↓ MENU
Accueil
Première écoute
Albums
Concerts
Cinéma
DVD
Livres
Dossiers
Interviews
Festivals
Actualités
Médias
Agenda concerts
Sorties d'albums
The Wall
Sélection
Photos
Webcasts
Chroniques § Dossiers § Infos § Bonus
X

Newsletter Albumrock


Restez informé des dernières publications, inscrivez-vous à notre newsletter bimensuelle.
Critique d'album

U2


The Joshua Tree


(09/03/1987 - Island Records - Stadium rock - Genre : Pop Rock)
Produit par Brian Eno, Daniel Lanois

1- Where the Streets Have No Name / 2- I Still Haven't Found What I'm Looking For / 3- With or Without You / 4- Bullet the Blue Sky / 5- Running to Stand Still / 6- Red Hill Mining Town / 7- In God's Country / 8- Trip Through Your Wires / 9- One Tree Hill / 10- Exit / 11- Mothers of the Disappeared
Note de 5/5
Vous aussi, notez cet album ! (73 votes)
Consultez le barème de la colonne de droite et donnez votre note à cet album
Note de 5.0/5 pour cet album
"Et Dieu Créa U2..."
Louis N, le 28/12/2012
( mots)

Ya des fois, c'est dur la critique rock. Des fois, les mecs dont on cause, ils font exprès d'être géniaux rien que pour nous emmerder, pour qu'on est rien à dire de plus intelligent que "bon, c'est bien, c'est même sublime, il faut avoir entendu ça avant de caner sinon on a raté sa vie". Alors ce coup-ci, c'est U2. Car  il fût un temps où le groupe avait des idées, où U2 ne se reposait pas sur une identité sonore gravée dans le marbre, bref, un temps où le chef-d’œuvre restait à venir.  Et justement, voici le petit bijou. The Joshua Tree ça s'appelle, rapport à un arbre du désert de Mojave dont la forme rappellerait Joshua indiquant la direction de la Terre Promise. Pondu en 1987, ce 5ème album est l’Himalaya créatif du quatuor irlandais. Il marque un tournant dans la notoriété et les ventes du groupe. Dernière production studio avant que U2 ne soit happé par les rouages du succès, avant que Bono ne se soit définitivement affublé du costume de champion de la bien-pensance onusienne, avant que le groupe ne devienne, en somme, une gigantesque machine à tournées mondiales ultra-rodées, The Joshua Tree est aussi le disque qui fixe le mieux l'essence de la "recette" U2. À la production, le duo Brian Eno/Daniel Lanois est reconduit dans ses fonctions. Moins métallique que sur The Unforgettable Fire, le son de U2 est plus chaud, plus aérien. Il retranscrit l'Amérique des grands espaces, l'Amérique spirituelle, des Sioux et de la Louisiane, l'Amérique exaltée qui a inspiré le quarteron dublinois lors de son séjour outre-Atlantique.
    
Au cas où vous n'auriez jamais écouté cet album, ne vous méprenez pas : il ne s'agit pas d'un Best Of. Les trois premiers titres de The Joshua Tree sont à U2 ce que la Sainte Trinité est au christianisme. "Where The Streets Have No Name", "I Still Haven't Found What I'm Looking For" et "With Or Without You", rien de moins. La prouesse de cette ouverture, c'est de faire de trois morceaux introspectifs, chargés de romantisme, des titres compatibles avec le gigantisme des concerts de U2. Lier l'intime à l'universel, voilà un tour de force que seuls les plus grands ont réalisé.
    
L'influence romantique dont nous parlions est patente dès les premiers couplets de "Where The Streets Have No Name". Sentiments d’oppression et d'injustice ("I want to tear down the walls / That hold me inside"), aspiration à un ailleurs de liberté et retour salvateur à la Nature ("I'll show you a place / High on a desert plain / Where the streets have no name"), tout y est. L'accouchement fut long pour cette piste inaugurale, dont l'enregistrement a paraît-il représenté la moitié du temps passé en studio par U2 sur cet album, mais le résultat est là. Bono ne s'y trompe pas lorsqu'il affirme à propos de ce morceau : "c’est le moment où le métier s’arrête et où la spiritualité commence." Comme le soleil à l'aube d'une journée de road trip, le clavier nimbe de lumière les premières mesures du titre. Ces nappes ternaires créent un arrière plan harmonique sur lequel s'imprime les chapelets d'arpèges de The Edge. La griffe du guitariste à bonnet est bien présente : la profondeur de son jeu est le fruit d'un travail minutieux sur l'équilibre entre un son clean, presque éthéré, et l'utilisation du delay. Bâtit sur le motif d'un crescendo lyrique dont Bono et The Edge ont le secret, "Where The Steets Have No Name" est emmené au zénith par une section rythmique implacable. Grosse caisse sur tout les temps et kyrielles de rototom pour Larry Mullen Jr., basse façon hydravion et montées à l'octave pour Adam Clayton. De quoi donner un sérieux coup de pied au cul à l'ensemble.
    
Toute aussi magistrale, "I Still Haven't Found What I'm Looking For" poursuit dans la fibre spirituelle. Inspirée par le gospel, dans lequel elle puise abondamment, cette ballade se déploie à partir du jeu grosse caisse/caisse claire de Larry Mullen Jr. . Le tempo tout en contre-temps qu'a dégoté ce batteur sobre mais redoutable d'efficacité retient immédiatement l'attention. "I Still Haven't Found..." incarne l'esprit U2 : superpositions de plusieurs parties de guitares, démultiplication des chœurs en trois ou quatre voix, groove compact et solide. Le travail de production et d'instrumentation est remarquable. Léché, peaufiné, et pourtant si personnel, presque artisanal. La texture de son obtenue témoigne de l'exigence qui anime le quatuor lors du travail en studio. Plus que dans tout autre groupe, il s'agit pour U2 de considérer un morceau comme une entité supérieure à l'addition de différentes parties. L'alchimie, l'harmonie d'un tout est à la source de la philosophie musicale de la bande à Bono. Si elle est essentielle en musique, et présente dans chaque grand groupe, peut-être est-elle plus évidente dans ce quatuor en raison de la retenue technique dont chacun fait preuve.

Sans doute le morceau le plus connu de U2, "With or Without You" reprend une formule similaire à celle employée dans les deux morceaux précédents. Le duo Mullen/Clayton créé une dynamique rythmique qui sert de matrice à l'inventivité du couple Bono/The Edge. L'Infinite guitar utilisée par ce dernier témoigne une fois encore du raffinement de l'instrumentation de U2, qui apporte une touche de sophistication géniale à des idées simples. Ce prototype permet de prolonger à l'infini le sustain de la guitare. Le résultat obtenu, c'est ce que les mauvaises langues appellent "chant de baleine" dans l'introduction du morceau. Alliée à cette ligne de basse si caractéristique, l'Infinite guitar creuse l'abysse duquel surgit la puissance presque mystique du titre. L'explosion combinée de la voix de Bono, des accords de The Edge et des fûts de Larry Mullen entraîne vers la ferveur, la transcendance que le groupe semble visée avec ce triptyque introductif. Mais c'est une fois le déluge passé que le miracle a lieu. Le volume baisse, la guitare carillonnée revient, la section rythmique s’apaise, et The Edge dépose une signature sublime : une suite de notes simples, accompagnée par le riff principal du titre. Rideau.

"Bullet The Blue Sky" renoue avec une fibre plus rock et nettement plus vindicative. L' atmosphère menaçante créée par une partie guitare apocalyptique et la brutalité aride du duo basse batterie colle avec le militantisme du texte, dénonçant l'Amérique va-t-en-guerre de Reagan. Bono adopte pour l'occasion une voix rocailleuse et agressive. Ce morceau dérangeant, dont le tempo donne l'impression d'une saccade machinale et froide, atteint son objectif : choquer, marquer pour mobiliser. La guerre c'est dégueulasse, les enfants saignent dedans. On ne jugera pas de l'opportunité des engagements de U2, mais la traduction artistique de ces combats est assez probante. L’œuvre musicale y perd toutefois ce que la dénonciation politique y gagne. Les arrangements de "Running to Stand Still" revêtent une couleur blues qui enveloppent cette ballade dans une indolence mélancolique. La partie vocale suave susurrée par Bono contribue également à la douceur du titre. Comme le reste du groupe, il fait preuve d'un sens aigu de la nuance et déploie sa puissance vocale sans forcer sur le volume, ce qui représente un progrès notable dans sa façon de chanter. En élargissant sa palette musicale vers des registres blues et gospel, Bono pose sa voix et ne « crie » plus (souvenez vous de "Sunday Bloody Sunday" ou "Pride (In the Name of Love)". L'apparent minimalisme du titre donne l'impression d'une simplicité évidente, et à vrai dire bienvenue : on se laisse bercer par une mélodie de piano discrète, sans se rendre compte que l'on se fait embarquer.

"Red Hill Mining Town" trahit une petite baisse de régime du groupe en terme d'inspiration. U2 pioche un peu (jeu de mot...), à l'image du tempo poussif de Larry Mullen Jr., loin cependant d'égaler en lourdeur le plantage de clou, malgré tout assez groovy, dont nous gratifie Adam Clayton.  Immédiatement accessible et loin pour autant d'être désagréable, cette pièce n'en reste pas moins dispensable. Elle laisse la sensation d'un titre un peu bâclé, composé à partir d'une bonne idée inexploitée, comme laissée en friche dans une structure couplet/refrain trop basique. À croire que le ver était déjà dans la pomme, la tendance à la surproduction pointe déjà le bout de son nez dans le dernier tiers du morceau, avec force violons en renfort des chœurs déjà (trop) présents. Ce Germinal low cost manque clairement d'agressivité pour prétendre se hisser à la hauteur du thème de ses paroles. "In God's Country" entretient cette tendance à la baisse. Peut-être le temps a-t-il fait son œuvre, mais ce titre sonne aujourd'hui comme un énième standard U2, lisse et sirupeux. Le genre, si vous me permettez cet emprunt chiraquien, "à m'en toucher une sans faire bouger l'autre" (oui, elle est gratuite celle là). Pas de révolution au pays de Dieu : tout est trop linéaire, du tempo débilitant à la partie gratte façon peintre en bâtiment. Suit "Trip Through Your Wires", qui tape carrément dans le country rock. C'est un style. Là encore, U2 déroule un morceau nettement trop plan-plan. On passe.

"One Tree Hill" – rien à voir avec la série – renoue, et il était temps, avec les qualités de cet album. Inspiration et minutie sont de retour sur ce morceau méconnu, pourtant au niveau des trois premiers titres. Car "One Tree Hill", c'est la force tranquille, un curieux mélange de sérénité et de passion. Lui aussi composé sur le modèle d'une spirale ascendante, ce morceau est sans doute le plus planant de l'album. La progression du titre vers une forme de rédemption musicale est remarquable. Et pourtant, rarement U2 n'avait poussé aussi loin le dépouillement de chaque partie. Le groupe atteint l'harmonie, le rapport parfait entre chaque élément du tout. Le fruit mûrit, gonfle et se dore au fil des couplets, avant que Bono et The Edge ne viennent le cueillir. Cette voix cassée, éraillée, hurlant des « rainin' » déchirés, et ce solo de guitare au second plan, crasseux, mordant... que c'est bien foutu. La hargne de ces deux parties tranchent nettement avec l'atmosphère évanescente qui régnait jusque là. La mélodie se consume dans une implosion splendide. Tout s'écroule avec cette guitare et renaît dans l'ultime coda. Comme la pluie sur la pleine ravagée par le feu, les chœurs apaisent l'âme absoute.

"Exit" est un morceau sombre, désarticulé, peuplé de guitares monstrueuses qui bondissent hors de l'ombre pour y retourner aussitôt. La piste est la dernière ajoutée à The Joshua Tree : c'est un extrait brut d'une jam session, que Brian Eno a saisi comme un moment "magique", hors de contrôle. Le quatuor s'aventure dans des expérimentations obscures mais fascinantes. La fureur semble s'être emparée de The Edge qui déclenche ici une canonnade de riffs biscornus mais redoutables. L'envoûtement fonctionne assez bien : on a le sentiment que les membres du groupe se sont abandonnés pendant ce jam, se laissant porté par l'énergie dark de la partie basse. "Mothers of the Disappeared" conclut assez solennellement l'album. Comme un hymne à la résistance fredonné plus que chanté, cette piste finale s'envole lentement, fendant la grisaille des heures sombres. The Edge se la joue Ché avec sa guitare espagnole, et le tout ne manque pas d'allure, d'autant plus quand la deuxième guitare balance de grands power chords pour ponctuer le tout.

Même s'il souffre d'un léger trou d'air arrivé à sa moitié, The Joshua Tree est un album culte, non seulement parce qu'il contient trois têtes d'affiche en ouverture, mais aussi parce que ses "seconds rôles", à commencer par "One Tree Hill" et "Running to Stand Still" sont d'excellente facture. Cet album est un must pour les amoureux du U2 bricoleur de son, perfectionniste et transcendé par une énergie spirituelle inouïe.

Commentaires
Olivier91370, le 27/04/2023 à 08:18
Tout à fait d’accord avec cette critique, cette album est stratosphérique. Le tryptique d entrée à placé le groupe au firmament du rock et 36 ans après sa sortie, les frissons me viennent lorsque l intro de « Where the streets have no name «  commence. Il ne se passe pas 1 semaine sans que je n écoute cet album. C est ce qui fait la marque des Classiques!