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New Order : trente-cinq ans de règne sur les dancefloors


Collectif, le 08/10/2015

Power, Corruption & Lies


Mai 1983


Il est de notoriété commune que les 80’s ont été une décennie catastrophique pour le rock, les détracteurs de cette période pointant notamment du doigt la new wave, ses chanteurs au look gothique improbables, ses claviéristes pianotant des gimmicks avec un seul doigt en se trémoussant comme des ânes et ses percussions informatiques, sèches et débilitantes. Si on ne saurait aisément leur donner tort, on peut néanmoins se hasarder à quelques exceptions, et les partenaires de feu Ian Curtis en font incontestablement partie. Et ce pour une principale raison : leur extraordinaire capacité à se renouveler et à se réinventer eux-mêmes, poussés par la nécessité de se défaire de l’encombrant fantôme de Joy Division. A ce petit jeu, Power, Corruption & Lies signe non seulement une éblouissante transformation, mais aussi l’un des disques les plus innovants et enthousiasmants de l’époque.


Pas si simple de succéder à un groupe culte, et New Order l’a appris à ses dépens en essuyant des critiques plus que tièdes pour son premier album, Movement. Pris au dépourvu par le suicide de Curtis, les trois gaillards restants n’étaient pas prêt à assumer un tel fardeau. C’est déboussolés et hébétés qu’ils ont accouché de ce premier disque mené souvent en dépit du bon sens, mélangeant quelques morceaux prévus à la base pour Joy Division et des improvisations bricolées à l’arrache. A l’époque, la confusion de l’équipage est telle que le choix de Bernard Sumner pour tenir le poste laissé vacant par le grand épileptique taciturne arrive presque comme un cheveu sur la soupe (il est longtemps question que Peter Hook se charge du micro). Movement, s’il ne s’agit pas d’un disque totalement raté, donne une impression de fouillis, de pistes instrumentales inutilement complexes et étirées, d’une tracklist subie plutôt que voulue, mais souffre surtout de la comparaison avec les cultissimes Unknown Pleasures et Closer dont il ne s’éloigne pas suffisament. Beaucoup ne voient dans cet authentique album de transition qu’un disque raté des membres survivants de Joy Division qui, privés de leur muse noire, voulaient siphonner son héritage.


Néanmoins, le groupe peut compter sur le très bon répertoire scénique de l’ex Division de la Joie qui lui a ouvert les portes des amériques. Et c’est à New York, dès 1981, que New Order entrevoit une porte de sortie en fréquentant les clubs branchés de l’époque : l’électronique de David Bowie, de Kraftwerk, de Giorgio Moroder. Évidemment, il serait ridicule d’affirmer que le groupe effectue à ce moment-là sa mutation électronique de but en blanc : Closer, déjà, introduisait des synthétiseurs, et Movement en employait même encore davantage. Mais c’est moins dans l’instrument lui-même que dans l’utilisation qui en est faite que la césure s’opère véritablement à cette période. Donc, après quelques mois de travail et d’imprégnation, le fruit de cette synthèse entre l’héritage cold wave de Joy Division et la synth-pop naissante trouve sa pleine réalisation dans le cliquetant "Temptation" avec son binaire proto-industriel et ses claviers tremblottants, mais surtout dans “Blue Monday”, gigantesque single de plus de sept minutes sur lequel la fracture d’avec leur ancien groupe apparaît on ne peut plus criante. Remuant, dansant, aliénant, terriblement addictif, le Lundi Bleu devient en un rien de temps le single indie le plus vendu de tous les temps. New Order est véritablement né avec ce 7'' phénomène qui n’apparaît sur aucun de leurs albums studios (tout comme "Temptation" d'ailleurs, une particularité que le groupe affectionnera encore quelques temps par la suite), et dès lors, la voie à une nouvelle carrière leur est toute ouverte.


Power, Corruption & Lies est la suite logique de cette fantastique ébullition créative. L’Ordre Nouveau tourne définitivement le dos à son ancien chanteur iconique - Sumner se détache maintenant du timbre d’outre-tombe de Curtis - tandis que la petite dernière, Gillian Gilbert, cristallise le volte-face synthétique de la nouvelle formation et prend réellement sa place de quatrième membre. Autre mesure symbolique, les anglais décident de se passer des bons soins de Martin Hannett qui avait jusqu'ici produit les deux albums de Joy Division ainsi que Movement et d'assurer eux-mêmes la mise en boîte de leur nouveau-né en gestation. Mais alors que nombre d’acteurs synth-pop de l’époque se contentent de s’engouffrer jusqu’à la lie dans cette nouvelle technologie au point d’en faire (très) rapidement le tour, New Order a l’intelligence de ne pas se mettre d’oeillères, de ne pas renier complètement son passé et de se montrer parcimonieux, curieux et inventif. Il existe donc un réel équilibre dans ce rock encore en voie de débroussaillage, un équilibre qui respecte au maximum le sacro-saint trio guitare - basse - batterie tandis que le synthétiseur, loin de voler la vedette aux trois autres, ajoute simplement sa pierre à l’édifice. Mais cette redistribution des cartes est importante car, au sein de ce questionnement incessant, chaque membre de la formation réapprend à amadouer son instrument, Sumner en se livrant plus que de raison à un jeu sec fait de courtes giclées de six cordes (il faut dire aussi qu’il a encore beaucoup de mal à chanter et à jouer en même temps à l’époque, ceci expliquant sans doute cela), Morris en délaissant parfois complètement ses fûts pour tenter d’apprivoiser ses toutes nouvelles boîtes à rythme, et Hook en réinventant son jeu de basse de sorte à tenir la dragée haute au clinquant des claviers de Gilbert. Le style de jeu de Peter Hook n’a strictement plus rien à voir avec la palette qu’il utilisait chez Joy Division, abandonnant souvent son registre habituel pour attraper des notes plus aiguës sur lesquelles les lignes mélodiques se lovent en harmonie avec le chant. L’exemple type de cette nouvelle donne se voit cristallisée dans “The Village”, mélange idéal des quatre instruments qui, sur des partitions légères et sautillantes, s’entremêlent à la perfection sans prendre un quelconque ascendant les uns sur les autres. Un morceau-fusion qui prédispose la future oeuvre d’un groupe en parfaite osmose.


Parachevant encore davantage cet aspect de défrichage et d’exploration de nouveaux horizons sonores, New Order conçoit un album qui s’axe autour de deux principales caractéristiques aussi atypiques que complémentaires : l’absence totale de refrains et la mise en avant de motifs mélodiques répétés en boucle qui servent de socle à chaque morceau. Point d’orgue de ce paradigme, “5-8-6” réalise certainement le meilleur hymne de ce jeune Ordre Nouveau joueur et curieux. La courte introduction synthétique de gorge profonde, lente et bizarroïde, n’est là que pour mettre sur orbite une trépidante ligne de basse gigoteuse sur laquelle bondit un clavier tout bonnement intenable sur fond de boîte à rythme binaire giflant tout ce qui passe. Plus de sept minutes, là encore, de danse effrénée, de redondance aliénante, de grâce mélancolique. Dans le même ordre, le non moins formidable “Ultraviolence” use de la même formule, mais cette fois-ci ce sont les percussions, cinglantes, tribales, asphyxiantes, qui créent la transe, bien aidées en cela par des rythmiques synthétiques au diapason, et là-dessus la guitare de Sumner n’a plus qu’à cracher sa frustration tandis que chanteur et bassiste se répondent l’un à l’autre en permanence. Félicité futuriste, enfin, sur le visionnaire instrumental “Ecstasy” qui nous embarque dans un trip entêtant soutenu cette fois-ci par une batterie organique, la synthèse ne se faisant que sur quelques effets de vocoder lointains. Avec un tel morceau, New Order prend d’emblée dix ans d’avance sur toute une concurrence avide d’agiter les dancefloors. Nous sommes en 1983 lorsque l’album sort, et à bien y réfléchir, il y a là une force d’anticipation aussi stupéfiante qu’irrésistible.


Pour autant, Power, Corruption & Lies ne renie pas totalement son héritage cold wave, à l’image des deux morceaux encadrant le disque, l’introductif “Age of Consent” et le conclusif “Leave Me Alone” que l’on aurait bien vu en bonne position sur un hypothétique quatrième album de Joy Division si Ian Curtis n’avait pas mis fin à ses jours et s’il avait chanté sur Movement. Deux titres faisant la part belle à un rock dense et glacé, même si le premier cherche à sortir la tête de l’eau et à regagner la lumière, attiré vers la brillance par les attaques de clavier enveloppantes de Gillian Gilbert. Le second, en revanche, réalise une curieuse conclusion à ce disque majoritairement enlevé en égrenant un mal être prégnant, agacé, maladroit, à l’image d’un Bernard Sumner dont la voix enchaîne les descentes de gammes pour finir par se percher dans un aigu fragile. De l’obsession, on en retrouve encore dans le vaporeux “We All Stand”, avec ses paroles minimalistes (“I’ve got three miles to go / At the end of the road / There’s a soldier wainting for me”) et ses cordes stuporeuses qui nous emportent dans un lent voyage aussi ahuri qu’irréel. On s'attardera moins, en revanche, sur “Your Silent Face” qui explore une musique électronique plus béate, avec des nappes de claviers plus traînantes, plus appuyées et fatalement moins ensorcelantes, même si on ne saurait résumer ces six minutes d’odyssée nonchalantes aux nouvelles technologies de l’époque, car là encore, basse, guitare et batterie parviennent régulièrement à se faire une place sous les spotlights, accueillant en leur sein un harmonica sensé représenter le contrepoint des claviers. Un titre néanmoins longuet et, disons-le clairement, nettement moins bon que les autres.


Soyons clairs, Power, Corruption & Lies est une oeuvre majeure, l’une des pierres fondatrices de la dance music, la passerelle entre la cold et la new wave, et certainement l’un des albums les plus réussis de sa décennie. Nombreux seront ceux qui lui préféreront son successeur, le so eighties Low-Life, certes plus abouti mais plus convenu, plus accessible mais plus formaté dans un moule que New Order fera encore sauter dès le disque suivant, Brotherhood. De notre côté, on ne peut que vous encourager à vous repaître de cette oeuvre qui reste encore parfois maladroite dans ses tentatives de passage à l’âge adulte, mais dont les aspérités, les fêlures, les imperfections formelles se montrent d’autant plus attachantes.


Nicolas


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