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Chronique Cinéma

All Things Must Pass -Episode 3


 


 
"Episode 3 – La faute à Woody"
Daniel, le 24/04/2023
( mots)

All Things Must Pass

Je suis venu au monde en février 1958, dix mois avant que le rock ne fête ses trois années d’existence.

Durant les années soixante, j’ai vécu (dans le désordre et parfois sans le savoir) en compagnie des Beatles et des Rolling Stones, de Bob Morane et de Bob Dylan, des mini-jupes de Mary Quant et des parkas M51 des Mods, de P.K. Dick et A.E. Van Vogt, des premiers délires de Pink Floyd et de la boue de Woodstock, du mur de Berlin et de la peur maladive de l’atome.

A l’instar de tous les êtres âgés, je ressens de plus en plus souvent l’envie de partager / transmettre certains souvenirs (rock en l’occurrence). C’est comme si une alarme s’était mise à résonner dans mon vieux cerveau. Ce sont peut-être simplement des acouphènes. Je ne sais pas.

Est-ce que tout cela est vraiment vrai ? Difficile à dire. Depuis le début du XXIème siècle, les scientifiques soutiennent que le fait de se souvenir de quelque chose rend le souvenir en question labile, fragile et vulnérable aux interférences…

En d’autres termes, le souvenir est un « sachet de frites – mayonnaise ». Les frites sont la vérité ; la mayonnaise incarne cette petite (ou forte) dose de mauvaise foi qui donne du goût à la vérité.

Episode 3 – La faute à Woody

Date : au temps des seventies
Lieu : Tihange - Belgique

Contexte culturel

Woody Guthrie avait écrit, bien en vue sur la caisse de sa guitare acoustique : "Cette machine tue les fascistes". Il a suffi de cette phrase définitive pour que les petits rockers imaginent qu’ils pourraient changer le monde (ou la société) par la grâce d’une chanson.

Le rock (au sens très large) a donné naissance à des protest songs plus ou moins sincères et plus ou moins énervées :

•    en 1963, Joan Baez reprend miraculeusement "We Shall Overcome" du Révérend Tindley (le titre avait déjà été popularisé par Pete Seeger) pour conduire le grand mouvement des droits civiques aux USA ;

•    la même année, Bob Dylan prophétise la fin atomique du monde avec "A Hard Rain’s Gonna Fall" ;

•    dans sa version live captée à Woodstock en 1969, "I Feel Like I’m Fixin’ To Die Rag" de Country Joe McDonald reste un exemple archétypal du chant anti-guerre du Vietnam ;

•    à l’inverse, mais toujours en 1969, John Lennon enregistre "Give Peace A Chance", mètre-étalon du titre pacifiste faisant écho au "Revolution" des Beatles qui n’était pas un titre révolutionnaire mais déjà un appel au calme (à la résignation ?) ;

•    en 1969 (encore et toujours), Elvis Presley enregistre "In The Ghetto", le seul titre politiquement engagé de toute sa carrière . Le texte explique comment un enfant né et élevé dans la misère du ghetto va reproduire inéluctablement un cycle de violence antisociale ;

•    en 1969 (une vraie épidémie), John Fogerty compose le violent "Fortunate Son"  pour dénoncer l’imbécilité congénitale des jeunes friqués qui ne s’engagent pas et qui feignent d’ignorer les horreurs vécues par les soldats au Vietnam. Le titre est spécialement dédié au vilain couple, réactionnaire et médiatique, composé alors de la fille de Nixon et du petit-fils d’Eisenhower ;

•    en 1970, écœuré par une fusillade qui a tué quatre étudiants pacifistes (Alison, Jeffrey, Sandra et William) sur un campus universitaire, Neil Young s’en prend frontalement à Richard Nixon et à ses ignobles petits soldats. Le titre particulièrement rageur – "Ohio" – est bouclé en quelques prises. L’émotion est telle dans le studio que David Crosby éclate en sanglots ;

•    en 1972, "Get ‘Em Out On Friday" permet à Genesis d’extérioriser la rage qu’inspire à Peter Gabriel l’expulsion des miséreux de leurs logements sociaux le vendredi en fin de journée. Les tribunaux où ils pouvaient aller se plaindre étaient en effet fermés durant le week-end ;

•    en 1975, Bob Dylan (le retour) va sortir "Hurricane" pour soutenir le combat du boxeur noir Robin Carter, accusé injustement de meurtre. Le titre, sublimé par le violon de Scarlet Rivera, était tellement long qu’il couvrait les deux faces d’un 45 tours (fade out en fin de face A et fade in en début de face B). La vague de protestation qui a suivi a conduit à la libération de Carter qui finira par admettre qu’il n’était pas vraiment innocent. Bon Dylan n’a plus jamais joué le titre sur scène ;

•    en 1980, Peter Gabriel publie "Biko", un puissant manifeste tribal, dédié à la mémoire de Steve Biko, un militant anti-apartheid assassiné dans sa cellule par le régime Sud-Africain. Le titre mettra le feu aux poudres. Le régime sera aboli en 1991 après un combat politique acharné et des manifestations dont la chanson emblématique de ralliement était… "Another Brick In the Wall" de Pink Floyd ;

Il existe des dizaines d’autres exemples, réussis ou foireux, (U2, Bruce Springsteen, Patty Smith, Rage Against The Machine, Bob Marley, The Rolling Stones, The Sex Pistols, The Clash, …) Le but n’est pas d’établir une liste exhaustive. Le dernier titre estampillé protest-song en date est "Hey, Hey, Rise Up !" de Pink Floyd en 2022.

Alors, est-ce qu’une chanson peut vraiment avoir un pouvoir magique ?

Hockety pockety wockety wock !
Abracabra Dabranak !

Histoire vraie : Atomkraft ? Nej tak !

En 1945, la bombe atomique a pétrifié le monde entier, engendré Godzilla et généré la guerre froide.

Puis, des savants à lunettes et cache-poussières blancs ont expliqué à tous les béotiens que la fission nucléaire "civile" était en réalité notre meilleure amie. Durant les années soixante, les gouvernements des pays industrialisés (démocratiques ou non) ont imposé cette énergie éternelle, propre, vertueuse et inoffensive. Ce qui a permis à l’humanité de franchir un pas de géant vers sa propre perte.

Epouvantées par l’atome, les populations les plus directement concernées (1) se sont rebellées. Et cette rébellion est forcément passée par le rock.

En 1969, les travaux de construction de la Centrale de Tihange débutent près de la petite ville de Huy, en bordure de Meuse, presque au milieu de la Belgique. Pile-poil au-dessus d’une faille géologique d’envergure, c’est-à-dire selon une configuration totalement déconseillée par les manuels élémentaires destinés aux horribles petits chimistes.

La frange dure des babas-cools (post mai ‘68 et post-Woodstock) se mobilise contre le projet. Comme peuvent se mobiliser les babas, c’est-à-dire en s’asseyant dans l’herbe humide pour jouer de la guitare acoustique et partager des cigarettes qui font rire. L’imagerie est forte : Citroën 2 CV vertes, cheveux longs et gras, barbes en broussaille (pour les garçons), robes violettes (pour les filles), sandales en cuir, sacs de GI en bandoulière, parfum au patchouli, bâtons d’encens made in India, foulards colorés et lunettes rondes comme John Lennon…

Pour créer des liens avec les frères et sœurs de lutte des pays voisins, un slogan parfait est créé au Danemark par la jeune étudiante Anne Lund : "Nucléaire ? Non, merci !" C’est poli, simple, ferme, pacifique, positif et définitif.

La phrase (qui se décline aisément dans toutes les langues) est imprimée en noir sur des autocollants représentant un soleil orange (énergie alternative) qui sourit à la vie sur un fond jaune. Une merveille à coller sur le capot de la deuche que l’on croirait avoir été dessiné rien que pour ça.

Dans la région de Huy, la lutte va être féroce. Jusqu’à créer une radio libre militante (2) qui émettra clandestinement depuis les sous-bois. Mais il n’y aura jamais d’affrontements. Pas d’armes. Juste des chants, des slogans, du cannabis et des fleurs.

Il manquait aux manifestants locaux une chanson mémorable pour déclencher la révolution ! C’est Pollen, un groupe de folk-rock local un peu obnubilé par les Beatles, qui va décrocher la timbale avec le magnifique "Ry d’Oxhe". Ecrit par Michel Maréchal, le titre est un mid-tempo électroacoustique chanté en français avec un délicieux petit accent wallon (3). Il décrit le destin tragique d’un ruisseau qui, naguère encore, dévalait en chantant la colline verdoyante pour se jeter dans la Meuse limpide. Par amour. C’était le bon temps. Le temps d’avant. Le temps des parents. Le pauvre petit cours d’eau, canalisé de force, a disparu sous le site de la centrale de Tihange pour devenir un sinistre égout nucléaire balisé en surface par des arbres métalliques. Tayadadam !

Dans la folie du moment, le groupe décide de sortir un album. L’opus portera le même nom que son manifeste.

Le 33 tours Ry d’Oxhe (réf. Béo 780101 CF - MD 0017) est une aventure périlleuse et onéreuse. C’est sous la forme un peu compliquée d’un septet à géométrie variable que Pollen prend ses quartiers dans le studio MD (4) près de Liège. Neuf titres sont mis en boîte. Le temps a rendu la plupart des chansons peu audibles. A l’exception de la plage titulaire. Parce qu’elle est chargée de l’histoire d’un combat.

Toutes les tirelires sont cassées pour réunir les fonds nécessaires à la gravure du vinyle. La pochette, victime des aléas économiques, est d’une rare sobriété et reste assez avare en informations.

Le disque sort dans l’indifférence générale. Il n’y aura pas de distributeur, pas de tournée mondiale, peu d’interviews et guère d’articles de presse. Il restera des souvenirs et quelques dettes. Et la centrale.

Alors, oui, les babas ont vieilli. Ils ont perdu leurs cheveux (et leur manie de rester assis dans l’herbe humide). Ils ont balancé leurs 2CV à la casse. Ils se sont mariés, sont devenus pharmaciens, illustrateurs, journalistes, circassiens, chômeurs, garagistes ou morts. Certains ont déménagé derrière la colline pour ne plus voir la centrale. Leurs enfants et leurs petits-enfants s’en foutent. C’est une usine comme une autre dans leur paysage. Juste moche.

Il n’y a jamais eu d’autre album de Pollen. En revanche, il y a eu quelques désastres : Three Mile Island, No Nukes, Tchernobyl, Tricastin, Fukushima, …

Le 15 avril 2023, l’Allemagne voisine débranche son réseau de centrales nucléaires. Il reste simplement quelques centaines de tonnes de déchets radioactifs à gérer.

Contexte culturel (suite et fin)

Que sont les chansons révolutionnaires devenues ? Qui composera un titre fatal contre la réforme des pensions, contre ceux qui détruisent le monde ? Quel Robert Johnson jouera le "Gilet Jaune Blues" ?

Et qui se souvient encore des paroles de "Ah ça ira !" ? Ce ne sont pas les aristocrates (politiques, people ou économiques) qui manquent au XXIème siècle. Mais peut-être n’y a-t-il plus de lanternes…

Dommage.

(1) Par "populations directement concernées", il faut entendre ceux et celles qui voyaient les tours de refroidissement depuis leur fenêtre. Les autres n’ont guère bronché. Même ceux qui habitaient plus loin dans la vallée (sous les vents d’Ouest dominants) et qui étaient tout autant menacés par un incident nucléaire. Comme de coutume. Le gouvernement belge a promis de distribuer des pastilles d’iode à toute la population On en rit encore Les médicaments ont mis 50 ans pour arriver dans les pharmacies.

(2) Radio Bassinia a été un épisode déterminant de mon existence. Je ne me souviens que des pseudonymes "clandestins" que nous utilisions sur antenne : Billy, Concombre Masqué, Colargol, Corbeau 12, Dédé, Docteur Futurity, Hector (le rat de l’espace), Hubin, Nordine, Petit-gravier, …

(3) En Belgique francophone, on dit "nuclé-hier". Et "oufti, non merssai !" Par exemples.

(4) Michel Dickensheid mériterait qu’une statue colossale soit érigée pour célébrer son altruisme rock, sa patience infinie, son extrême compétence, sa barbe fleurie et sa gentillesse. Tous les petits rockers ont une dette envers Michel et sa table de mixage.

 

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