The Pineapple Thief
Variations on a Dream
Produit par Bruce Soord
1- We Subside / 2- This Will Remain Unspoken / 3- Vapour Trails / 4- Run Me Through / 5- The Bitter Pill / 6- Resident Alien / 7- Sooner or Later / 8- Part Zero / 9- Keep Dreaming / 10- Remember Us
A quel moment un artiste se rend-il compte qu’il vient de produire un album d’une valeur inestimable ? Ce genre d’album qui au premier abord peut paraître quelconque, mais qui recèle en réalité une richesse insoupçonnée. Chaque morceau y trouve sa place, et la moindre note ou variation d’intensité est en mesure d’atteindre des sommets de sensibilité. Un album pour lequel on apprend à aimer les défauts et qui gagne en intérêt à chaque nouvelle écoute. Une telle alchimie ne peut être préméditée, certains groupes ne parvenant jamais à l’atteindre. Ce moment de créativité propice où tout semble possible, Bruce Soord (l’homme derrière le projet Pineapple Thief) l’a trouvé dès son troisième album.
Avec Variations on a Dream, le style de The Pineapple Thief s’affirme en optant pour une approche plus atmosphérique - voire minimaliste (notamment au niveau des textes) - dissimulant une profondeur d’écoute stupéfiante. Autant dire que l’album est loin d’être immédiat et qu’il vous faudra être dans les bonnes conditions pour en déceler toutes les subtilités.
Comme son nom l’indique, nous embarquons pour une ambiance onirique, presque hallucinée. Dès les premières notes de "We Subside" nous sommes pris dans l’engrenage des ces délicates notes de cuivres marquant un tempo régulier. Avec sa guitare acoustique aux sonorités cristallines, Bruce Soord installe progressivement une atmosphère quasi hypnotique, projetant l’auditeur dans un état de sérénité et de quiétude. Dès lors, vous n’aurez qu’une seule chose à faire : lâcher prise complétement. Et pour cela, rien de mieux que les infinies boucles voluptueuses de "Vapour Trails", morceau jouant sur une répétition enivrante durant laquelle les sonorités finissent par se confondre, nous faisant peu à peu perdre toute notion du temps.
Sans être exceptionnels, des morceaux comme "Run Me Through" ou "Sooner or Later" (auxquels on préfèrera le très touchant et épuré "The Bitter Pill") ont le mérite de revenir à un format plus classique et direct, assurant une certaine continuité avec les opus précédents. On y retrouve encore une fois cette fusion de guitare acoustique et électrique si caractéristique du son de The Pineapple Thief (jusqu’au début des années 2010). Certains passages renforcent encore un peu plus l’affiliation avec Radiohead, notamment au niveau du chant parfois aigu et plaintif de Bruce Soord qui n’est pas sans rappeler celui de Thom Yorke.
Pour les amateurs du voleur d'ananas, difficile de passer à côté de "Part Zero", un des rares rescapés de la période pré Kscope (avant 2008) encore joué en concert par le groupe. Et pour cause, ce morceau a tout pour convaincre, même les plus sceptiques : une structure progressive complètement imprévisible déployant une construction instrumentale somptueuse. Avec ses breaks acérés, sa montée en intensité et son solo de guitare flamboyant, ce titre est en mesure de marquer durablement l’auditeur. Là est la grande force de la musique de The Pineapple Thief : sans crier gare, certaines mélodies s’immiscent peu à peu dans votre mémoire au point ne plus vous lâcher.
Bruce Soord ne semble pas toujours réaliser la portée de sa création, et se montre même plus que modeste : là où nous voyons un solo de guitare gracieux et inspiré, ce dernier préfère parler de simple "extension mélodique". Bien entendu, on trouvera de nombreux guitaristes bien plus adroits, mais rares sont ceux parvenant à atteindre une telle sensibilité en maniant l’iconique instrument à six cordes. Preuve en est, l’époustouflant "Remember Us", qui parvient à générer une véritable ascension émotionnelle, et ceci malgré un certain dépouillement instrumental. Cet imposant morceau de près de 16 minutes est en fait l’association de quatre pièces distingues s’entremêlant à la perfection grâce à un thème commun. Ce qui n’était à la base qu’un subterfuge - permettant à quelques créations supplémentaires d’exister - devient finalement un véritable trésor doté d’une construction prodigieuse. Plus étonnant encore, ce titre n’a quasiment jamais été joué en concert ! L’engouement des fans au fil des années a finalement permis à ce morceau d’obtenir une reconnaissance amplement méritée.
Bien plus concis et équilibré, Variations on a Dream marque également une évolution appréciable dans le style d’écriture de Soord. L’artiste britannique évite ainsi de surcharger ses albums (ce qui était un des défauts des précédentes réalisations) et parvient à créer une véritable cohérence d’ensemble. Pour faire face à une productivité toujours plus importante, Bruce Soord a désormais recours à des enregistrements annexes. Pour le plus grand plaisir des fans, la réédition de Variations on a Dream (chez Kscope) intègre un de ces disques bonus : 8 Days. Cette compilation, enregistrée en 8 jours (l’intitulé de chaque morceau reprend d’ailleurs cette chronologie : "Sunday 20th", "Monday 21st"…) est un bon moyen pour prolonger l’expérience et découvrir plusieurs pépites complètement inconnues (réservées jusqu’à présent à une poignée d’initiés).
Variations on a Dream se pose incontestablement comme la pierre angulaire de l’œuvre de Bruce Soord. Tout en donnant un coup d'accélérateur à son projet, l’artiste britannique parvient à transcender sa musique et à la pousser vers des sommets de sensibilité. A cette époque (en 2003), The Pineapple Thief est encore loin d’atteindre la notoriété et ne deviendra un groupe à part entière qu’à partir de l'album suivant. L’implication toujours plus importante de Soord au fil des années, permet peu à peu à ce petit chef d’œuvre méconnu de gagner ses lettres de noblesse.