Jordsjø
Nattfiolen
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La Norvège est peut-être le nouvel épicentre du rock progressif. Au sein de ses différents fjords musicaux, il s’oriente vers le Metal (Leprous) ou le néo-progressif (Gazpacho, Airbag), mais impressionne encore plus quand il s’adonne à vivifier l’héritage des années 1970. Arabs in Aspic et Wobbler font partie de ces formations les plus emblématiques et ambitieuses du genre, quand Jordsjo, duo formé par les multiinstrumentistes (multi-percussionniste pour l’un des deux) Hakon Oftung et Kristian Froland, assure la pérennité de la scène en tant que jeune groupe brillant.
Nattfiolen est leur second album officiel, mais nous avançons avec prudence : ils ont plusieurs productions à leur actif qui sont qualifiées de démo (sorties en cassette et rassemblées dans une compilation sous le titre Jordjso, 2018), si bien qu’il est un peu difficile de se retrouver dans leur discographie. De même, si le duo est le cœur de la formation, il est à noter un grand nombre de musiciens invités pour assurer de nombreux compléments essentiels à la densification d’un album aussi subtil que magistral.
Massivement instrumental (quand le chant est présent, il est évidemment en norvégien), Nattfiolen s’avère être un voyage musical très exaltant, d’une durée raisonnable au regard de la densité des compositions (l’album dure 40 minutes), avec une variété stylistique qui ne nuit jamais à la cohérence de l’ensemble. Au contraire même, le style du groupe est immédiatement appréciable et imprègne tout l’opus avec une grâce incommensurable : si plusieurs pistes découpent l’album, le tout se déploie comme un ensemble cohérent depuis ses divagations aux claviers analogiques jusqu’à sa conclusion languissante, en passant par ses chorus classieux de guitare et ses escapades folkloriques riches en arpèges et flûte traversière.
L’amateur du rock progressif des origines reconnaîtra les claviers typés, les inspirations trouvées dans les groupes allemands atmosphériques ou chez King Crimson, les mélodies et le jeu de guitare d’un Latimer (Camel vient souvent à l’esprit), la flûte si chère à ce style. On retrouve également cette touche scandinave assez sombre, parfois technique, aux références folks, sans être dans la froideur parfois exacerbée des musiques progressives de cette région.
On peut être plus précis dans les références qui animent Jordsjo, mais on risque de tomber dans l’érudition progressive. Il semble que Steve Hackett, notamment Voyage of the Acolyte, soit incontournable pour comprendre les fondements : le jeu de guitare, l’atmosphère des morceaux, le son même de la six-cordes … Ôtez simplement les moments un peu véloces de l’album d’Hackett pour bien comprendre le parallèle. Ensuite, il y a le groupe anglo-allemand Nektar (A Tab in the Ocean) pour l’ambiance et Gryphon pour les parties folk-symphoniques (Red Queen to Gryphon Three).
Le tour de force de Jordsjo est de parvenir à composer une musique apaisante et très riche dans les compositions, mélodieuse sans hésiter à introduire des harmonies surprenantes et des moments techniques, bref, à trouver un équilibre réellement impressionnant. On entre dans leur œuvre comme bercé par les caresses d’une forêt aussi semblable à un havre qu’elle peut être inquiétante, on s’y épanouit sans jamais éviter la surprise.
Vous l’aurez compris, on tient ici un véritable chef-d’œuvre, addictif, jamais lassant, et absolument brillant. L’avenir du rock progressif est entre de bonnes mains, et la Norvège lui construit son nouveau royaume.