Si ce début d'année 2014 vous laisse un peu en rade, pensez à l'aborder par le versant folk. Après les excellentes mises en bouche de James Vincent McMorrow et Damien Jurado, goûtez désormais à Marissa Nadler, cette si précieuse prêtresse folk courant americana charbonneux. Si vous l'avez manquée lors de son passage à Paris à l'été, ou même si son nom n'évoque rien chez vous, son déjà sixième - ou sept selon le comptage - album débarque sur nos cœurs trop légers pour rectifier le tir. Comble du légitime, il est pour la première fois apposé du sceau de l'excellent label Sacred Bones et pour couronner le tout, sous la production de Randall Dunn, connu pour être le bidouilleur en chef des gentils bourrins de Sunn O))).
Au premier abord, July est aussi enchanteur que froid, comme au final l'a toujours été la musique de Marissa Nadler. Complaintes élégiaques, coulées d'arpèges ciselés, la belle joue sur ses terres, celles d'une folk de la nuit et de l'hiver où l'étrange rôde quelque part non loin, comme pour dissiper une prétendue tranquillité de l'instant. À l'exception de "Holiday In", ballade guitare-voix nue comme un ver, la production et les arrangements amplifient cette sensation de trouble tout en fluidifiant la course des mélodies. Car c'est dans l'équilibre et l'élégance que se distille l'émotion, en se laissant hypnotiser par le pas sans hâte des guitares on est cueilli à froid par un refrain dévastateur ("Drive") ou un poison lent qui s'insinue discrètement dans une progression minimale ("Dead City Emily"). Les couches de voix qui se superposent, marque de fabrique de la chanteuse, ajoutent du poids à ces ambiances mélancoliques et faussement ingénues, notamment dans "Was It A Dream" pastoral et terriblement accrocheur.
Plus que jamais, sa musique spectrale et presque immatérielle est de celle dont on déconnecte, dont on s'évade pour mieux se faire happer encore et toujours. L'album ne manque pas de substance, loin de là, mais cette substance est de nature onirique, de nature à provoquer la rêverie. Dictée par la voix douce et insubmersible de Nadler, il est aisé, voire recommandé, de s'abandonner à la grâce des quelques touches de piano d'un "I've Got Your Name" cristallin ou plus encore d'un "Anyone Else" brumeux de ses entrelacs de guitares. Car si la jeune femme n'a pas changé grand chose à la recette instrumentale (encore qu'elle ait tourné le dos aux micro-expérimentations pop ou electro des deux précédents LPs), elle s'applique davantage dans son chant à hanter son auditoire. Finies les distances et les postures un poil mégalo, finie la fascination pour un gothique mortuaire suranné, elle se rapproche au plus près de nos oreilles pour souffler son doux venin. Cette musique infectieuse, qui flirte parfois avec la lumière pour mieux s'en dissimuler, se déguste comme un moment privé, presque comme un tête-à-tête un peu étrange avec des souvenirs qui ne nous appartiennent pas mais dans lesquels on parvient sans mal à se situer. Car jamais
Marissa Nadler ne nous raconte une histoire de façon directe, mais plutôt par le prisme d'un miroir déformant qui rend le décor flou, presque surréaliste. Néanmoins sa figure est là, presque tangible à nous susurrer ses comptines sans effort.
July est un album beau comme un songe de nuit d'hiver, ou peut-être davantage comme une chambre tiède abritée du soleil d'une fin d'après-midi d'été. Froid sans la distance et grandi de ses malaises. Chaque écoute s'avère différente dans son ensemble, même si le voyage tend à être linéaire dans les plaisirs. Quoiqu'il en soit la résidente de Boston sert ici son album le plus abouti, le plus mature aussi et poursuit sa trajectoire ascendante. Amateurs de folk, de frisson et de fantômes en tout genres, cette délicieuse potion est concoctée pour vous.