Arctic Monkeys
Whatever People Say I Am, That's What I'm Not
Produit par Jim Abbiss, Alan Smyth
1- The View from the Afternoon / 2- I Bet You Look Good on the Dancefloor / 3- Fake Tales of San Fransisco / 4- Dancing Shoes / 5- You Probably Couldn't See for the Lights But You Were Staring Straight at M / 6- Still Take You Home / 7- Riot Van / 8- Red Light Indicates Doors Are Secured / 9- Mardy Bum / 10- Perhaps Vampires Is a Bit Strong But... / 11- When the Sun Goes Down / 12- From the Ritz to the Rubble / 13- A Certain Romance
Verser dans l’exercice périlleux de la critique rock, c’est parfois faire amende honorable, battre sa coulpe et revenir sur ses jugements, voire dans ce cas précis, ses omissions. Oui, albumrock n’a réservé aucune de ses colonnes au phénomène de l’année dernière, les jeunes lads d'Arctic Monkeys. Non que nous soyons totalement passés à côté de la chose (pour preuve, leur album figure en bonne place dans notre palmarès 2006) mais l’acharnement médiatique avec lequel ou nous a imposé le quatuor a sans doute refroidi nos ardeurs. Difficile d’avoir un avis posé et subjectif lorsqu’un disque se voit accompagné de tant d’hystérie (NME qualifiant Alex Turner de personnalité la plus cool de l’année 2005, sans qu’on sache véritablement ce qu’une telle distinction peut signifier). Ajoutons à cela la violence de la campagne publicitaire, très contemporaine dans ses injonctions voilées ("L’album a battu les records de ventes en une semaine, supplantant les Beatles", sous-entendre "Qu’attends-tu, petite merde, pour suivre le troupeau et acheter ton exemplaire comme tout le monde ?") qui aura fini d’achever toute volonté de se pencher sur la chose. Finalement, cette fin de mois de janvier constitue peut-être le moment idéal d’aborder ce premier effort, alors que sa sortie remonte à un an et que le groupe planche à l’heure actuelle sur son successeur.
Pour défendre le disque, deux principaux axes ont été empruntés. Le premier s’efforçait à biaiser l’analyse du disque pour se focaliser essentiellement sur sa promotion, le groupe s’étant taillé une réputation en totalisant un record de visites sur sa page MySpace, et ainsi faire d’Arctic Monkeys le premier phénomène rock post-Internet. Raté, le groupe a depuis fermement répété que cette mise en orbite est surtout le fait d’un management au nez creux. Pour l’image de quatre gamins se ruant sur leur PC pour mettre en ligne leurs démos l’ampli à peine éteint, on repassera. L’autre option constituait à présenter le quatuor comme une bande d’ados encore biberonnés au Biactol décrire avec une morgue exaltée leur vie de jeunes anglais du XXIème siècle. C’est finalement cet argument, plus modeste, qui sied le mieux à la musique de ces singes arctiques.
A ce titre, il ne faut pas considérer le préventif "Quoiqu’on dise de moi, ce n’est pas ce que je suis" ornant la pochette comme un simple clin d’œil malicieux visant tout le barnum du cirque médiatique, mais plutôt comme une ferme déclaration d’intention, un préalable nécessaire avant toute pression de la touche play. On se calme deux minutes, on range les couvertures du NME dans le placard et on écoute. Et là, Arctic Monkeys frappe fort dans toute son humilité. On oublie aussi sec des premières écoutes tiédasses au parfum de tout ça pour ça ? et on chausse ses Reebok pour une quarantaine de minutes totalement excitantes. Moins morveux qu’ Oasis , moins boudeur que The Strokes , Arctic Monkeys séduit dans sa remarquable fraîcheur, son absence d’ironie. Voilà ce dont on avait besoin : un rock compact, frondeur, centré sur son énergie, ne versant à aucune seconde dans un sordide second degré. Les pistes se succèdent avec bonheur sans que jamais la vitalité ne lasse, que l’ardeur se fasse redondante (chose que les Naast ne parviennent pas encore à faire). Ressaisissant l’essence fugace du rock’n’roll avec une aisance insultante, Whatever… ne souffre d’aucune baisse de régime et aligne les mélodies imparables sans afficher le moindre effort. La banlieue grisâtre en guise de décor, les plaisirs varient : hymnes bondissants ("I Bet You Look Good On The Dancefloor"), exhortations dansantes imparables ("Perhaps Vampire Is A Bit Strong", "From The Ritz To The Bubble"), tubes chaloupés inusables (impérial "Fake Tales of San Francisco"), énergie punk frottée à la frénésie adolescente ("Still Take You Home"), spleens de matins pluvieux ("Riot Van", "When The Sun Comes Down"). La bande d’Alex Turner fait mouche à chaque coup, avec l’air de s’en foutre comme de sa première pinte.
Bien sûr, on pense parfois beaucoup aux Clash, aux Jam, tant les guitares cisaillent de toute leur urgence. Mais la parenté n’est ni revendiquée, ni recherchée, cette propension à transformer la peinture du quotidien en perles rock étant un gène répandu dans le sang de chaque anglais. C’est quelque chose qui flotte dans l’air, qui se vit, et ne souffre d’aucune construction artificielle. On aurait également tort de se prendre la tête à échafauder des passerelles avec The Libertines ou Franz Ferdinand . La magie des Arctic Monkeys, elle se joue ici et maintenant, dans le présent immédiat. Inutile de s’encombrer d’un passé et d’un paysage contemporain qui n’ont aucune espèce d’importance pour eux. Cette tendance à ne se préoccuper uniquement de sa petite vie insulaire fait leur charme mais aussi leur principale limite. Pour frapper fort et marquer véritablement son époque, il faudrait sublimer la stricte observation de son petit univers, transcender son particularisme par le songwriting, réussir ce qu’avaient fait les Kinks lorsqu’il déploraient la disparition de la campagne anglaise d’antan le long de titres intemporels. C’est une option. Mais le groupe peut très bien se satisfaire de rester là où il est. C’est d'ailleurs tout le mal qu’on lui souhaite : ne jamais devenir grand.