Gnidrolog
...In Spite Of Harry's Toe-Nail
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1- Long Live Man Dead / 2- Skull / 3- Peter / 4- Snails / 5- Time And Space / 6- Who Spoke / 7- Goodbye-Farewell-Adieu / 8- Harry's Toe-nail / 9- Smokescreen / 10- Saga of Smith and Smythe (1969) / 11- My Room / 12- Saga of Smith and Smythe (1971)
Si "mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde" (A. Camus), les frères Goldring ne semblent pas s’être attardés longtemps sur cette maxime pour lancer leur carrière musicale. D’abord pour choisir le nom de leur groupe, qu’ils forment en 1969 avec Nigel Pegrum (batterie) et Peter Cowling (basse), Stewart (guitare) et Colin (guitare, chant, instruments à vent) inversent simplement leur nom de famille et changent l’ordre du "d" et du "r" (en ajoutant un "o") pour trouver Gnidrolog, un terme qui sonne celtique ou elfique si l’on veut, en tout cas qui est bien adapté au rock progressif. Ensuite, l’anecdote veut que le groupe se soit creusé la tête en vain à coup de brainstorming pour trouver un très bon titre à leur premier album, qui finit par s’intituler In Spite of Harry's Toenail. Il s’agit d’un hommage au père des jumeaux qui ne croyait pas en leur carrière musicale et qui, s’il avait vécu, leur aurait botté le cul en y laissant un ongle d’orteil (source : témoignage d’Eve Diamond dans le livret de l’édition cd Audio Archives de 1999). Ainsi, comme un parricide post-mortem, Gnidrolog est sur scène et sur sillons.
Gnidrolog fait partie des multiples formations progressives anglaises du début des 1970’s restées dans l’obscurité tout en ayant fait preuve d’un véritable talent et d’une œuvre solide, cause et conséquence d’un destin éphémère - le combo se séparant dès 1972, la même année où il sort deux albums assez brillants.
Leur rock progressif est torturé, expérimental et complexe, aux orientations esthétiques multiples et insaisissables. Ainsi, "Long Live Man Dead" s’ouvre violemment, avec des accords heurtés et un chant agressif à la Peter Hammill. Néanmoins, au sein des multiples variations que propose ce titre, on perçoit que Van der Graaf Generator n’est pas l’unique inspiration et que Gentle Giant est de la partie : la présence d’instruments à vent (notamment la flûte), de doux plans répétitifs ou encore l’inclinaison folk (dans la seconde partie du titre notamment) illustrent cette école stylistique. Le sinueux "Snail", enroule les notes dans une structure en colimaçon, tantôt jazzy, tantôt d’une raideur crimsonnienne, toujours avec ce ton britannique à la Gentle Giant (surtout au chant). Au-delà des ruptures rythmiques et des phases électriques, l’expérimental "Time and Space" brille de ses incrustations folkloriques, presque Renaissance à la Gryphon en introduction. D’ailleurs, dans une toute autre perspective, Gnidrolog propose de petites pièces folks assez légères comme "Peter" ou le picking "Who Spoke" qui apportent de la respiration à l’ensemble par leur simplicité. De même, le final "In Spite of Harry’s Toenail" a, dans un premier temps, davantage les allures d’un slow avec un solo classique du rock des 1970’s, puis dans un second temps bascule sur un blues-rock improvisé.
De l’humour monty-pythonesque dans les choix du nom ou des titres à la complexité des compositions, Gnidrolog illustre bien l’état d’esprit de la scène progressive anglaise qui produit une esthétique sérieuse tout en ne se prenant pas, justement, au sérieux. La pataphysique canterburyenne, le décalage de Gentle Giant, les thématiques de certaines pièces de Genesis et les deux opus de Gnidrolog montrent que les préjugés sur le rock progressif ont eu du mal à saisir ce genre musical de l’entre-deux, entre musiques savantes et populaires, entre grandiloquence et dérision. Et si le rock progressif était une nouvelle étape du grotesque, auparavant incarné par l’œuvre de Rabelais (l’auteur est une référence pour la scène progressive) et, histoire de trouver des racines britanniques, à Shakespeare selon la théorie hugolienne (Cromwell, 1827 – préface) ?
A écouter : "Time and Space"