The Stooges
The Weirdness
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1- Trollin' / 2- You Can't Have Friends / 3- ATM / 4- Idea of Fun / 5- The Weirdness / 6- Free and Freaky / 7- Greedy Awful People / 8- She Took My Money / 9- The End of Christianity / 10- Mexican Guy / 11- Passing Guy / 12- I'm Fried / 1- O Solo Mio / 2- Claustrophobia / 3- I Wanna Be Your Man / 4- Sounds of Leather
Les plus intransigeants trouvaient l’idée vaguement ridicule. Les plus arrangeants se contentaient de dire qu’elle était doucement utopique. En tout cas, le bruit courrait en ville depuis déjà quelques mois. Le groupe qui avait littéralement baisé les sixties pour enfanter les années 70 s’apprêterait à revenir pour une quatrième giclée de rock’n’roll pur jus. A une époque où tous les gens de goût, et même les autres, se réclament de leur héritage, les Stooges se sont donc relevés d’entre les morts, comme pour montrer qu’ils sont encore les plus qualifiés pour prendre leur propre succession.
Autant être franc, une bonne moitié de l’album peut laisser dubitatif, surtout à la première écoute. Certes, le morceau éponyme, "The Weirdness", étonne et détonne. A tel point que malgré une bonne dizaine d'écoutes, il reste trop tôt pour savoir si c'est un bon coup ou une simple pochade. Certes, la portugaise gauche s’ouvre pourtant un peu à l’approche du très énergique "ATM", bientôt rejointe par la droite quand se pointe "Idea of Fun", une chanson déjà jouée sur scène depuis 2004. Peut-être est-ce par la force de l’habitude ? Toujours est-il que le titre, frénétique comme il faut, convainc, une fois apprivoisé le solo un brin vulgos de Bouboule Asheton.
Mais globalement, les chansons de cette première partie peuvent sembler relativement convenues, manquer de mordant et de spontanéité. Ca sonne parfois un peu plus Iggy Pop en solo cuvée 1997 que Stooges millésimé 1969. Et même quand la guitare du gros Ron Asheton se réveille un peu, on croirait entendre un copier-coller un peu facile de vieilles chutes période Funhouse.
Et puis, comme s’ils se rendaient compte qu’il fallait passer la seconde, les compères accouchent de "She Took My Money". Qui se paye le luxe, quand on daigne y prêter attention, d'être une vraie bonne chanson des Stooges. En particulier quand l’Iguane se met à aboyer, le saxo à anhanner tant qu’il peut, tandis qu’à la guitare et à la batterie, les frangins Asheton semblent avoir retrouver le secret du riff-clou tellement répétitif qu'il en devient hypnotique, et de la batterie-marteau qui enfonce tout, et en particulier les tympans.
En fait, à ce point, c’est tout le débat qu’élèvent Iggy et les Asheton Bros. (n’oublions pas non plus le petit nouveau, Mike Watt). En particulier avec le trio final gagnant, quand la musique des Stooges cesse d’être du rock pour redevenir quelque chose d'un peu plus puissant, de dangereusement entraînant et fascinant. Fascinant aussi de voir Iggy accoucher de son meilleur album depuis au moins 15 ans, avec l'impression qu'il se consume en cours de route, avant de finir sur les rotules avec un "I'm Fried" magistral.
Bon, il faut raison-garder, comme dirait l'autre. On n'a pas affaire ici à un nouveau Funhouse. C'est-à-dire que l’antique « maison de plaisir » des Stooges, au fur et à mesure des années, est devenue une très respectable enseigne, un monument tellement intouchable qu’il semble à présent indépassable. Mais parions quelques euros qu’avec la patine du temps et des écoutes, quelques titres de ce dernier opus, comme "ATM", "She Took My Money", "Mexican Guy", "Passing Cloud" ou "I’m Fried", se feront une petite place au sein du Panthéon stoogien.
Entre temps, il faudra se défaire de ses préjugés, et renoncer à chercher en ce Weirdness un Raw Power 2. Il faut l'apprécier pour ce qu'il est : un album de rock qui donne envie d'envoyer chier son patron, de mordre son voisin, et se taper sa voisine (en croisant juste les doigts pour qu'elle soit plus jeune et sexy que les papys Stooges). Et puis, surtout, de voir les quatre larrons en concert le plus vite possible.
En tout cas, il semblerait bien que les Stooges aient réussi ce minuscule exploit de faire un bon album de groupe de rock reformé. Ce qui semblait être jusqu'ici un paradoxe insoluble, en contradiction totale avec les Lois Fondamentales Du Rock'N'Roll. A tel point que même les petits copains des New York Dolls s’étaient cassés les (fausses) dents dessus quelques mois plus tôt. Et si ça, ça prouve pas que dans le petit monde du rock, la bande à Iggy est ce qui s’est fait de mieux depuis la mort de Joseph Haydn, je sais pas ce qu’il vous faut.
Il aura fallu attendre plus d'un mois, mais ça y est : la version vinyle de The Weirdness est enfin arrivée. Au menu : un mixage différent, effectué aux States, tandis que le CD avait été mixé dans les obscurs studios d'Abeille Rôde (ou un truc comme ça), du côte de Londres. D'aucun qualifie le résultat de plus énergique. Mais la vraie nouveauté, c'est bien évidemment le disque bonus, sur lequel figure quatre morceaux inédits. Pas mauvais, "Sounds of Leather" et "I Wanna Be Your Man" (une reprise des Beatles, par ailleurs dispo sur iTunes) ne surprendront pourtant pas grand monde. Ils font en fait vaguement penser à "Greedy Awful People" et "End of Christianity", déjà présents sur l'album. A ce compte-là, "Claustrophobia" est plus inattendu. Iggy croasse plus qu'il ne chante ce morceau malade et survolté. Ce n'est certes pas un joyau impérissable, mais il aurait probablement mérité de figurer sur l'album. En fait, si ces trois premiers morceaux ne semblent pas si extraordinaires au premier abord, c'est qu'ils souffrent de la comparaison avec "O Solo Mio", le titre qui ouvre ce disque bonus. A vrai dire, le producteur Steve Albini aurait carrément voulu le voir ouvrir l'album "classique". S'il ne figurera finalement pas sur l'album (à part sur le pressage japonais du CD, mais on le sait, les Nippons sont des gens de goût), c'est qu'Iggy a eu peur d'effrayer les fans avec ce morceau sombre, grave, introspectif, et inhabituel. Grossière erreur : comme on avait déjà cru le comprendre lors du mini-concert de l'émission "L'album de la semaine" sur Canal+, on a largement affaire ici à l'un des meilleurs morceaux des Stooges nouveau. Voire (oserais-je?), des Stooges tout court. Et rien que pour ça, il faut acheter le vinyle de The Weirdness.