Damien Rice

Malgré son tempérament discret, Damien Rice est assurément l'un des songwriter Irlandais les plus connus des années 2000. En seulement deux albums, O, paru en 2002 et vendu à plus de deux millions d'exemplaires, puis 9, paru en 2006, l'ancien chanteur du groupe Juniper a su rallier un parterre important de mélomanes tombés amoureux de ses ballades romantiques à fleur de peau. Après deux albums encensés par la critique et des tubes repris à tour de bras dans d'innombrables films et séries télévisées pour adolescents, l'Irlandais a pris le temps pour confectionner sa dernière offrande sortie en 2014 et intitulée My Favourite Faded Fantasy. Pour ce troisième, et à ce jour ultime opus, Damien Rice a fait le choix de sortir l'artillerie lourde avec une signature chez Warner Music et la présence d'un certain Rick Rubin aux commandes. Des choix qui peuvent interroger lorsque l'on connaît le caractère plutôt délicat et intimiste de sa musique folk pour écorchés vifs.

Et pourtant, ce troisième opus ne déçoit pas, loin de là. Sans son ancienne complice Lisa Hannigan, désormais partie vers d'autres horizon musicaux, Damien Rice a puisé l'inspiration entre Los Angeles et l'Islande et propose une folk volcanique aux envolées orchestrales aussi lyriques que grandiloquentes. Liant une nouvelle fois acoustique et symphonique avec des arrangements de cordes particulièrement soignés, l'Irlandais invite l'auditeur à parcourir avec lui toute l'étendue de son spleen romantique et douloureux.

Le morceau éponyme introductif nous cueille d'entrée de jeu avec cette voix haut perchée maniérée, tremblotante et plaintive et cette mélodie à la beauté délicate et précieuse. Les mouvements de cordes sont d'une beauté sidérante et accompagnent la montée en puissance du morceau vers un final plus exalté. Damien Rice excelle une nouvelle fois dans la composition de ballades intimistes qui dessinent les contours d'une fragilité en trompe l’œil, les arpèges de guitare à peine audibles de sa Lowden de "The Greatest Bastard" s’effaçant derrière la cavalerie des violons et le souffle d'un chant qui sait se faire puissant pour exprimer toute l'intensité de ses émotions. La sensiblerie n'est certes jamais loin, mais Damien Rice évite les écueils d'une teen-folk trop niaise et larmoyante avec des arrangements classieux qui permettent au romantisme de "I Don't Want to Change You" de rayonner de toute sa chaleur sentimentale.

Plus dépouillées au premier abord, "The Box" cache pourtant une tension dramatique saisissante prête à vous exploser au visage tandis que "Colour Me In" s'emporte dans un tourbillon conclusif de cordes resplendissant. Le long morceau "Trusty and True" prend le temps de distiller son atmosphère tendre et nuageuse jusqu'au firmament final et l'onirique "Long Long Way" trace sa route en fin d'album avec un beau duo féminin, comme un retour aux sources pour l'ancien compagnon de route de Lisa Hannigan.

Damien Rice signe enfin sur cet album ce qui est peut-être son plus beau morceau, le poétique et introspectif "It Takes A Lot To Know A Man". Un cheminement intérieur de plus de 9 minutes, voyage tortueux aux confins de l'âme guidé par un piano délicat et un violon virevoltant jusqu'à ce pont grandiose où les voix se mélangent et se superposent dans un crescendo fuyant. Quelques larmes de piano et un violon pleureur finissent par renouer avec le thème principal jusqu'à ce que les chœurs et les cuivres parachèvent l'envolée finale. Une titre doté d'une grande richesse d'écriture qui prouve que la musique de l'Irlandais est bien plus sophistiquée et intéressante que ne le laisse suggérer les reprises multiples de ses morceaux pour ornementer des génériques de séries télévisées.

On retiendra ainsi de la carrière de Damien Rice trois albums sensibles et prenants que l'Irlandais continue de faire vivre avec des tournées à travers le monde. La possibilité d'un quatrième album semble elle uniquement relever d'un vain fantasme.