Spiritualized
Sweet Heart Sweet Light
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1- Huh? (Intro) / 2- Hey Jane / 3- Little Girl / 4- Get What You Deserve / 5- Too Late / 6- Headin' for the Top Now / 7- Freedom / 8- I Am What I Am / 9- Mary / 10- Life Is a Problem / 11- So Long You Pretty Thing
Avec les années Spiritualized a acquis le statut de groupe culte, ce qui a quelque chose d’enviable. Le groupe est apprécié pour un chef-d’œuvre Ladies And Gentlemen, We Are Floating In Space et a même tourné en le rejouant dans son intégralité. Il a été pillé par The Brian Jonestown Massacre et surtout The Dandy Warhols. Mais cela ne présage pas qu’un bon disque puisse sortir du cerveau de son seul maître à bord, Jason "Spaceman" Pierce, qui a le courage d’admettre qu’il préfère composer de nouvelles choses même mauvaises plutôt que de se reposer sur son triomphe passé.
Jason Pierce est courageux, pour sûr. Envoyer d’entrée de jeu "Hey Jane", hommage non dissimulé à Lou Reed ("Sweet Jane") c’est tout simplement inespéré. Après 3 minutes de rock n’ roll velvetien tout en guitares bringuebalantes et fuzz envahissante, une coda chaotique dégueule ses larsens pour déboucher sur un rythme krautrock obsédant et apaisant, une illumination de chœurs. "Sweet heart, sweet light and love of my life" après le lucide et amer "Hey Jane where you’re going today ?/You broke my heart and you ran away". Pierce a abandonné le credo de son précédent groupe Spacemen 3 "taking drugs to make music to take drugs to". Quelques soient les éventuelles habitudes narcotiques de son architecte, Sweet Heart Sweet Light ne nécessite pas l’altération des sens pour pouvoir être apprécié, d’autant que les disques faits pour être écoutés sous influence sont rarement les plus aboutis. La pop/rock/gospel/soul/country/krautrock/blues/whatever de Jason Piece a beau demeurer très enfumée, elle reste parfaitement accessible car tournant toujours autour du schéma classique couplet/refrain.
L’exploration psychédélique la plus basique "Get What You Deserve" ressort le cliché des violons indianisés en provenance directe de Katmandou et reste étonnamment digeste grâce à une tension diffusée par les grésillements permanents de guitare qui transforment le titre en océan prêt à se déchaîner, ce qui ne manque pas d’arriver dans une explosion de larsens libérateurs. Mais alors que les termes "débauche" et "orgie" sont parfois utilisés pour décrire la musique de Spiritualized, on n’y trouve finalement pas vraiment trace de sexe. La transcendance sacrée oui ("Help me Lord, help me Jesus" sur "So Long You Pretty Thing"), des histoires de dope aussi ("There’s a hole in my arm where all the money goes") mais rien de très charnel. Il est surtout question d’amour, le surestimé Ladies And Gentlemen, We Are Floating In Space est d’ailleurs souvent vu comme la mise en musique de la rupture de Pierce avec sa donzelle du moment (1997). "It’s Too Late" sur Sweet Heart Sweet Light ne dit pas autre chose. Piano, orchestration de cordes qui jamais ne dégoulinent et surtout une beauté naïve qui n’est acceptable que de la part de Jason Pierce. Une chanson qui débute par "My momma said…" en révulserait plus d’un. Et qui au 21e siècle, après des décennies de chansons régurgitées par des dépressifs chroniques et des inadaptés émotionnels, peut sérieusement pleurer "Love lights the flame where there’s hearts it can burn" ? Sans doute quelqu’un à qui on n’a pas appris le cynisme et qui réactualise en toute candeur la tendresse déchirante de la meilleure country ("We Had It All" de Green On Red, au hasard) pour composer une grande chanson d’amour défunt et prouver qu’on peut encore croire en une musique qui assume ses clichés sans s’y vautrer. Cette musique reste digne même quand elle prend la forme d’un hymne hippie à l’adresse des générations arrivées après la bataille ("Freedom").
Jason "Spaceman" Pierce a foi en la musique rock au sens large et il chante son Gospel à la manière de Johnny Cash chez Rick Rubin. Il réinterprète des formes classiques (Blues, Soul...) pour les actualiser, des formes qui le guident vers son salut : "Jesus won’t you be my radio/Broadcast direction where I got to go". Les louanges se doivent d’être lucides sans verser dans le désenchantement. Ne pas être désabusé, ne pas perdre ses illusions, cela semble être la quête de Spiritualized sur le cotonneux "Mary" où la wah-wah étouffée et la batterie de coussins finissent par s’illuminer de flashs d’arrangements de cordes angéliques. C’est cette progression parfaite qui mène au climax optimiste et euphorique de la longue prêche "So Long You Pretty Thing" faite de banjo, d’orgue et de cuivres. Les exhortations de Pierce se font définitivement mystiques : "So long you pretty thing, God save your little soul ! The music that you played so hard ain’t on your radio". Avec une sincérité désarmante, la prière s’achève sur le Gospel, la bonne nouvelle: "And all your dreams of diamond rings and all your rock n’ roll can bring you sail on, so long!"
Alors qu’on avait pour habitude de penser que Spiritualized devait s’apprécier en faisant fi d’un songwriting peu affûté voire carrément hasardeux (cf. les plages neurasthéniques ou bruitistes de Ladies And Gentlemen…) Sweet Heart Sweet Light se montre passionnant de bout en bout. Les défauts restent les mêmes que sur tout disque de Spiritualized, c’est parfois mou et ennuyeux ("Headin’ For The Top Now") et Jason Pierce a le charisme vocal d’une tortue sous Valium. Pourtant tout cela est minoré par rapport aux autres disques du groupe tant les chansons sont supérieures à bien des productions de Spiritualized. Inespéré on vous dit.