Jimi Hendrix aura réussi à donner un aspect total différent au paysage musical, bottant le cul de l'Amérique puritaine et bien-pensante qui traquait tout ce qui pouvait être un peu trop explicite depuis le milieu des 50's, et repoussant les limites du rock dans ses retranchements les plus sexuellement inspirés.
Si on avait un minimum d'objectivité, on se devrait d'avouer qu'au fond, les titres sont plus ou moins inégaux, que certaines imperfections se font sentir après de nombreuses écoutes... Mais Are You Experienced est vite apparu comme le seul album capable de titiller les Beatles dans la tête des charts, révélant Hendrix aux yeux du monde et s'assurant la reconaissance des plus grands (Pete Townshend et Eric "Slowhand" Clapton en tête de liste). Et le pire, c'est qu'après ce big-bang musical, deux autres pépites allait pointer le bout de leurs nez, encore bien plus abouties que cet ovni. Mais ça, ce sera pour une autre histoire...