Garbage

Elles sont rares, ces femmes dont la voix peut supporter d'être associée à des guitares électriques saturées, mais nul doute que Shirley Manson en fait partie. Les trois compères producteurs de Garbage ont eu un sacré nez en recrutant la sensuelle écossaise pour leur pari de déchet électro-rock, avec à la clé deux premiers albums tout bonnement somptueux. Car si Garbage est peut-être l'un des meilleurs disques des années 90, Version 2.0 ne démérite nullement et le suit de très près sur le plan qualitatif.

A vrai dire, sur cette galette, beauté rime avec continuité car les deux disques en question semblent constituer une sorte de diptyque, chacun complétant l'autre à merveille. La recette gagnante du précédent effort est donc ici appliquée avec le même brio : un sens pop surdéveloppé, un habile mélange de guitares acérées et stridentes, d'électro tour à tour lascif ou gorgé de sulfure, et de percussions épileptoïdes survolant les titres à une vitesse supersonique, le tout relevé par la voix suave et vénéneuse de Shirley, et magnifié par une production absolument parfaite. Le reste n'est qu'affaire de superlatifs...

Qu'ajouter de plus, si ce n'est que la diva pop possède véritablement ses chansons ? Qu'elle les envahit, qu'elle les capture, qu'elle les fait siennes au gré de son bon vouloir, tantôt attirant subrepticement l'auditeur dans un piège doux-amer avant de le bousculer sans ménagement ("Temptation Waits, et surtout "I Think I'm Paranoïd", proprement décapant), tantôt s'étalant avec langueur sur le châssis glacé une fusée propulsée à la vitesse du son ("When I Grow Up", "Dumb"), sans compter les effusions d'oestrogènes dégagées par ses basses lubriques susurrées du bout des lèvres dans une moiteur brûlante mettant au supplice nos sens masculins ("Medication", "The Trick Is To Keep Breathing", "You Look So Fine"). Surtout, on ne peut que s'incliner avec passion quand on aborde le cas des deux pièces maîtresses de l'édifice que constituent "Hammering In My Head" et "Push It", le premier nous entraînant dans une course électrique débridée en accélération constante s'achevant sur les murmures haletant d'une chatte en chaleur, tandis que le deuxième tente vainement d'atténuer une tension devenue incontrôlable qui finit par exploser en balayant tout sur son passage.

Tout est dit, sauf une chose. On peut sans peine considérer que Version 2.0 égale l'album éponyme précédent, mais on pourrait reprocher au groupe de ne pas avoir véritablement cherché à se renouveler sur ce disque. Ceci dit, quand on voit le résultat de Beautiful Garbage, l'opus suivant qui a pris un virage pop sucré quelque peu déstabilisant (quoique restant de très bonne facture), on ne peut que se réjouir a posteriori que Garbage ait finalement pris le temps de nous pondre un petit bijou supplémentaire dans la couleur qu'il maîtrise le mieux avant d'aller explorer d'autres horizons.