La question se pose inévitablement : le leader d'une formation se doit-il de se démarquer de son groupe à l'heure de son premier effort solo ? Qui plus est si la formation en question,
The Killers pour les nommer, est à la fois un monstre commercial et un ovni kitch-disco-rock qui, n'en déplaise aux détracteurs, a pondu trois albums qui n'ont quasiment aucune filiation avec quelque icône de l'histoire du rock. Un groupe novateur plus que génial donc, dans lequel il était difficile de quantifier l'influence de son frontman Brandon Flowers. Mais la question initiale est quelque peu faussée, simplement parce que la plupart des titres présents sur ce
Flamingo étaient destinés au quatrième opus de la bande du Nevada. Lorsque les trois autres tueurs ont voté la pause à durée indéterminée, Brandon s'est retrouvé avec plusieurs bons titres sur les bras et personne pour les jouer. Et ironie du destin, voilà qu'il se lance dans une carrière solo avec du matériel estampillé Killers, sans réellement l'avoir appelé de ses vœux.
Attardons-nous donc sur cette production sans juger de ses antécédents de coulisses ni sans exalter des préjugés potentiellement peu flatteurs propagés par l'intelligentsia rock à l'encontre du quatuor. Car ce
Flamingo possède les armes pour se défendre. Et la première demeure la personnalité de son dandy mormon de compositeur-interprète. On le savait plus porté sur la pop anglaise des eighties que sur le rock de ses compatriotes, plus New Order et Pet Shop Boys que
Nirvana et Red Hot Chili Peppers, mais étrangement c'est le spectre de Bruce Springsteen qui hante les dix titres de
Flamingo. Mais un Boss en pattes d'eph, un Boss des synthés disco et un Boss de la voix fluette. Flowers se découvre une force profondément terrienne, une science du refrain qui casse la baraque et une qualité de story-teller entrevue lors des deux premiers albums des Killers. "Jilted Lovers & Broken Hearts" symbolise cette influence Springsteen, titre personnel et d'une sincérité dont on n'oserait douter, standard country allumé d'un refrain explosif qui rappelle les groupes favoris du jeune Brandon. De nombreux titres sont forgés dans le même moule, une forte implication émotionnelle, des souvenirs d'enfance et une progression constante. Le single "Crossfire" par exemple ou la très bonne intro "Welcome To The Fabulous Las Vegas" empruntent cette voie théâtrale de bon aloi. On ne pouvait cependant pas imaginer un tel album sans titres plus lents, fondus de mélodrames dégoulinant et de voix qui tremblent et, comme des plaisirs coupables, ils se laissent étrangement apprécier entre deux brûlots de bal de promo. "Playing With Fire" et "On The Floor" naviguent à flot et s'il faut se féliciter qu'ils ne soient que deux, ne dénaturent en aucun cas l'ambiance et la qualité d'ensemble de l'album.
Pour répondre à la question initiale, à savoir si Flowers a dû ou non se démarquer de l'étiquette de son groupe, la réponse demeure floue. Il est aisé de supposer que le traitement des titres aurait été différent avec la bande au complet,
Flamingo est bien plus personnel et avouons-le, un peu plus simpliste que l'habituel Killers. Les références bibliques chères au mormon sont légion, envoyez-vous un verre de cognac à chacune d'entre elles et vous passerez la nuit à la clinique. De plus, on ressent
Brandon Flowers décomplexé, plus prompt à parler de lui-même et à laisser sa voix d'adolescent se développer, notamment lors des refrains. Le duo "Hard Enough" avec Jenny Lewis, chanteuse de Rilo Kiley, l'illustre, les deux voix s'entrelacent dans des cavalcades d'onomatopées pour un rendu kitch et grossier, mais impressionnant de teneur émotionnelle et de rythme. C'est donc un album à déguster comme une guimauve chaude ou une énième rediffusion de
Love Actually, bas-du-front mais haut en couleur, tantôt lourdingue et tantôt touchant, sans jamais tricher ni tenter d'être autre chose que ce qu'il est. Un album appréciable, simplement.