Baroness
Purple
Produit par David Fridmann
1- Morningstar / 2- Shock Me / 3- Try to Disappear / 4- Kerosene / 5- Fugue / 6- Chlorine & Wine / 7- The Iron Bell / 8- Desperation Burns / 9- If I Have to Wake Up (Would You Stop the Rain) / 10- Crossroads of Infinity
Il aura tout de même fallu un certain temps à John Baizley avant qu’il réussisse à affiner les réglages de sa Baronne georgienne. Un certain temps et, malheureusement, un tragique accident de tour-bus sur les routes anglaises en 2012 ayant bien failli lui coûter la vie ainsi qu’à ses condisciples… et ayant directement provoqué le départ de son batteur Allen Blickle et de son bassiste Matt Maggioni. Après une difficile rééducation de près de six mois, le sauvage barbu de Lensington a pu recruter une section rythmique toute neuve en les personnes de Sebastian Thomson à la batterie et de Nick Jost à la basse. Et deux années supplémentaires furent nécessaires pour que Baizley accouche enfin d’un successeur au mitigé Yellow and Green, un essai rock alternatif trop inconstant pour avoir su séduire sans partage. Voilà donc le contexte dans lequel débarque ce Purple qui, autant le dire d’emblée, se montre particulièrement impressionnant du début à la fin.
On le sait depuis longtemps : Baroness est un groupe qui jouit d’un fort, d’un très fort potentiel mais qui a toujours manqué d’un petit je ne sais quoi pour le concrétiser. Trop de rudesse dans son Red Album, trop de prise de tête dans son Blue Record, trop de facilité dans son double Yellow and Green. Toujours est-il que le potentiel en question semble enfin prendre son plein essor, eût égard aux causes précédemment énoncées mais peut-être aussi en raison d’une production qui a su réaliser un équilibre parfait entre la force bestiale du sludge et l’allant pop du rock alternatif ricain. David Fridman, le successeur de John Congleton et de Philip Coppe derrière les consoles, a su dompter le mastodonte (l’analogie avec les cousins d’Atlanta est loin d’être anodine) et le mettre parfaitement en valeur tant formellement que soniquement. Ramassé autour de dix morceaux compacts et efficaces qui savent néanmoins faire preuve d’une impeccable variété, Purple impressionne d’abord par sa force de frappe herculéenne, dopé par une nouvelle section rythmique sensiblement supérieure à la précédente sur le plan technique. Plus rentre dedans, le metal alternatif de Baroness sait malgré tout rester accessible, Baizley ayant pris un soin particulier à tresser des mélodies fortes et fédératrices et à les harmoniser avec beaucoup de goût. Le grand écart réalisé par les harangues de bûcheron bramées avec fougue par le barbu en chef et les nombreuses secondes voix appliquées dès que le besoin s’en fait sentir montre que l’on peut rester fidèle à sa personnalité et se montrer hautement pertinent dès lors qu’il s’agit de flatter les oreilles du plus grand nombre.
Purple est un grand bain de fraîcheur dans le metal contemporain. Même si on pense, à maintes reprises, à Mastodon - les deux formations partageant un goût immodéré pour les riffs alambiqués et les ambiances mystérieuses - et à Metallica - les harangues de John Baizley rappelant désormais souvent celles de James Hetfield - on ne pourra nier à Baroness un sens du discours épique radieux qui tranche avec la tendance trop répandue parmi les chantres du milieu à se complaire dans des ambiances glauques par trop superposables. D’ailleurs, pour ainsi dire, les codes du metal, bien que restant présents par intermittence, se voient bien souvent dévoyés, triturés, malaxés à la sauce de Savannah. Pour un “Morningstar” coup de poing, pour un “Desperation Burns” ayant vocation à rameuter les ouailles métalliques (quel riff introductif, nom de nom), Purple offre plutôt des pièces de rock, lourd certes, mais de rock au sens large… et dans le bon sens du terme. On jubile en se laissant emporter par l’allant irrésistible de “Shock Me”, par la rythmique balancée de “Try To Disappear”, par la charge de cavalerie implacable de “Kerosene”. On se surprend à brailler le poing levé la section terminale de “Chlorine & Wine”, un futur tabac dans les stades, pièce d’autant plus impressionnante qu’elle évolue sur un subtil crescendo en accord avec les racines progressives d’un Baizley qui aime bifurquer là où on ne l’attend pas. On jubile sur un titre comme “The Iron Bell”, sorte de matrice pour les Foo Fighters dopée à la métamphétamine. Il n’y a rien de mauvais ici, et plus encore, tout est excellent. Même la balade terminale “If I Have to Wake Up (Would You Stop the Rain?)”, aussi musclée soit-elle, sidère par sa sincérité indéfectible. Chaque choix se montre judicieux, comme ce son rêche et corrosif qui se marie avec le moelleux des airs, cette distorsion ahurissante qui fait autant de merveilles sur les graves - si agressifs qu’ils en sont souvent saturés - que sur les aigus - les soli, brefs et mélodieux, sont à chaque fois des modèles du genre.
Purple est tellement bon qu’il est presque propre à être proposé aux masses, sans aucune distinction de goût ou de sensibilité. Rappelez-vous, dans ma critique de Yellow and Green, j’essayais de faire un parallèle entre la Seattle de 1990 et la Savannah de 2010. Si le marché du disque en était resté au même stade, on pourrait parier que le monde aurait eu les yeux braqués sur la Georgie, que toutes les formations de la ville auraient été signées sur une major et que le carré Nirvana - Pearl Jam - Soundgarden - Alice in Chains se serait vu concurrencer, vingt ans plus tard, par le triangle Mastodon - Kylesa - Baroness, avec des disques évidemment plus calibrés et plus produits qu’ils ne le sont actuellement. Voyons néanmoins, en cette période de disette et d’interrogations pour l’industrie du rock n’ roll, ce sludge hautement fédérateur comme un véritable phénomène désormais parvenu à sa pleine maturité. On l’a d’abord constaté avec Mastodon, fort d’une discographie de plus en plus colossale, puis avec la progression et l’évolution hyperboliques de Kylesa qui vient d’ailleurs de nous livrer l’un des plus beaux albums de 2015 avec l’impressionnant Exhausting Fire, et désormais avec la Baronne de Baizley dont la robe pourpre lui va à ravir. Une robe particulièrement bien mise en valeur par un artwork toujours aussi somptueux, et cette fois-ci, c’est sûr, les nymphes qui ornent les pochettes de Baroness sont désormais aussi belles que la musique qu’elles dissimulent derrière leur troublante nudité. Vous n’avez probablement pas eu le temps de voter pour Purple lors des Awards 2015, mais qu’à cela ne tienne : on est prêt à parier que ce quatrième opus de Baizley figurera en bonne place dans vos palmarès l’année prochaine. En tout cas, on est prêt à prendre les paris.