Van Der Graaf Generator
Pawn Hearts
Produit par John Anthony
1- Lemmings (Including Cog) / 2- Man-Erg / 3- A Plague of Lighthouse Keepers: A) Eyewitness - B) Pictures/Lighthouse - C)
Alors que le rock progressif est entré dans son âge d’or, les ténèbres se sont déjà installées pour envahir son histoire. Elles sont aussi puissantes et inquiétantes qu’elles sont fébriles, à l’image et au son de la voix de Peter Hamill, chanteur de Van Der Graaf Generator. Elles représentent une partie du courant le plus exigeant de ce genre ambitieux, celui qui charrie aussi la Zeuhl ou les Belges d’Univers Zero, d’autres directions aussi angoissantes qu’elles sont originales.
En deux albums sortis en 1970, ceux qu’on nomme par l’acronyme VdGG avaient obtenu une stature internationale et s’étaient hissés parmi les plus grands noms des musiques progressives. Y’avait-il autant d’individus susceptibles de se glisser dans l’univers déstabilisant du groupe ? Un public de pions qui se meut dans les méandres sombres de la formation, ici représentés par Paul Whitehead, figure importante de l’illustration progressive (il travaille pour Genesis) aux côtés de Roger Dean.
Cette composante visuelle n’est qu’une des dimensions de l’inscription totale de Van Der Graaf Generator dans l’histoire progressive, et ce malgré ses spécificités marquées. Ils adoptent également le goût pour la longueur. Pawn Hearts se compose de trois pièces dont une dépasse les vingt minutes : la même année, Focus, Caravan, Pink Floyd ou Emerson Lake & Palmer avaient également franchi le pas. De plus, ils communient avec la grande famille progressive en invitant Robert Fripp (King Crimson) sur deux des trois morceaux. Enfin, évidemment, il en va des structures, de la complexité des compositions, de la richesse instrumentale et de ses expérimentations.
Il est possible qu’à côté de la pièce maîtresse et pharaonique qui constitue la seconde moitié de l’album, les deux premiers morceaux (dépassant à peine les dix minutes) puissent passer pour des amuses bouche. Ce serait une erreur. "Lemmings" d’abord, du nom de ces rongeurs suicidaires (déjà utilisés par les obscurs Bachdenkel), met en place un dialogue entre Peter Hammill et le saxophone dans des registres contrastés (tantôt atmosphériques, tantôt expérimentaux, tantôt plus rythmés et jazzy). Il y a quelque chose de la Zeuhl avant l’heure dans ces divagations. Ensuite, "Man-Erg", qui passe de la douceur des claviers et du chant d’Hammill, dans une montée symphonique, à des délires d’une violence rare (rythme très marqué, répétitivité, sons de claviers agressifs), avant de se retirer comme la marée afin de regagner des paysages plus planants.
Mais la descente aux Enfers des gardiens de phare est bien évidemment le centre de Pawn Hearts. "A Plague of Lighthouse Keepers", vingt-trois minutes, constitue un des moments phares de leur œuvre. Son introduction jazzy est proche des ambiances canterburyennes quoique beaucoup plus angoissantes (les chœurs et les sons d’orgue). La prestation d’Hammill est impressionnante, il est ici complétement habité. Comme toujours avec ce genre de pièce gargantuesque, il est compliqué d’en dévoiler la substantifique moelle sans passer par des descriptions laborieuses, mouvement par mouvement, qui ne lui rendent pas forcément justice. On se contentera de souligner la forte orientation jazz de nombreux passages, la sobriété de moments parfois très légers ou éthérés, d’autres beaucoup plus exaltés (les excellentes lignes de saxophone de claviers et de chants qui se répètent et s’entremêlent vers les 11 minutes avant de diriger l’auditeur vers des contrées dissonantes). La pièce n’est pas forcément facile d’accès, à l’image d’un groupe un peu à part pour son esthétique très particulière, mais constitue a minima une expérience musicale enivrante.
Malgré son succès limité à l'époque, l’album est promu par une tournée européenne particulièrement populaire en Italie. Pawn Hearts est souvent considéré comme le sommet artistique de Van Der Graaf Generator, on lui préférera personnellement le duo de 1975/76 mais c’est une histoire de subjectivité : l’album est bel et bien de haute volée. Celui-ci marque aussi la fin de la première période du groupe qui se sépare en 1972 quand Hammill souhaita se concentrer à sa propre carrière. Le générateur n’avait pas pour autant dit son dernier mot.