Pink Floyd
The Final Cut
Produit par Roger Waters, James Guthrie, Michael Kamen
1- The Post War Dream / 2- Your Possible Pasts / 3- One of the Few / 4- When the Tigers Broke Free / 5- The Hero's Return / 6- The Gunner's Dream / 7- Paranoid Eyes / 8- Get Your Filthy Hands Off My Desert / 9- The Fletcher Memorial Home / 10- Southampton Dock / 11- The Final Cut / 12- Not Now John / 13- Two Suns in the Sunset
The Final Cut : a requiem for the post war dream, by Roger Waters. Quand on lit cette inscription au dos de la jaquette de l'album, on comprend immédiatement la portée du successeur de The Wall : il ne s'agit pas d'un album de Pink Floyd, mais bel et bien du premier album solo du bassiste mégalo. Et malheureusement pour lui, la moins value apparaît on ne peut plus évidente.
Le projet Spare Bricks prend son origine avec le film The Wall dirigé par Alan Parker en 1982, film pour lequel des chutes de studio du double album du Floyd devaient servir de bande originale - tout comme de nouveaux morceaux enregistrés pour l'occasion. Encore une entourloupe marketing vouée à faire passer une production studio authentique pour une BO non créditée au film (un peu à la manière du Rainbow Bridge de Jimi Hendrix), manipulation qui masquait le fait que le Floyd était simplement redevable à EMI d'un disque, quel qu'il soit. Or il se trouve que Spare Bricks ne vit jamais le jour, car il fut vite remplacé par un nouveau concept-album destiné à critiquer l'engagement militaire britannique et le rôle de Margaret Tatcher dans la guerre des Malouines qui éclata alors que le groupe planchait sur le projet. Waters décide alors de s'épancher sur ce sujet et d'y adjoindre un hommage à son père, Eric Fletcher Waters, décédé au combat durant la seconde guerre mondiale. Lorsqu'il apporte l'ébauche de The Final Cut à ses deux collègues (Rick Wright ayant été éjecté du groupe comme un malpropre quelques années plus tôt), surprise : il se heurte à une hostilité franche du duo, et notamment à celle de David Gilmour. Ce dernier, non content d'être contre la thématique de l'album, trouve de surcroît que les chansons composées par Waters (dont beaucoup, une fois encore, sont des chutes de studio de The Wall avec des textes retravaillés) ne sont pas suffisamment bonnes pour constituer un album studio.
Qu'est-il donc passé par la tête de Waters à cet instant ? Difficile à dire. Lui qui fut l'artisan du succès critique et artistique du Floyd grâce à ses concept-albums au premier rang desquels l'immense The Dark Side Of The Moon, lui qui empêcha le groupe de se déliter à l'époque de Wish You Were Here, lui qui parvint à convaincre ses condisciples de participer à son rêve égotique de The Wall, lui, le despote, qui a souvent agi avec les meilleures intentions du monde et dans l'intérêt du collectif, lui qui a toujours su défendre une certaine idée de consensus (à défaut d'une unanimité de toute façon difficile à obtenir), décide brusquement de se passer de l'avis de ses partenaires et d'imposer ses décisions de façon obtuse. Et comme Gilmour ne fait pas preuve d'un enthousiasme débordant dans la proposition d'un projet alternatif (l'intéressé ayant d'ailleurs confessé, a posteriori, une certaine "paresse" durant cette période), il n'a plus qu'à s'écraser mollement. Pire : Waters, irrité par les critiques de son co-équipier, décide de l'évincer dès que cela lui est possible : il confisque le micro au guitariste (avec un seul duo vocal consenti sur le refrain de "Not Now John"), il restreint ses interventions de gratte au minimum syndical, et il le prive même d'un crédit pourtant légitime à la production. L'affaire en arrive à un tel point que le bassiste préfère assurer lui-même les parties de guitare sèche et confier le solo instrumental de "The Gunner's Dream" au saxophoniste Raphael Ravenscroft. Pas étonnant que Gilmour finit par refuser de travailler sur l'album dans la même pièce que son "patron". Quant à Nick Mason, il se retrouve bien vite relégué au second plan : Ray Cooper double toutes ses parties de batterie, et l'homme se voit même tout simplement remplacé derrière les fûts par Andy Newmark dans "Two Suns In The Sunset". Dernier point capital, le synthétiseur disparaît complètement (n'est pas Rick Wright qui veut) au profit du piano, un choix qui éloigne encore plus ce disque des canons floydiens. Inutile de signaler que l'ensemble des textes et des mélodies est signé intégralement par Roger Waters. Si ça, ce n'est pas un album solo...
L'agonie du groupe prend donc la forme de ce disque bizarre, maniéré, à l'artwork hideux et aux atours étonnamment austères. Si le thème défendu par Waters était déjà particulièrement controversé à l'époque (vu qu'une large majorité de britanniques a approuvé l'intervention anglaise aux Malouines), il semble devenu totalement caduque aujourd'hui. Difficile de se passionner encore pour ce pamphlet anti-militariste qui accumule les pires poncifs auditifs des films de guerre, entre les succession de bruits de grenades et de lance-roquettes et les complaintes larmoyantes sur fond de trompettes au garde-à-vous ("The Post War Dream", pathétique). Ainsi le single "When The Tigers Broke Free", intégré a posteriori à la réédition 2004 de l'album, est probablement, malgré son thème (le fameux hommage à la mort du père de Waters), le pire morceau jamais réalisé sous l'étendard de Pink Floyd. Ailleurs on peine à retrouver le Waters pugnace et expressif de The Wall, l'intéressé se contentant souvent de déclamer ses textes grandiloquents d'un mince filet de voix nasillard. Les mélodies sont effectivement assez pauvres ("Your Possible Past", au refrain particulièrement laid), les morceaux manquent d'envergure sonore ("Paranoid Eyes", pourtant bardé de bidouilles auditives), et le formatage des pièces se trouve appliqué systématiquement sans aucune recherche d'élévation. De temps à autre, l'intérêt de l'auditeur assoupi ("Southampton Dock", summum de la neurasthénie pompière) se voit brusquement réveillé par quelques passages sympathiques qui font honneur au Mur et au Floyd ("The Hero's Return" de façon très inconstante, ou "Not Now John", le seul morceau vraiment bon du lot), ça et là la Stratocaster de Gilmour parvient encore à susciter l'admiration ("Your Possible Past", "One Of The Few", "The Fletcher Memorial Home"), mais jamais, jamais on ne vibre sur l'équivalent imaginaire d'un "Comfortably Numb", d'un "Hey You", d'un "Run Like Hell" ou d'un "Another Brick In The Wall", inutile de poursuivre le déballage. A contraire même, "The Final Cut" saoule gravement dans sa volonté de surligner les émotions au jaune fluo, Waters tombant trop souvent dans des gimmicks vocaux proprement ridicules et à la limite du supportable.
Le constat n'est donc guère brillant. Flop commercial retentissant (3 millions de copies écoulées "seulement", soit six fois moins que The Wall), The Final Cut s'est fait accueillir très vertement par la critique à sa sortie, et on comprend parfaitement pourquoi. D'ailleurs, le disque n'a jamais été joué en live par le groupe, même si Waters en a interprété quelques morceaux sur ses tournées solo ultérieures. Comble de l’aveuglement, le bassiste s'est auto-persuadé que l'échec du disque ne venait non pas de ses propres carences créatives, mais du manque d'implication de ses congénères dans le projet. Conséquence logique : quelques années plus tard, Roger Waters quitte le Floyd, sûr que le public le suivra quoi qu'il fasse, et parachève ainsi la destruction d'un collectif floydien qui tentera bon an mal an de surnager sans lui pendant encore une dizaine d'année. Deux erreurs impardonnables qui entachent irrémédiablement la crédibilité de l'un des plus grands groupes de rock que le monde ait jamais porté. Quant aux vrais fans de la formation, ils savent pertinemment que Pink Floyd est mort en chutant d'un mur. The Final Cut, a requiem for the post-Wall Floyd. Amen.