Fair To Midland
Fables from a Mayfly: What I Tell You Three Times Is True
Produit par Serj Tankian
1- Dance Of The Manatee / 2- Kyla Cries Cologne / 3- Vice/Versa / 4- The Wife, The Kids, and The White Picket Fence / 5- April Fools and Eggmen / 6- A Seafarer's Knot / 7- A Wolf Descends Upon The Spanish Sahara / 8- Walls Of Jericho / 9- Tall Tales Taste Like Sour Grapes / 10- Upgrade^Brigade / 11- Say When
L’épreuve du temps est parfois nécessaire pour apprécier certains artistes à leur juste valeur. Malheureusement, cette prise de conscience arrive souvent un brin trop tard… Rien que sur la décennie passée, nous avons vu passer bon nombre de formations qui ont prématurément coupé court à leur aventure musicale, et ceci avant même d’accéder à une réelle reconnaissance. La liste est fournie : Oceansize, Dredg, Rishloo, Demians, Jolly, ce à quoi nous pourrions un jour ajouter Agent Fresco, The Contortionist ou encore Dead Letter Circus, faute de nouvel album en plusieurs années. Il s’agit souvent des groupes les plus aventureux, ceux qui ne s’associent à aucun style en particulier ; des formations généralement dotées d’attributs progressifs et qui ont osé la confrontation des genres (de la pop jusqu’au metal, en passant parfois par les musiques électroniques). Un groupe comme Fair to Midland vient aisément à l’esprit au moment d’aborder cette talentueuse génération au parcours inachevé. En 2011, nous vous vantions les mérites de cet inimitable combo texan à l’occasion de la chronique de ce qui restera l’ultime opus de Fair to Midland (Arrows and Anchors, 2011).
Trop virulente et exubérante pour les uns, inoffensive et mielleuse pour d’autres, la musique des Américains n’a jamais réellement trouvé son public. Pourtant, les éloges ne manquent pas à l’écoute de la courte discographie du quintette, et un disque comme Fables from a Mayfly: What I Tell You Three Times Is True - troisième opus du groupe sorti en 2007 - mérite amplement que l’on s’y replonge avec un regard nouveau. S’il n’atteint pas entièrement le niveau de son successeur, il s’agit assurément d’un tournant pour le groupe, tant en matière de qualité que de visibilité. Au début des années 2000, Fair to Midland jouit d’une belle réputation scénique du côté de Dallas et ses environs, mais ne parvient pas à s’exporter au-delà des terres texanes. Face à cette inertie, il est presque question d’arrêter les frais et de mettre fin à l’aventure. Mais cela est sans compter sur un certain Serj Tankian (chanteur de System of a Down) qui après l’avoir repéré, fait signer le groupe sur son label (Serjical Strike Records). Fables from a Mayfly (on vous dispense de la suite) bénéficie ainsi d’une production digne de ce nom à contrario des deux premiers disques autoproduits que vous pourrez écouter sur Youtube si l’envie vous prend. Vous constaterez ainsi que l’album en question n’est autre qu’une version améliorée du inter.funda.stifle de 2004. Remaniés et réenregistrés, la plupart des morceaux font peaux neuves et sont enfin en mesure de capturer toute l’énergie et la singularité du quintette.
Adepte des ambiances barrées et des structures à tiroirs offrant de brusques changements de tonalité, Fair to Midland n’est clairement pas un groupe ordinaire. Si vous en doutez, l’écoute de "Dance of the Manatee" se chargera de vous en convaincre. Avec son côté exotique et son jeu de guitare armé de multiples influences, le morceau interpelle dès la première écoute en combinant riffs explosifs et refrain pop-rock fédérateur. Peu commun également, le chant du leader Darroh Sudderth cultive la curiosité, faisant part d’un vibrato en permanence sur le fil, entre lyrisme fragile et fougue hyperactive. Le chanteur risque en effet de vous surprendre plus d’une fois avec une tessiture vocale assez improbable, lui permettant notamment de bifurquer d’un chant clair et aigu jusqu’au grawl le plus grave.
Si les attributs vocaux du chanteur constituent un attrait indéniable et une des spécificités les plus originales du groupe, Fair to Midland n’est pas en reste d’arguments pour vous séduire, à commencer par sa capacité à générer des mélodies pop lumineuses et imparables. "Kyla Cries Cologne" s’avère ainsi assez instantanée avec sa batterie fougueuse, ses guitares métalliques et son groove hérité de la scène neo-metal. Tout aussi efficace, "Vice / Versa" captive au détour d’une structure plus complexe qu’il n’y paraît, et d’un refrain composé de plusieurs sections mélodiques toutes plus convaincantes les unes que les autres. Le caractère progressif reste très léger sur cet album, mais on reconnaîtra au groupe cette capacité à bifurquer dans une direction inattendue à l’aide de breaks finement amenés.
De manière générale, la musique des Américains s’avère particulièrement généreuse, tant dans l’énergie mise à l’ouvrage que dans l’aspect massif de certains morceaux. Non seulement l’album ne dispose pas de réels temps morts, mais en plus le groupe semble chercher à combler le moindre intervalle sonore grâce à de nombreux détails de composition (des notes de claviers en renfort, des touches de violon placées par ci par là, et une batterie débridée qui marque son territoire). Fables from a Mayfly peut ainsi se montrer éreintant à la longue, d’autant plus qu’une certaine répétitivité ne peut être évitée à force d’envoyer des refrains hauts perchés à tout va. Si vous êtes en mesure de passer outre ces quelques défauts, vous serez en mesure de profiter pleinement de beaux instants d’émotions à l’image de l’excellent "Walls Of Jericho" ou du plus nuancé "Tall Tales Taste Like Sour Grapes".
Malgré ses excès et son côté foutraque, Fables from a Mayfly est un album qui se montre particulièrement attachant et vecteur d’une énergie positive. Le groupe texan y dévoile toute l’étendue de son potentiel et s’ouvre les portes d’une notoriété qui ne viendra finalement jamais. Peut-être que le groupe n’était tout simplement pas taillé pour l’exercice, Darroh Sudderth avouant en interview que l’enregistrement de l’album fut une expérience extrêmement stressante (au point d’en perdre ses cheveux !). Cela n’a pas pour autrant empêché le quintette d’élever encore un peu plus le niveau quatre ans plus tard à l’occasion d’un ultime opus, corrigeant en grande partie les défauts de son prédécesseur. Si les qualités de Fair to Midland ne vous avaient pas sauté aux yeux à l’époque, nous ne saurions que vous conseiller de réévaluer votre jugement et de vous replonger dans un des nombreux trésors oubliés des années 2000.
A écouter : "Dance of the Manatee", "Vice / Versa", "Walls Of Jericho"