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Critique d'album

Christophe


Les Mots Bleus


(00/00/1974 - - Rock et chanson française - Genre : Rock)
Produit par

1- Le dernier des Bevilacqua / 2- Señorita / 3- C'est la question / 4- Les Mots Bleus / 5- La Mélodie / 6- Le petit gars / 7- Drôle de vie / 8- Souvenirs
Note de 3/5
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Note de 3.5/5 pour cet album
"L’homme ne s’exprime pleinement que par les silences – Frédéric Dard"
Daniel, le 20/01/2024
( mots)

Où l’on situe l’intrigue…

1974. Paris (France). XXe arrondissement. La plupart des humains considèrent que les studios Ferber sont une abomination architecturale. Mais, le vilain parallélépipède en béton abrite des installations fabuleuses équipées de consoles uniques au monde dont la légendaire Neve série 82-48.

Ferber, c’est l’Electric Lady mais avec ce petit plus qui fait le charme parisien.

Francis Dreyfus, le créateur de la firme de disques Motors, adore le studio Ferber parce qu’il en connait le moindre micro. Il mène de front une triple vie (variété, rock et jazz) et a déjà produit Les paradis perdus de Christophe. Il sait qu’avec ce revenant (1), il "tient" quelque chose de potentiellement grand et de potentiellement rock.

Et il a raison…

Où Mitchy et son goût très sûr s’invitent dans ma chambre…

1974 encore. Neuville (Belgique). Maison familiale. Ma platine Lenco à entraînement par courroie (branchée sur un ampli Harman Kardon vintage) est un objet de culte au sein de notre petit gang de rockers juvéniles, Par la force des choses, je suis rarement seul dans ma chambre.

Ce jour d’automne-là, un de nos camarades (Michel, dit "Mitchy") nous propose un blind-test. En équipe, nous sommes pratiquement imbattables à ce petit jeu. Alors, j’autorise exceptionnellement Mitchy à poser un 33 tours en secret sur le plateau de ma précieuse machine. Et nous restons pétrifiés.

Je me dis même que j’entends peut-être là un des plus impressionnants batteurs de ma vie…

Pendant trois minutes et quarante-deux secondes, le temps reste comme suspendu. C’est du rock de qualité supérieure. Tout d’abord progressif, énigmatique. Puis carré, puissant, efficace. Enfin mélodique, magique. Peut-être ce que nous avons entendu de mieux depuis… Depuis un bon moment.

Un instant plus tard, quand résonne la voix de Christophe – en français, forcément –, la magie s’évanouit aussitôt. La bonne blague ! C’est même pas du rock. C’est une putain de contrefaçon française… Et on rigole. Parce que, dans nos têtes étriquées de pioches, le rock ne peut exister qu’en anglais !

Boudeur, Mitchy se casse avec son disque pour aller l’écouter en solo sur son espèce de mange-disques Telefunken à deux balles…  

Mais c’est à lui que l’histoire a donné raison. Pardon, Mitchy !

Où il est question d’appellation d’AOC

La première question qui se pose est identitaire : est-ce que Les mots bleus est un album italo-français ou franco-italien ?

La question est d’envergure, surtout quand on sait à quel point, en matière de rock, le monde est à cheval sur les appartenances culturelles et les patrimoines génétiques.

Alors, il faut compter les points…

Daniel Bevilacqua (1945-2020) est le fils d’un papa maçon-fumiste venu d’Italie mais il est né à Juvisy sur Orge, en bord de Seine. Un point pour la France.

Mais le yéyé dévoyé a découvert un clavier hollandais (alors "futuristique") : l’Eminent 310 Unique, développé – pour sa partie polyphonique - en partenariat avec l’Américain ARP. Le son extraordinaire produit par l’instrument, parfaitement apprivoisé ici, donne sa coloratur aux meilleurs moments de l’album. Un point pour les Pays-Bas.

Pour sa part, l’auteur des textes, Jean-Michel Jarre, juvénile et inspiré, est également un peu fumiste à l’occasion. Il invente ici une biographie rêvée au chanteur, sous la forme d’un road-movie spaghetti.

A l’exception du patronyme, il n’y a pas un mot de vrai dans "Le dernier des Bevilacqua". Mais le storyboard est magistral : (spoiler) la guitare en bandoulière, Christophe, ultime de sa race, quitte Rome en Vespa pour chercher fortune au Nord. Après avoir galéré, il devient mafioso, fait fortune et rentre en Italie, au volant d’un puissant coupé, carrossé par Pininfarina. Obligé. Long est le chemin qui mène à l’ironie suprême… Un point pour l’Italie.

Le délicat final, chanté dans la langue de Dante, emporte clairement la mise.

Ma l'estate senza te
Non è possibile per me
Le scriverò nel cuore mio
L'amore diventerà blu
Il silenzio immobile, il silenzio
Il silenzio (2)

Un autre point (mérité) pour l’Italie.

Cependant, l’entourage du faux Mohican du Frioul fait définitivement basculer le score au profit de la France. Il y a tout d’abord les deux précités, Jean-Michel Jarre à la plume et Francis Dreyfus à la production.

Puis il y a ce combo infernal : Dominique Perrier aux claviers, Patrick Tison aux guitares, Didier Batard à la basse (3) et l’invraisemblable Bunny Rizzitelli à la batterie. Si ces gars avaient monté un groupe rock, ils auraient probablement pulvérisé les charts. Mais, dans un hexagone à ce point peu tolérant vis-à-vis du phénomène rock, il était probablement plus confortable (et plus profitable) d’être musicien dans un bon studio que de courir les routes de campagne dans une fourgonnette.

Quitte à opérer le plus souvent dans l’ombre pour des artistes nullissimes de variété…

Où il est question d’un magnum opus sous la forme d’un puzzle

Sous un vilain artwork (à la limite du misérabilisme), Les mots bleus recèle une des toutes belles pièces de rock progressif de 1974 (toutes catégories confondues). D’accord, il faut avoir la folie inconsciente d’un Docteur Rockenstein pour assembler les pièces éparses, mais le résultat est bien là : la créature est vivante…

Si l’on réunit la plage introductive ("Le dernier des Bevilacqua"), "Les mots bleus", le très perché "Drôle de vie" et le novateur instrumental final "Souvenirs" (4), on obtient une redoutable et longue pièce d’eurock avec, cerise sur le gâteau, un petit thème récurrent et redoutable d’efficacité qui s’en vient caresser furtivement l’oreille de temps à autre.

A l’exception du très évident single "Señorita", le reste ne vaut guère tripette de poiscaille, mais l’essentiel est dit et l’essentiel est fait.

Christophe assure des parties de chant d’une rare beauté avec toute la rigueur d’un dandy dilettante. C’est audacieux et abouti. Il porte littéralement l’album sur ses moustaches…

Où l’on évoque un futur proche sous oxygène

Jean-Michel Jarre écrit pour "Les mots bleus" un des meilleurs textes jamais rédigés sur l’incommunicabilité entre les êtres.

Parler me semble ridicule
Je m'élance et puis je recule
Devant une phrase inutile
Qui briserait l'instant fragile
D'une rencontre

Par une de ces virevoltes qui rendent l’art tellement passionnant, l’auteur de ces mots, très intrigué par les sons de l’Eminent 310, traduira dorénavant les paroles de ses "mal entendus" par des silences. Il ne consacrera plus son temps qu’à concevoir des instrumentaux, participant à cette école nouvelle qui fera bientôt le tour du monde en naviguant sur des synthétiseurs.

Où l’on conclut…

Durant ses quelques minutes d’équilibre parfait, Les mots bleus a déséquilibré le monde du rock, en faisant coulisser le curseur en direction de l’hexagone.

Ce fut trop fugace. Ce fut trop discret. Mais ce fut brillant. Et ça, c’est chouette ! Comme un fill de Bunny, un solo de Patrick, une note de Didier, une phrase de Jean-Michel et une vocalise de Daniel.

La classe française, bande de petits rockers !


(1) Après ses premiers succès durant les années soixante, le yé-yé Christophe abandonne la chanson pour la course automobile. Condamné à la prison (avec sursis) et à un retrait du permis de conduire en raison d’un comportement insensé sur la voie publique, il renonce à la vitesse (tout en restant collectionneur de voitures) et retourne à son premier turbin au début des années soixante-dix.

(2) Mais un été sans toi / M'est insupportable / J’écrirai les mots dans mon cœur / L'amour deviendra bleu / Et le silence immobile, le silence / Silence…

(3) Didier Batard inventera un peu plus tard la basse-synthétiseur.

(4) Qui reprend le thème principal du déjà très bon mais moins abouti Les Paradis perdus (1973).

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