Anna Calvi
Anna Calvi
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1- Rider To The Sea / 2- No More Words / 3- Desire / 4- Suzanne And I / 5- First We Kiss / 6- The Devil / 7- Blackout / 8- I'll Be Your Man / 9- Morning Light / 10- Love Won't Be Leaving
Mais d’où sort-elle celle-là ? En cherchant sur Internet on découvre qu’elle s’est fait connaître avec des reprises bien tournées de divers morceaux dont "Sound And Vision" de David Bowie. Cela pose le bon goût de la dame mais ne nous dit pas grand-chose, et finalement on s’en fiche. Certains la comparent à Amy Winehouse mais à part le fait que l’une comme l’autre ont sorti sans prévenir un album rempli de chansons féériques, on ne voit pas très bien le rapport. Back To Black était un disque ultra-référencé qui ne cachait pas ses influences soul sixties (Ronettes en tête) tandis qu’Anna Calvi est de ce côté-là un mystère. Son auteur parle de Debussy et de flamenco, on y entend Roy Orbison et Richard Hawley et autres références intemporelles qui s’effacent devant l’artiste.
Le disque débute avec "Riders To The Sea", une introduction instrumentale. Qui compose encore des introductions pour ses disques en 2011 ? Qui s’emmerde à construire son album tout en sachant qu’il finira tronçonné dans des playlists en lecture aléatoire ? Ce n’est plus du passéisme, c’est de la paléontologie ! "Riders To The Sea" c’est une guitare électrique sans saturation, gorgée d’écho, un flamenco d’outre-tombe. De guitare il est toujours question avec "No More Words", une guitare qui atteint les sommets de Television sur Marquee Moon, ce qui n’est pas rien.
Anna Calvi est avant tout un disque de silence qui se construit autour de l’espace entre les instruments. Un espace de silence se crée alors, mis en valeur par l’écho permanent qui nimbe l’album tout entier. A une époque où la tendance semble être au remplissage de chaque parcelle d’espace sonore disponible, Anna Calvi laisse l’auditeur respirer…un air glacial. Car Anna Calvi est un disque froid, gothique, sans le décorum boutonneux évidemment, mais avec une certaine grandiloquence qui sied parfaitement à la voix de la chanteuse, d’un lyrisme jamais pompier, évoquant parfois Patti Smith ("Desire"). A la distance instaurée entre les instruments s’ajoute une distance entre la musique et l’auditeur. En effet l'instrumentation dépouillée et la voix quasi hautaine d'Anna Calvi vont dans ce sens. Ce climat serait insupportable si l’album n’était pas aussi bien construit. "The Devil" rend par exemple le vide de l’espace sonore étouffant et "Blackout" se charge d’apporter un souffle d’air indispensable sous peine de suffoquer. Sergio Leone laissait le vide de l’inaction envahir le spectateur jusqu’au point où celui-ci allait sortir lui-même un flingue pour qu’il se passe enfin quelque chose. Anna Calvi s’organise de même autour de respirations, d’inspirations retenues jusqu’à ce que la tension devienne insoutenable ("First We Kiss", "The Devil") pour ensuite laisser place à des chansons lumineuses ("Desire", "I’ll Be Your Man").
Ce disque est une anomalie, il ne devrait pas exister. En tous cas pas à notre époque. Il aurait eu ses chances dans les années 50 ou 60 mais que va-t-on en faire aujourd’hui ? L’acheter assurément. Dépenser son salaire dans le dernier Dylan ou l’énième Lou Reed, toujours plus minables que les précédents ? Soyons sérieux, les légendes n’ont pas besoin de notre argent. Mais quelqu’un comme Anna Calvi, qui a miraculeusement réussi à produire un disque de chansons immortelles ("Desire", "Blackout", "Love Won’t Be Leaving") dans un contexte de peur de la nouveauté de la part des maisons de disques, mérite toute notre attention.