Jordsjø
Pastoralia
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Dans la froideur des fjords et les nuits interminables des provinces nordiques, le rock progressif a trouvé un conservatoire dont la pureté n’a d’égale que la qualité. Aux côtés des grands noms à présent installés (Wobbler, Arabs in Aspic), au moins du côté des amateurs, Jordsjo fait petit-à-petit son nid et obtient doucement une belle réputation, quoiqu’encore limitée.
Après deux albums aux couvertures très sombres, on retrouve les mêmes courbes cette fois-ci irisées de multiples couleurs plus ou moins franches, comme un avant-goût de leur musique à la fois abrupte et d’une douceur inégalée. Une aurore boréale visuelle et sonore.
Comme de nombreux compatriotes inscrits dans le registre progressif, Jordsjo investit le terrain du rock progressif des premiers temps avec un conservatisme certain. Ce troisième album, Pastoralia, ne se distingue guère des autres par ses choix esthétiques, le groupe continuant de broder avec les diverses références qui les animent. On évoquera principalement Camel pour le jeu de guitare aérien et souple ainsi que la flûte, Genesis à l’écoute des claviers analogiques (principalement dans les phases instrumentales des premiers albums), et Gentle Giant ("Jord III") pour les constructions alambiquées et le goût pour les pastiches Renaissance. De plus, on peut signaler le côté jazz-rock qui se dévoile dès le "Prologue" puis se retrouve sur "Jord III", rappelant le registre canterburyen (Caravan, principalement). Il en ressort un groupe avec une esthétique très personnelle et désormais reconnaissable, finalement assez proche des premiers Wobbler. "Jord III", peut-être parce qu’il est plus long que les autres titres, permet d’apercevoir les multiples facettes de Jordsjo - symphonique, jazz-rock, folklorique – qui imprègnent un album d’une unité remarquable.
Le titre de l’opus est particulièrement bien choisi puisqu’il dénote l’ambiance pastorale de la musique de Jordsjo, peut-être le meilleur adjectif pour les qualifier au regard de l’ensemble de leur œuvre. Une suavité enivrante et vivifiante enrobe cette fresque progressive de laquelle nous ressortons apaisé. Cela vient en partie du fait que Jordsjo interprète une musique très organique en multipliant les instruments acoustiques, de la flûte à la guitare rarement saturée. A ce titre, on notera "Fuglehviskeren", pour le contrepoint entre la guitare et la contrebasse et la clarinette basse qui donne des touches klezmer ou gitanes.
Ainsi, le groupe a un côté folk assumé, qui peut même croiser Gryphon quand cette clarinette basse s’invite plus largement ("Vettedans") ou la légèreté de Jethro Tull dans certaines ligne de flûte ("Mellom Mjødurt, Marisko og Søstermarihånd").
Mais Pastoralia est tout de même inscrit dans un rock progressif exigeant à tendances symphoniques, qui brille dès "Skumring i Karesuando" où communient un riff électrique et la flûte, où se répondent le clavier analogique et la guitare acoustique de façon genesienne (seconde partie du titre). De façon plus complexe et plus sombre, "Pastoralia" emmagasine d’autres références (ELP ou King Crimson) pour permettre aux pérégrinations auditives de s’aventurer vers des sentiers plus ardus. Dans tous les cas, et comme l’excellent Nattfiolen, l’opus se savoure d’une traite, comme une berceuse ou une chanson de geste muette (ou presque, le chant est très peu présent).
Les amateurs de rock progressif nordique - c’est-à-dire très proche des sonorités 1970’s, avec de fortes inclinaisons folk et une écriture complexe – seront à nouveau comblés par cette nouvelle production de Jordsjo. Après Wobbler et Arabs in Aspic en 2020, et Caligonaut au début de l’année, la Norvège se constitue un répertoire exceptionnel au point de devenir la proue de la scène progressive.