George Harrison
All Things Must Pass
Produit par Phil Spector, George Harrison
1- I'd Have You Anytime / 2- My Sweet Lord / 3- Wah-Wah / 4- Isn't it a Pity / 5- What Is ife / 6- If Not For You / 7- Behind That Locked Door / 8- Let It Down / 9- Run of the Mill / 1- Beware of Darkness / 2- Apple Scruffs / 3- Ballad of Sir Frankie Crisp (Let It Roll) / 4- Awaiting on You All / 5- All Things Must Pass / 6- I Dig Love / 7- Art of Dying / 8- Isn't it a Pity (Version 2) / 9- Hear Me Lord / 1- Out of the Blue / 2- It's Johnny's Birthday / 3- Plug me in / 4- I remember Jeep / 5- Thanks for the Pepperoni
La corrélation se définit comme la relation existant entre deux notions dont l’une ne peut être pensée sans l’autre, entre deux faits liés par une dépendance nécessaire.
Il paraissait primordial de définir clairement cette idée avant d’aborder la présente chronique, tant le contenu de l’album dont il est question et son contexte de sortie sont… corrélés.
Novembre 1970. Les cendres des Beatles sont encore chaudes lorsque George Harrison lâche son premier effort en solo. Un titanesque triple album constitué de deux LPs de compositions et d’une collection d’improvisations auxquelles ont participé un consort de musiciens de renom. S’il s’agit de la première œuvre d’un des quatre garçons dans le vent à sortir après la dissolution du groupe, on note tout de même que Lennon, McCartney et même Ringo n’avaient pas attendu pour révéler des productions solo. McCartney (déjà avec les Wings) avait pondu le génial "Maybe I’m Amazed" (avril 1970), Ringo un album de reprises (mars 1970) et Lennon avait eu un premier succès individuel avec "Instant Karma" (sur lequel le guitariste n’est autre que… George Harrison).
Lire les propres mots d’Harrison sur la quantité de chansons composées pour All Things Must Pass est un exercice révélateur : dans une interview à Rolling Stone, le guitariste déclarait s’être senti « constipé artistiquement pendant des années ». Lui qui avait tendance à vivre en retrait du duo tyrannique Lennon/McCartney (tout en signant quelques-unes des plus belles chansons du groupe, comme "Something" et "While My Guitar Gently Weeps"), s’est soulagé avec un triple album contenant en grande partie des titres refusés par ses compères. La métaphore fécale s’arrête là, tant la qualité de ce disque est phénoménale.
Sur ce point, on assiste (avec les oreilles) à la l’émancipation du soldat Harrison : sur le très rock "Wah-Wah", il entonne "And I know how sweet life could be, if I set myself free" ("et je sais que la vie pourrait être douce, si je me libérais"). Nul besoin de préciser que ce morceau a été composé (ce sera le cas pour une majorité d’entre eux) pendant la cohabitation avec ses trois comparses. Plus précisément, au-delà du fait que le titre fait écho au célèbre effet de guitare (c’est Clapton lui-même qui s’en donne à cœur joie ici), il ferait référence à une migraine dont Harrison aurait été victime suite à des hurlements de Yoko Ono dans le studio d’enregistrement. Autre exemple, sur la ballade "Run Of The Mill", où l’on contemple avec lui le désagrègement de la relation unissant les membres du groupe : "you’ve got me wondering how I lost your friendship" ("je me demande comment j’ai perdu ton amitié"). Un des morceaux porte même le titre ironique "Apple Scruffs", que l’on pourrait littéralement traduite par "épluchures de pommes", mais qui cache surtout une allégorie de l’état de délitement du label des Beatles, nommé … Apple. On notera toutefois qu’aucune amertume ne se fait ressentir dans les dires d’Harrison. La page est simplement tournée.
Le nouveau chapitre de l’artiste démarre en partie avec sa relation avec Bob Dylan. Elle colore l’album à des points charnières. Il faut dire que c’est au cours d’une visite à Woodstock chez Dylan et les membres de The Band que George s’est rendu réellement compte qu’il était mis sur un plan d’égalité avec les deux génies attitrés de son groupe. La première piste, "I’d Have You Anytime", est cosignée des deux géants de la musique pop. "If Not For You" est un cadeau de Dylan à son ami Harrison, tandis que "Behind That Locked Door" une ode à la réhabilitation de Dylan par son ami Harrison. "Art Of Dying", chanson dylanesque, pose de son côté les bases du mouvement grunge, avec 20 ans d’avance.
Musicalement, on notera que c’est sur cet album qu’Harrison affirme son style et sa marque de fabrique avec la guitare slide, très présente sur "Let It Down", "I’d Have You Anytime", et bien entendu "My Sweet Lord".
La quête de spiritualité anime un nombre considérable de titres : Harrison est le Beatle qui aura été le plus marqué par le voyage indien du groupe. Thèmes issus du gospel et de l’hindouisme se mêlent tout au long de l’album. "My Sweet Lord" mélange ainsi des "Hallelujah" et des "Hare Krishna" sur ce véritable appel à la rencontre divine. "Hear Me Lord", merveille où guitares saturées et chœurs chaleureux s’emmêlent, est une célébration de l’identité religieuse trouvée.
Cette identité (religieuse ou générale), quelle est-elle justement ? Sur les morceaux d’All Things Must Pass, on assiste à un défilé d’artistes apportant des ingrédients propres à leur caractère, parfois assez éloigné de la musique estampillée Beatles. On pense en particulier aux titres "What Is Life", "Awaiting On You All", sur lesquels les chœurs gospel et les lignes de basses envoutantes et entrainantes sont omniprésentes, mais également aux cuivres de "Let It Down" et "Art of Dying". Il y a un authentique côté Motown, portés par Billy Preston ou encore Delaney & Bonnie, collaborateurs sur l’album.
Le LP 3 est d’ailleurs composé de jams avec, en plus des artistes précédemment cités (certains formeront pendant ces sessions Derek & The Dominos autour de Clapton dont le tube "Layla" est centré autour de la femme de vous savez qui), Ringo, Peter Frampton, Gary Wright, … Ces sessions d’improvisations étaient d’une telle qualité, que George décida de pousser le bouton REC et de poser tout ça sur galette. Seule "It’s Johnny’s Birthday" était écrite… pour l’anniversaire de Lennon (on vous l’a dit : pas d’amertume !).
Difficile également de ne pas évoquer dans de plus amples détails le premier single solo de George Harrison, et probablement sa composition la plus connue : "My Sweet Lord". On est littéralement pris d’assaut par la vague de guitares acoustiques qui démarrent le morceau en escaladant le Wall of Sound de Phil Spector, producteur sur la plupart des titres de l’album, à vitesse grand V. La guitare slide de George vient ensuite déposer le riff si reconnaissable qui aura (fortement) inspiré le cadet Gallagher et son "Supersonic". On peut même parler ici de pseudo plagiat bilatéral, puisque Harrison a lui-même été condamné à verser des royalties aux Chiffons dont le titre "He’s So Fine" aurait influencé l’ex-Beatle de manière subconsciente.
C’est en revanche de manière totalement clairvoyante que George adresse le thème de l’acceptation. All Things Must Pass est un mantra qui donne son nom à l’album et à une balade grandiose. Les cuivres accompagnent le lyrisme de cette chanson, qui fait l’éloge de la temporalité finie des joies comme des peines, tranchant avec la société du "tout, tout de suite et tout le temps" dans laquelle nous vivons. Les références à l’âge d’or des Beatles sont évidentes, d’autant que la chanson avait été refusée par le reste du groupe, pour qui elle était restée au stade de démo. On trouve dans la même lignée "Ballad Of Sir Frankie Crisp (Let It Roll)", ses accords de piano dynamiques et sa basse rebondissante.
Sur un sujet connexe, une autre merveille dont recèle l’album est la chanson "Isn’t A Pity", sorte de réponse musicale au "Hey Jude" de McCartney (Harrison décidera tout de même au dernier moment de retirer les "nanana" sur son titre solo). Les thèmes que développera Lennon dans Imagine sont déjà tous posés : sur un procédé littéraire inspiré de la philosophie éternelle de Aldous Huxley (en somme, afin d’exposer la beauté du monde, mettons en valeur les points sur lesquels elle est absente), il est ici question de regretter l’égoïsme, la cruauté et la méfiance des Hommes, accentuant ainsi la beauté de leurs concepts antagonistes.
Enfin, terminons cette revue non-exhaustive des titres de cet album avec "Beware of Darkness", dont l’universalité et l’intemporalité résonnent avec violence avec l’actualité. On nous somme d’être vigilant vis-à-vis de l’obscurantisme ambiant, des leaders corrompus et de MAYA (en référence au terme hindou définissant l’Illusion). Harrison va même jusqu’à mentionner les "Weeping Atlas Cedars" (les "cèdres de l’Atlas qui pleurent"), faisant référence à l’arbre du même type disposé… devant la Maison Blanche. Eloquent, prophétique, le tout sur un ensemble de cuivres dont la puissance croissante complète parfaitement les envolées de guitare slide.
Les premières paroles d’Harrison sur son album solo sont "Let me in here, I know I’ve been here, Let me into your heart" ("Laissez-moi entrer, je sais que je suis déjà venu ici, laissez-moi pénétrer vos cœurs"). La libération sans aigreur, la résilience et l’acceptation. Tels sont les mots d’ordre portés fièrement par George Harrison, qui, on l’aura compris, avait amorcé et muri sa nymphose depuis des années. Le scarabée s’est métamorphosé en papillon rassemblant sous ses ailes des influences d’une richesse extraordinaire, conservant l’essence des spiritualités orientales et des religions occidentales, infusant les rythmiques soul dans les recettes mélodiques du plus grand groupe de musique populaire, réunissant un panel de musiciens virtuoses, les mettant au premier plan plutôt que sa propre personne, laissant de côté l’orgueil au profit de l’objectif poursuivi. C’est bien ce-dernier aspect qui rend ce disque si spécial : Harrison n’a pas seulement mis en avant des valeurs, il les a mis en application, privilégiant l’harmonie et l’œuvre commune devant l’effort et la reconnaissance de soliste. En associant, mieux, en corrélant sa spiritualité avec son approche musicale, il nous a offert avec All Things Must Pass un monument, le plus grand album d’un ex Beatle.