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Discorama 2000's : les incontournables art rock


Maxime, le 17/09/2011

2000-2002


Primal Scream : XTRMNTR
janvier 2000

L'année 1999 tire à sa fin et le monde s'apprête à tourner avec fébrilité la page d'un vingtième siècle particulièrement sanglant et barbare. Cela fait une belle lurette qu'on ne croit plus qu'en ce début de millénaire, on ira pique-niquer sur Mars autour d'une nourriture lyophilisée préparée en trois nanosecondes dans des fours giga-ondes portatifs. Seule hantise de l'époque : le bug de l'an 2000, la peur du grand blackout informatique, la mémoire numérique d'une partie de l'humanité rayée de la carte pour une simple mise à jour mal anticipée. Un péril bien anodin, quand la planète tremblait jadis devant le péril atomique et qu'elle fonce aujourd'hui vers une catastrophe écologique, majeure nous dit-on. Du côté de Bobby Gillespie, on n'est pas près de sabler le champagne. Son réveillon, le leader du Scream le voit se profiler comme un cauchemar orwellien. Démocraties parvenues au stade de pourrissement terminal, spectre d'un totalitarisme latent, état policier galopant, dictature des multinationales, Big Brother triomphant, l'Ecossait se paye un bad trip millénariste digne de Strange Days. Un personnage du film de Kathryn Bigelow déclarait doctement : "La question n'est plus de savoir s'il faut être paranoïaque ou non mais dans quelle mesure la paranoïa nous sauvera." Sûr que, terré dans son repaire, une cocotte d'alu sur la tête pour tromper les scanners gouvernementaux, Bobby approuvait gravement le message.

Pour sa troisième incursion en terres électroniques, Primal Scream se paye ainsi un retour d'acide de première bourre. Son techno-rock hier hédoniste, ludique, crâneur, est désormais devenu claustrophobique, dissonant, rugueux. Dans la discographie de la formation, XTRMNTR s'improvise rapidement comme le frère maléfique de Screamadelica, leur grand classique, dont Vanishing Point et son disque de remixes (Echo Dek) assureraient la transition. Chez les deux forces en présence, on constate un désir identique de pousser le rock dans ses retranchements (ici écartelé à la sauce digitalo-kraut et cyber-garage), secondé d'une armée de producteurs (dont Dan The Automator) pour parvenir à ses fins. Que sont devenues les velléités utopiques d'un "Come Together" à l'heure du grand reboot ? Obsolètes, lettre morte, circulez y'a plus rien à voir, comme semble le clamer le "Kill All Hippies" inaugural, épaisse prosopopée dub sur laquelle Mani, pour la première fois opérationnel sur la longueur d'un album entier depuis les Stone Roses, n'a pas du tout envie de rigoler. Pourtant, si l'on prête l'oreille, Bobby Gillespie ne cesse de scander "You got the money, I got the soul/Can't be bought, can't be owned". Le groupe n'a pas tiré un trait sur ses idéaux, le temps est juste venu d'entrer en résistance pour les préserver, à l'image de l'appel à la désobéissance civique martelé sur le groove lugubre du morceau titre, crissant et râpeux comme du papier de verre. Alourdir le propos, virer les vumètres à l'est toute, affuter sa machine de guerre pour faire perdurer le message initial, telle est l'humeur générale. On n'est donc pas surpris que le comateux "Keep Your Dreams", écho lointain du "Higher Than The Sun" d'antan, surnage au milieu du tracklisting comme un radeau de la Méduse en perdition, exhortation susurrée au milieu des décombres, seule goutte d'utopie dans un océan de guitares trépanées et de sampleurs brutalisés.

Retranché sur ses intentions belliqueuses, XTRMNTR est un disque qui tire la tronche et ne cherche jamais à faire ronronner l'auditeur de plaisir ou à le caresser dans le sens du poil. Chacune de ses pistes est une mise à l'épreuve, un test de résistance physique. Après nous avoir retourné le cerveau à la sauce LSD, le quartet tente à présent de le réduire en bouillie. Il n'est pas très loin d'arriver à ses fins dès la seconde plage, lorsqu'il colle les Stooges à l'arrière du réacteur d'un Boeing en plein décollage sur "Accelerator", garage primal déchiqueté par un bruit blanc passé en vrombissement continu. Inconfortable, indiscipliné, l'album ne trouvera grâce que parmi une poignée d'élus, mais ceux-ci risquent de rester longtemps perchés sur l'éprouvant "Swastika Eyes", sorte de retour forcené au minimalisme original de la techno de Detroit, dont le potentiel trippesque s'avère maximal pour qui saura s'y abandonner. Ailleurs, les esthètes de la déconstruction apprécieront avec quelle hargne le quartet rentre dans le lard des beats de "Pills" sur lesquels Gillespie glapit ses fuck jusqu'à l'apoplexie, avec quelle jubilation il broie les cuivres typiques d'un générique de John Barry pour virer au free-jazz épileptique ("Blood Money") ou encore avec quelle perversité il singe les gesticulations d'un Prodigy dont l'esprit serait hanté par Philip K Dick ("Insect Royalty"). S'il est bien le janus maléfique de son grand frère, XTRMNTR en reprend également les défauts, à savoir une deuxième partie bien moins saisissante que la première, encombrée de deux remixes inutiles, la relecture poussive de "If They Move Kill'Em" par Kevin Shields et le babillage paresseux de "Swastika Eyes" orchestré par les Chemical Brothers, preuve que la science des frangins chimiques commençait déjà à s'émousser dans l'immédiat après-Surrender. "Shoot Speed/Kill Light" rattrape salutairement l'affaire en fin de parcours, faisant dialoguer Neu!, Amon Düül, Sun Râ et Spacemen 3 par delà le mur de son.

Le caractère symbolique que donne sa date de sortie au sixième album de Primal Scream n'est pas qu'une coïncidence. Conçu à la fin des années 90 et mis sur le marché aux premières lueurs du nouveau siècle, il a toutes les caractéristiques d'un disque charnière. Sa production est tout à fait typique de la seconde moitié des nineties, mais sa hargne auto-destructice augure d'un élan nouveau, poussant les machines aux bords de la rupture pour retrouver l'essence corrosive du rock à l'état brut. Aux Death In Vegas et autres Unkle d'aller prospecter sur ses ruines fumantes. Quant à la génération Strokes, elle peut tranquillement retourner aux fondamentaux, le mirage d'un binaire algorithmé a atteint son point de non-retour. C'est ainsi sur la profession de foi apocalyptique de ses protégés que l'aventure Creation s'arrête, le culte label d'Alan McGee tirant sa révérence peu après la sortie de cette ultime référence. Une épitaphe rude, mais un départ en beauté.
Maxime


N*E*R*D : In Search of...
mars 2002 (sortie initiale septembre 2001)

Il va bien falloir se résoudre à voir la vérité en face. Que retiendront les futures pages de l'histoire musicale de la première décennie 2000 ? Les crachotements d'un néo-garage déjà asthmatique ou bien l'excellente santé du r'n'b moderne ? Ce Rhythm & Blues aux origines si nobles, qui s'est vu amalgamé dans les nineties à la soul nigaude de Boyz II Men et autres Babyface sans que l'on sache vraiment pourquoi, vit en ce début de millénaire une seconde jeunesse inespérée. Une nouvelle génération de producteurs arrive à maturité, celle qui a vu le hip-hop et l'électro prendre progressivement le relai du rock au sommets de charts, et pond une pop d'un genre inédit, une Motown new look, glossy, sexy et smart, affutée pour alimenter les téléchargements hauts débits et truster les playlists I-Tunes, mais sachant faire rimer ingéniosité avec efficacité. Le rap cesse alors de ressasser l'héritage de Dr. Dre (trois notes de piano samplées ad nauseam) et de Tupac (le chant passé au vocoder) pour s'ébrouer sur des rythmes moites et débridés poussés à incandescence par de puissants alchimistes.

Parmi toute cette clique, nul doute qu'il convient de retenir les noms de Pharrell Williams et de Chad Hugo. Tous deux sont originaires de Virginia Beach, future capitale de la nu-soul qui verra également éclore Timbaland et Missy Elliott avec lesquels les lascars ont squatté quelques bancs durant leur adolescence. Là, entre deux parties de Playstation et une virée sur la plage en BMX chromé, le duo fait la paire, s'assemble sous la bannière The Neptunes et s'attèle à brouiller un peu plus les frontières entre musique noire et blanche. Leur métissage musical est plus affaire d'impitoyable écrémage que d'humanisme niais : ne retenir que le meilleur de chaque genre pour agencer les beats et les pieces sous des assemblages nouveaux. Kraftwerk, Afrika Bambaataa, Buffalo Springfield, Funkadelic, Coltrane, AC/DC et tant d'autres s'entrechoquent dans les éprouvettes de leur laboratoire fou.

Après s'être fait les dents aux côtés de SWV, Wreckx'N Effects et Mase, les compères prennent leur envol à la fin des années 90 lorsqu'ils deviennent les producteurs attitrés de leurs potes Clipse et surtout Kelis, ravissante chanteuse qui montre, armée d'un premier album détonnant (Kaleidoscope), qu'elle en a autant dans la caboche que sous son string pailleté. Les singles "Good Stuff" et "Caught Out There" exhibent à la planète entière la Neptunes touch, alliage irrésistible de beats punchy, de claviers filtrés et de vocalises légères comme une guirlande de dentelles. Très vite, Williams et Hugo tombent dans les petits papiers de tout ce que le gotha américain compte en matière de superstars avides d'un salutaire ravalement de façade. Sous leurs doigts, les prodiges s'accomplissent : Jay-Z étend son règne sur le hip-hop, Busta Rhymes groove comme jamais, Britney Spears flirte aux limites de l'indécence ("I'm A Slave 4 U"), Snoop Dog reconquiert de sa superbe et Justin Timberlake devient soudainement digne d'intérêt.

Les deux surdoués pouvaient se contenter d'accumuler les commandes et de compter tranquillement leurs dollars affalés sur leur canapé, sauf qu'une lubie les taraude depuis des années : former un groupe de chair et d'os, dans la lignée des rock bands des seventies qu'ils admirent tant. Leur rencontre avec Shay Haley (dont on n'a jamais bien compris l'utilité) concrétise leur utopie à l'orée du nouveau millénaire. Ainsi nait N*E*R*D, luxueux side-project leur permettant de passer de l'ombre des studios à la lumière des projecteurs. Si le mot forme un acronyme signifiant No one Ever Really Dies, on retiendra volontiers son sens premier, mettant en valeur la figure du geek binoclard et socialement handicapé qui deviendra l'emblème de la décennie qui s'ouvre, de Matrix à l'hégémonie Facebook. Les machos du hip-hop sont prévenus : ici, on s'attardera plus sur ce que cache le capot que l'ampleur de la carrosserie. Composé en pointillé entre deux séances studio, le premier album paraît en septembre 2001, pratiquement en même temps que le hold-up médiatique des Strokes. Mais le groupe renie aussitôt ce premier jet, car sa production très électronique s'avère trop similaire à celle des Neptunes. La formation power-pop Spymob, un de leurs protégés et future signature de leur label Star Trak, est dépêchée à leurs côtés pour ré-arranger les morceaux. Guitares et batterie font leur incursion et se mettent à jouer au coude-à-coude avec les synthés et les sampleurs, tandis que Pharell et Chad perfectionnent leur pratique des instruments en vue des futures tournées. Délesté de quelques scories (les interludes passent à la trappe) et doté d'un son plus tranchant, le nouveau lifting d'In Search of débarque en mars 2002 et se voit affublé d'une pochette différente en Europe (voir ci-dessus) pour marquer la césure.

On peut assister sur certains recoins de la Toile à quelques menus débats quant aux mérites comparés de ces deux versions. La dernière mouture a notre préférence, sans doute en raison de notre tropisme rock, surtout parce qu'elle pousse dans ses retranchements l'oecuménisme prôné par In Search of, pur manifeste de soul mutante compactant rap, rock, pop, folk, électro, psychédélisme, funk et drum'n'bass en une irrésistible bacchanale. Pas de contrôle au faciès exigé à l'entrée pour rejoindre l'auberge espagnole tenue par ces hybrideurs du troisième type. Les genres et les sonorités se voient dévalisés, soumis à l'autorité impérieuse de la caisse claire qui cogne et suture les grands-écarts les plus risqués. Pulsé par cette rythmique tonique, l'album ne tolère aucune divagation oiseuse, constamment ramené à sa nécessité de faire taper du pied et de déboiter les hanches. Plus hardis que lorsqu'ils coiffent leur casquette de producteurs, les compères alternent les moments de frime et les plages plus introspectives dans un va-et-vient permanent aussi euphorisant qu'éreintant, une science du beat qui fait mouche donnant aux genres sus-cités un sérieux coup de polish. On pointe ici le funk primesautier, légèrement cynique sur les bords, de "Things Are Getting Better", et son rythme libératoire tout en halètements, comme celui du clinquant "Tape You", le psychédélisme tunné façon Pimp My Ride de "Am I High", l'électro lascive et poisseuse de "Truth Or Dare" sur laquelle Kelis minaude comme Salammbô au milieu d'une Carthage en flammes, la techno sans pointe de gras déballée par "Brain" et son refrain lobotomisé chipé au Retour des Morts-Vivants, le hip-hop à la musculature sèche de "Lapdance", strié de riffs effilés. Mais le groupe s'illustre également quand il consent à ralentir la cadence. Le blues synthétique de "Provider", tout comme la soul blafarde de "Bobby James", récit d'un junkie au bout du rouleau, démontrent toute l'étendue du songwriting de Pharrell Williams, chanteur à la gueule d'ange (on peine à croire qu'il a aujourd'hui 38 ans !) et au falsetto de velours.

Les rock stars de cette nouvelle ère qui s'ouvre, comme clamé sur le titre éponyme où les guitares crachent autant que les boites à rythme, ce sont finalement bien eux. Les Converse et les jean slim sont les mêmes que chez le cousin Casablancas, seules une casquette à visière plate et quelques chaines autour du cou se sont substituées au décorum ordinaire. Ce premier coup d'éclat atteste surtout du dépassement des expérimentations menées dans les années 90, dont la fusion, le simple accouplement de deux chapelles supposées s'exclure mutuellement (rock/rap, techno/punk), ne constituait que l'étape intermédiaire. Les genres sont désormais devenus poreux, chacun musarde en se contrefoutant des zones de démarcation, la musique jailli en un flux libertaire qu'aucun dogme ne peut contenir, les étiquettes et les hiérarchies valsent, définitivement obsolètes (au même moment les Transplants font subir au punk une jouissive cure de vidange à base de hip-hop et d'électro). Déclarer en 2002 ne pas aimer le rock ou ne pas aimer le rap n'a tout simplement aucun sens, ce qui se vérifie toujours 10 ans après. Mieux vaut un bon Jay-Z qu'un mauvais White Stripes, tel est le crédo martelé par In Search of. Grisés par cette entrée en matière flamboyante, les sorciers soniques redoubleront d'audace sur son successeur, Fly Or Die (2004), plus foisonnant et du coup un peu moins tubesque que son grand frère. S'ils ont connu une petite baisse de forme au milieu de la décennie (leur troisième opus ainsi que l'effort solo de Pharrel, plutôt décevants) s'expliquant sans doute par l'inévitable sensation de répétition provoquée par leur rythme de production stakhanoviste ainsi que l'arrivée d'une concurrence sans merci (Timbaland, Kanye West, Spank Rock, Danger Mouse), les Neptuniens semblent avoir repris quelques couleurs sur leur récent Nothing. Espérons qu'ils retrouveront un jour le mojo et qu'ils feront à nouveau de culot et inventivité leurs maîtres mots, car tels sont les N*E*R*D de la guerre.
Maxime


The Streets : Original Pirate Material
Mars 2002

En 2008, sentant le concept s’essouffler, Mike Skinner annonce que The Streets ne sortira plus qu’un seul et dernier album, chose faite cette année, avec le très moyen Computer and Blues. Grande déception pour ceux qui apprécient ce lad à la langue bien pendue qui jongle avec rimes qui tuent et mots qui claquent. Mike Skinner laisse donc derrière lui cinq albums dépeignant la jeunesse des villes du Nord de l’Angleterre, dont le plus percutant aura sûrement été Original Pirate Material, fresque urbaine composée de geezers qui carburent à la bière, aux beans, aux fish and chips et à l’ecsta.

Mike Skinner n’a que 22 ans quand sort ce premier album en 2002. Il ne vient pas directement de la scène rap mais du UK garage, et mêle ainsi avec une grande efficacité rap, hip hop, ska et dub. The Streets est ainsi, toujours entre plusieurs styles. Ni vraiment grime, ni vraiment slam. Entre la blague roublarde et le spleen alcoolisé de fin de soirée. Car Skinner use de son accent cockney jovial et de ses paroles à l’humour désespéré pour dépeindre le mélange d’hystérie et de vide ressentis par les jeunes Anglais habitant des villes comme Birmingham. Cependant, les boucles hip-hop ultra efficaces de "Turn The Page", "Geezer’s Need Excitement" ou "Stay Positive" font sortir Skinner du rôle de mariolle léger. Tout comme la mélancolie urbaine de titres comme "It’s Too Late" montrent que cette ironie comporte plus de gravité qu’il n’y paraît. La photographie de cette jeunesse anglaise, souffrant d’une artificielle hyperactivité pour ne pas s’enliser dans l’ennui, fait ainsi preuve d’une rare sincérité.
Margaux


2 Many DJ's : As Heard On Radio Soulwax pt. 2
avril 2002

Ça commence comme une histoire belge, un peu surréaliste sur les bords, sauf que la chute ne nous fera pas rire aux dépends des habitants du plat pays mais plutôt courber l'échine devant ses représentants, les guiboles épuisées par des heures de danse enfiévrée sous les coups de boutoir d'une bastard pop hystérique, anarchique et totalement addictive. C'est l'histoire des frères Dewaele (Stephen au chant, David à la guitare) qui forment Soulwax en 1992 dans leur riante cité de Gand, quartet 100% rock oeuvrant à ses débuts dans le registre du grunge alternatif, sous l'ombre tutélaire du producteur Chris Goss (les lascars allaient jusqu'à reprendre du Slo Burn en concert !). Sauf que, les liens du sang étant plus forts que tout, l'ascendant du père Dewaele, DJ très réputé dans sa patrie originelle, exerce une influence de plus en plus forte sur ses rejetons. Lesquels baissent alors la granulométrie des guitares, arrondissent les angles, débrident les tempos, et Soulwax d'évoluer vers l'électro-rock mâtiné de pop. En parallèle, les frangins dévalisent la collection de vinyles du paternel qu'ils parcourent, selon la célèbre maxime rimbaldienne, littéralement et dans tous les sens, au mépris de toute hiérarchie et de toute linéarité temporelle. Alors que la formation se taille progressivement un nom avec la sortie de son deuxième album (Much Against Everyone's Advice, 1998), les frangins commencent à s'installer derrière les platines et président aux festivités nocturnes lancées après les concerts du groupe, s'affichant sous le sobriquet sarcastique de 2 Many DJ's.

Rapidement repérée par une radio belge, la fratrie prend les commandes de l'émission Hang The DJ où elle perfectionne son art du mash-up, cette illustre pratique dont Grandmaster Flash s'était fait une spécialité, consistant à prélever des éléments de plusieurs titres existants (le refrain de l'un, la ligne de basse de l'autre, la rythmique du troisième) pour les assembler au sein d'un seul et même morceau, démarche sauvage et prédatrice, art de la régurgitation kamikaze qui se décline en un enchainement dévastateur de cadavres exquis frottés à l'effervescence du dancefloor. Exportant leur formule sur toutes les routes du Benelux, les jeunes padawans prennent bien vite du galon dans la confrérie des maîtres Jedi lorsqu'ils annexent l'Europe entière depuis Londres, échangeant leurs recettes de cuisines avec leur potes Busy P, Erol Alkan et James Murphy. Devant le succès de l'entreprise, les compères consentent à publier le fruit de leurs débauches soniques. Pour des raisons évidentes de droit, leurs compilations sont alors éditées sous forme de bootlegs (une douzaine jusqu'ici) que l'on s'échange sous le manteau. Le phénomène prenant de l'ampleur, les compères osent le pari fou d'en commercialiser une de façon officielle. Quatre années d'âpres négociations sont nécessaires pour débloquer les droits des 114 samples (187 au départ) constituant ce deuxième volume.

Défi juridique et technique autant qu'artistique, As Heard On Radio Soulwax déroule la playlist d'une soirée idéale, celle où l'on n'aura pas envie de flinguer le DJ mais plutôt de le couvrir de baisers emplis de reconnaissance. Le dosage entre classiques, incunables et révélations s'avère absolument parfait, pas un instant on ne songe quitter la piste de danse pour une pause clope sur le parking. Rivés sur leur montagne de disques, les 2 Many DJ's bénissent les mariages les plus incongrus, les unions les plus contre-nature, avec une science du dosage jubilatoire. C'est ainsi que Lou Reed vient cancaner en compagnie de Sly And The Family Stone tandis que Polyester lance des regards appuyés aux mecs de l'assistance, les Stooges éjaculent leurs riffs corrodés sur la croupe de Salt'n Pepa, les Residents breakdancent sous la boule à facettes, les Destiny's Child se repoudrent le nez avec les 10cc alors que Dolly Parton entame un tango dans les bras de Röyksopp et que Skee-Lo rappe ses lyrics sur la basse groovante des Breeders. Et parce que comme tout bons Djs ils sont aussi de brillants passeurs, les Belges ne manquent pas de glisser quelques morceaux récents dans leur chaudron fumant. Les maxis d'ADULT., Electric Six (qui s'appelait encore The Wildbunch) et autres Vitalic trouvent ainsi une rampe de lancement idéale dans le cirque planétaire.

Télescopage vertigineux de références partouzant dans la plus totale lubricité autant qu'une imparable machine à guincher, ce mash-up infernal constitue également un pur manifeste de l'époque. Le peer to peer et les réseaux sociaux sont en plein boom, le format album perd haleine. A l'heure du haut débit, chacun construit sa culture musicale à la hussarde, au grès des humeurs et au hasard des clics, les disques durs surchauffent, les playlists transitent d'I-Pods en baladeurs mp3 par-delà les océans. Désormais tout le monde est le DJ de son petit club privé. La musique ne forme plus un continent obscur dans lequel on progresse lentement à la machette, mais une rase campagne que l'on dévale à la vitesse TGV. Et si, bien plus qu'une simple litanie de révélations creuses, tendances éphémères et autres groupes supposés majeurs, c'était cela le grand fait d'armes des années 2000 ? Cette révolution des us et coutumes, cette évolution des modes de consommation transformant la musique en un gigantesque open bar que chacun vient goulument piller dans un joyeux chaos, un festin libertaire (quelques années avant que les majors ne mettent en branle l'arsenal répressif) sur lequel la galette des frères Dewaele tombe à point nommé pour en capter l'euphorie.

Peut-être se trouvera-t-il des lecteurs pour mettre en cause la légitimité de cette compilation dans ce discorama. Certes, on aurait pu se replier sur les plus canoniques Soulwax, et on n'aurait pas forcément perdu au change, tant le groupe admoneste sur Any Minute Now (2004) un rock synthétique sacrément bien balancé, surtout si on lui adjoint ses corolaires, l'album de remixes Nite Versions ainsi que le live Part Of The Weekend Never Dies, excellent témoignage de leur furie scénique. Ou bien opérer un bond de deux ans en arrière et mettre en valeur le formidable Since I Left You de The Avalanches, patchwork gargantuesque composé de plus de 3500 samples (!). On persiste sur le cas As Heard On Radio Soulwax, car il se tient à l'exacte intersection de ces deux réalisations, à la fois novateur et symptomatique de son époque, tout en se révélant plus accessible que le chef d'oeuvre expérimental des Australiens. Si les 2 Many DJ's n'ont pas inventé la poudre, ils ont trouvé les allumettes pour la faire exploser, et le disque fait l'effet d'une belle petite déflagration. A leur suite, de nombreux mash-up vont pulluler semi-clandestinement sur le net : Danger Mouse passe le double blanc des Beatles et le Black Album de Jay-Z au mixeur pour former le Grey Album, d'autres poussent la farce jusqu'à coller les paroles des chansons des Fab Four sur la musique de Metallica pour donner naissance à l'hippogriffe Beatallica, tandis qu'en France DJ-Zebra emboite malicieusement Marvin Gaye et les Pixies, Shaggy et Rage Against The Machine comme des briques Lego. En parallèle, une cohorte d'anonymes participe aux réjouissances en jouant les apprentis sorciers sur leur espace perso.

Quelques années après avoir écumé les clubs et les festivals du monde entier, les remixeurs frénétiques se sont récemment remis au turbin sur de nouveaux épisodes de la radio Soulwax, poussant encore un peu plus loin le concept avec le projet Introversy, mix loufoque constitué uniquement d'introductions de morceaux cultes ou obscurs piochés dans leur immense collection et qui se voit accompagné cette-fois d'une bande-image composée à partir de pochettes de disques animées. En quête perpétuelle du grand défouloir ultime, les frangins n'ont pas fini d'opérer les greffes transgéniques les plus loufoques pour te faire shaker du booty, baby.
Maxime


Archive : You all look the same to me
Août 2002

Le troisième album d’Archive est certainement celui qui a marqué le plus la discographie du combo londonien. Un disque en forme de recherche d’une personnalité qui qualifierait le plus le groupe. Car après un disque trip-hop (Londinium) puis un autre outrageusement pop (Take My Head), c’est vers le rock progressif et psychédélique que se tournent les londoniens d’Archive, pour tous les albums suivant, et tout particulièrement pour celui-ci que l’on peut considérer avec le recul de presque 10 ans comme étant la clé de voute de leur discographie : sans doute le meilleur et le plus inventif. Rien que ça !

Rien que ça, et ça suffit à faire de You All Look The Same To Me un disque culte, dans lequel se suivent sans se ressembler des titres tout aussi bons les uns que les autre. On a le long, triste et magnifique "Again", suivi du tribal "Numb" ou encore le transcendant "Finding it so hard". Trois titres pour presque quarante minutes de purs moments de musique, battant le chaud et le froid avec une rare émotion. L’électro y est sans doute pour quelque chose, puisque c’est assez discrètement que l’omniprésence des sonorités synthétiques vient sublimer un rock progressif larmoyant et sombre. Ce travail de composition et de production est d’ailleurs flagrant sur "Finding it so hard" et son rythme jungle qui tranche avec le chant poussif mais très expressif de Craig Walker.

Bien sûr, il est difficile d’admettre que les autres titres non cités soient aussi réussis. Pourtant, dans sa globalité, les titres se répondent les uns aux autres : un long, un court, un émouvant, l’autre plus pop et plus joyeux, créant une grande cohérence dans cet album complet, dont le rapprochement avec le travail de Pink Floyd se fera très rapidement par les critiques de l’époque. You all look the same to me est d’ailleurs le premier disque du groupe à faire appel à cette référence résumant très bien tout ce qu’il exprime : tourmente mélodieuse et psychédélique. Beau programme pour un disque parfait !
Geoffrey

lire la chronique de l'album


Death In Vegas : Scorpio Rising
Septembre 2002

Dans la discographie de Death In Vegas, ça a toujours été un peu le bordel. Beaucoup de choses très estimables (réunies sur l'excellent best-of Milk It) mais aussi des trucs inécoutables (l'intégralité de l'album Satan's Circus) et toujours de bons morceaux éparpillés sur des albums inégaux. Scorpio Rising est l'exception qui confirme la règle car il s'agit du seul album du duo (Richard Fearless et Tim Holmes) qui semble avoir une cohérence voire une visée, à savoir jouer de la musique sixties psychédélique à l'aube du XXIe siècle. Le titre de l'album sonne comme une profession de foi puisqu'il est tiré d'un film réalisé en 1964 par Kenneth Anger qui brasse les motards, le cuir, les chaînes, l'homosexualité et les tubes pop pré-Beatles qui parlent de bikers rebelles chantés par des filles. Vaste programme avec à la clé un beau foutoir expérimental... amusant, pour rester poli. Mais Kenneth Anger doit surtout sa notoriété auprès des amateurs de rock aux relations qu'il a pu entretenir avec le satanisme, les Rolling Stones et plus tard Led Zeppelin. En choisissant pour intituler son album le nom d'un de ses films, Death In Vegas entend sans doute se placer sous le patronage, sinon de ces groupes, du moins de cette époque (fin des années 60 et du rêve hippie).

Dit comme ça, ça sonne assez débile et pas original pour un sou mais heureusement les gens de Death In Vegas ont du talent, assez pour faire oublier ce pseudo concept neuneu et laisser la musique s'exprimer. La filiation psyché sixties met d'ailleurs du temps à apparaître à l'écoute du disque. Le diptyque d'ouverture "Leather/Girls" donne dans l'electro, excellente certes mais très classique dans la forme et similaire à ce qu'avait pu produire Primal Scream dans les années 90 sur Vanishing Point et XTRMNTR. "Hands Around My Throat" reste dans la même veine, le morceau débute avec un craquement de disque vinyle qui s'insère ensuite dans un beat electro, ce qui symbolise peut-être le disque tout entier : sonner rétro avec du matériel moderne. La basse se place dans la lignée du New Order et Death In Vegas va jusqu'à placer des bandes inversées (procédé psyché éculé s'il en est) ici et à plusieurs reprises sur le disque. Quant aux paroles, une apologie de l'asphyxie érotique ?

Tim Holmes et Richard Fearless viennent tous deux des musiques électroniques et du punk mais sont bien trop intelligents pour s'y limiter, d'où ce Scorpio Rising qui, s'il ne révolutionne rien, est un sacré putain d'album. Le beat reste electro tout au long du disque mais les instruments, passés les trois premiers titres, sont à peu près tous organiques. On trouve du banjo, de la mandoline ("Killing Smile") et des arrangements de cordes somptueux par Dr. Lakshminarayana Subramiam. Comment l'electro, cette musique de scotchés à deux neurones, a-t-elle pu engendrer de telles compositions? Parce que pour les vrais musiciens les machines sont un moyen, pas un but en soi. Un long bruit blanc pour hocher la tête en mesure, non merci. Death In Vegas préfère faire appel à deux types considérés comme de purs réactionnaires (donc a priori réfractaires aux musiques électroniques) : Paul Weller et Liam Gallagher. Le premier prouve sa vitalité vocale sur une reprise du "So You Say You Lost Your Baby" de l'ex-Byrds Gene Clark (avec en prime la basse de Mani, ex-Stone Roses et actuel Primal Scream) tandis que Liam Gallagher, qui avait répondu à son frère lui présentant "Wonderwall" "C'est du hip-hop ton truc", livre son meilleur tour de chant des années 2000 sur le morceau titre. Par charité chrétienne, on passera sur la non-performance de Dot Allison la chanteuse sans voix pour s'extasier sur "Help Yourself" qui empile les strates sonores sans s'y perdre : cordes, chant, clavier, sitar, guitare, batterie et enfin ces 22 violons enregistrés encore et encore jusqu'à en obtenir 260. l'apothéose parfaite pour un des rares disques d'electro qui s'écoute encore sans sourire au XXIe siècle. Mais parle-t-on encore d'électronique ici ?
Pierre D

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