The Smile
Cutouts
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1- Foreign Spies / 2- Instant Palm / 3- Zero Sum / 4- Coulours Fly / 5- Eyes & Mouth / 6- Don't Get Me Started / 7- Tiptoe / 8- The Slip / 9- No Words / 10- Bodies Laughing
Plus nous approchons de décembre, plus 2024 semble se confirmer comme un cru exceptionnel pour le rock en général. Du côté de la rédaction, ce sont déjà plus de 90 albums qui ont été chroniqués et la tendance ne semble pas faiblir au vu des quelques grosses sorties encore annoncées avant la clôture annuelle.
Après la réception en janvier de l’excellent Wall of Eyes, probablement destiné à figurer parmi de nombreux tops de fin d’année, nous ne nous attendions certainement pas à un retour si prématuré de The Smile dans le rang des nouveautés, et cette doublette constitue une énième preuve du regain de vitalité de notre genre préféré. Issu des mêmes sessions d’enregistrement que son prédécesseur, Cutouts, le troisième album de l’une des associations les plus excitantes du moment, semble enfin réussir à outrepasser l’étiquette “side-project de Radiohead”, qui semblait jusqu’à lors indissociable de la personnalité du trio.
Là où Thom Yorke, Jonny Greenwood et Tom Skinner (que l’on ne présente plus) auraient pu se contenter de joindre bout à bout des fragments de chutes studio, c’est, pour notre plus grand plaisir, une production indépendante et bien à part qui se glisse entre nos oreilles. Et en plus de constituer une pièce remarquable dans le grandissant répertoire du groupe, il parvient également à accroître encore un peu plus notre engouement. Laissant comme à leur habitude libre cours à leurs folies créatives, sans s’imposer de contraintes stylistiques particulières, The Smile mènent ici leur art-rock bien à eux dans un registre moins tortueux, et trouvent en somme le juste équilibre entre expérimentations sonores et accessibilité d’écoute. La densité des huit titres de Wall of Eyes qui pouvait au premier abord décourager les auditeurs les moins patients, se dilue dans un ensemble bien plus léger, mené par une majorité de titres faciles d'accès à la structure plus ou moins définie.
C’est ainsi que notre enthousiasme se laisse instantanément emporter par les fabuleuses lignes pentatoniques de “Eyes & Mouth” et ses accords plaqués au piano, par la basse maligne de “No Words” (l’une des meilleures lignes de l’année ?), le funk hybride de "The Slip" ou la clinquance du saxophone et les cuivres en pagaille de “Zero Sum”, plus courte piste de l’album. L’émerveillement est total à la découverte de cette nouvelle facette dansante, Tom Yorke se dotant derrière le micro d’un groove inattendu. Les surprises sont nombreuses dans le déroulé de ce nouveau cru, “Coulours Fly” en tête, jouant de ses lignes microtonales orientalisantes empruntées à nos chers amis de chez King Gizzard and the Lizard Wizard, la clarinette basse renforçant d’autant plus cette atmosphère mystique captivante.
Bien qu'essayant d'élargir leur palette sonore, le trio ne remanie pas intégralement sa partition. On retrouve ici, et avec bonheur, les atmosphères plus planantes et intimistes mises en place sur les précédentes productions, “Foreign Spies” placé en pole position, adaptant une partition symphonique composé par Greenwood en 2019. Quand il s’agit d’aller extraire le caractère organique de la symphonie, il semble évident que celui-ci reste le mieux placé pour toucher notre corde sensible à coup d’archets ou d’instruments à vents, se prêtant à merveilles aux compositions les plus imagées. On citera ici “Instant Palm” ou le dramatique “Tiptoe”, qui allie cordes dramatiques et délicate ritournelle innocente délivrée par York, atteignait véritablement les sommets lorsque l’ad libitum se voit agrémenté de quelques lignes de piano du plus bel effet.
Malgré les quelques redondances évidentes (évoquons entre autres la progression chromatique de “Eyes & Mouth” rappelant “Thin Thing” ou “Under Your Pillow”, avant de se diriger vers des horizons bien plus dansants et lumineux), la paire Wall of Eyes / Cutouts qui évoque inévitablement la période de folie créative Kid A / In Amnesiac n’a clairement pas à rougir. Thom Yorke l’avait annoncé, The Smile priorisera la régularité au détriment du niveau de perfection atteint par les (trop rares) disques de Radiohead. Si le groupe continue effectivement sur cette lancée tout en maintenant cette cote de pertinence artistique, leur répertoire va rapidement commencer à donner le tournis et le projet risque de devenir l’un des principaux actes marquants des années 2020. En attendant, ce n’est pas la sublime conclusion qu’est “Bodies Laughing”, naviguant avec apaisement entre folk lunaire et chamber pop, qui comblera notre impatience et notre excitation à l'idée de découvrir la suite des pérégrinations de nos trois loustics, qui n'ont définitivement pas fini de nous surprendre.
A écouter : “Zero Sum”, “No Words”, “Bodies Laughing”