Elbow
Giants of All Sizes
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Huitième album du groupe...huitième pépite.
Drôle de groupe et curieuse destinée pour les Mancuniens d'Elbow. Dans l'ombre pendant tout le début de leur carrière (le groupe existe depuis 1997), les Anglais accèdent enfin à la gloire en 2008 en obtenant le Mercury Prize et devenant par la même occasion prophètes en leur pays, en jouant en mondovision avec l'orchestre symphonique de Londres pour la cérémonie de clôture des JO en 2012.
Elbow est un groupe qui compte donc outre-manche avec pléthore de récompenses et nominations en tous genre, le tout dans un relatif anonymat ici en France, pas encore complètement tombée sous le charme néanmoins évident de la bande à Guy Carvey.
Pourtant, au rang des groupes à la discographie sans la moindre fausse note, ils ne sont pas nombreux à se bousculer. Car oui, Elbow depuis leur premier album Asleep in the back en 2001 nous propose des albums toujours ambitieux, lumineux, et racés. Leur réel envol date de 2008 et l'extraordinaire The seldom seen kid porté par le single "Grounds for Divorce", même si j'ai une nette préférence pour The take off and landing of everything, plus éthéré et parfait d'un bout à l'autre.
Little fictions, sorti 2 ans auparavant, sans être raté, comportait le défaut de ses qualités, à savoir des titres plutôt bons mais éclipsés par un titre inaugural absolument prodigieux "Magnificient (She says)".
Alors, qu'en est il de ce Giant of all sizes ? Premier faux pas des anglais ou confirmation qu'Elbow est un groupe incontournable de la scène britannique ?
Comme pour chacun de leurs albums, la première écoute est indolore, inoffensive, presque inutile mais on se garde bien de juger le disque sur une seule écoute tant on est habitués à ce tour de passe-passe des Anglais : ne pas tout dire, ne pas tout montrer tout de suite et laisser l'auditeur revenir de lui-même, se rapprocher et laisser la musique se découvrir peu à peu.
Et à ce petit jeu là, Elbow a eu le nez creux en nous mettant dès le départ "Dexter and Sinister" (premier single qui en dehors de l'album pouvait laisser de marbre), dont le riff d'introduction (toujours délicat d'appeler cela un riff, il s'agit d'Elbow hein, pas de Slipknot) nous rappelle le groove de "Grounds For Divorce". Un morceau dont la deuxième partie constituerait presque un autre morceau à part entière, entre le pont aérien et ces chœurs féminins (par la chanteuse folk Jesca Hoop ) en forme d'arabesques fichtrement bien senties.
A ce moment-là, on oscille entre franche excitation et vraie peur de se faire avoir comme sur l'album précédent et la prédominance du premier titre. L'inquiétude est balayée d'un revers de main car "Seven Veils" arrive, accompagnée de ses petites percussions subtiles, nous ramenant aux meilleurs moments de The take off and landing of everything. Ce titre, aussi doux qu'intelligent est une perle : entre les claviers à mi-parcours et cette petite ligne de cordes à 3 minutes, on fond littéralement, le tout sous la voix de Carvey qui nous enroule de toute sa chaleur. Car oui, ne nous le cachons pas, malgré le talent des musiciens, la beauté des compositions et des arrangements, c'est la voix de son leader qui tient le groupe à bout de bras. Une voix chaude, humaine, presque humaniste, réconfortante, qui est le véritable phare du groupe et de toute son oeuvre.
J'aime à rapprocher Elbow des américains de The National, les anglais étant presque leur versant luminescent. Si les américains sont plus torturés et leur musique plus mélancolique, on retrouve chez les deux formations un vrai goût pour l'esthétisme de leurs musiques, mises en lumière (ou en clair-obscur pour The National) par deux voix très fortes. D'un côté la voix de baryton désabusée de Matt Berninger ; de l'autre la voix pleine d'espoir de Guy Carvey.
Alors oui, Elbow c'est du rock un peu différent, les guitares distordues sont reléguées aux oubliettes, au profit d'arrangements poussés, clinquants mais jamais tape à l’œil. A une époque, Carvey aimait à définir Elbow comme du "rock progressif sans solo". J'imagine qu'il utilisait cette phrase davantage pour se définir '"en dehors des modes" (tout comme le progressif donc) que pour évoquer le prog comme une vraie influence tangible (même si Carvey se revendique comme fervent admirateur de rock progressif). Le quartet est bien plus pop (et donc bien plus accessible que The National), bien plus mélodique mais également bien plus direct que n'importe quel groupe de prog.
Et même si le groupe a manifestement changé sa façon de travailler pour cet album, Guy Carvey confiant au NME avoir enregistré en laissant plus de place à chaque chanson, sans forcément penser au liant entre elles, nous retrouvons dans ce huitième album ce qui fait la force d'Elbow au delà de la voix de son chanteur. Ballades faussement acoustiques (la sublime "The Delayed 3:15" et ses arrangements orchestraux de haute volée), des textes nettement au-dessus de la moyenne, et ses ambiances très bleutées difficilement explicables par des mots ( "My trouble").
Et puis le groupe sait aussi nous surprendre, avec l'intro de "White Noise White Heat", étonnamment tranchante et aux faux airs de B.O de Western à la Ennio Morricone. Un morceau qui ferait sans doute mouche en ouverture d'un show (si tant est que le groupe fasse le détour en France un jour..). Et même si c'est pour nous mettre sur une mauvaise piste, "White Noise White Heat" se veut "détonnant" à plus forte raison entre deux morceaux bien plus apaisés.
Les anglais frappent donc un grand coup et nous asséneront le coup de grâce avec le dernier titre "Weightless", bouquet final d'une splendeur rare avec même une esquisse de début de solo de guitare (fait rarissime chez Elbow).
Vous l'aurez compris, malgré une durée un peu courte (moins de 40 minutes au compteur) nous sommes (de nouveau) face à un grand disque, ni difficile d'accès, ni complètement dans les "standards" du rock actuel, confirmant la discographie scintillante et éclatante d'un groupe qui ne l'est pas moins.