Rick Wakeman
The Six Wives of Henry VIII
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1- Catherine Of Aragon / 2- Anne of Cleves / 3- Catherine Howard / 4- Jane Seymour / 5- Anne Boleyn 'The Day Thou Gavest Lord Hath Ended' / 6- Catherine Parr
La période qui sépare Relayer (1974) de Going for the One (1977) est connue par les fans de Yes comme celle où les membres du groupe tracent leur propre chemin avec des albums solo. Pour Jon Anderson, ce fut Olias of Sunhillow (1976), pour Steve Howe la guitare fusa sur Beginnings (1975) et Chris Squire développa son jeu de basse sur Fish Out of Water (1975).
Il y avait néanmoins un musicien éminent de cette formation culte du rock progressif qui avait commencé sa discographie quelques années auparavant, le claviériste Rick Wakeman. En effet, dès 1973, il avait offert au monde un album-concept sous le titre de The Six Wives of Henry VIII (pour les plus pointilleux, on oubliera Piano Variations sorti en 1971 que le pianiste rejette).
S’il s’agit bien d’un album solo, Wakeman s’entoure de nombreux musiciens pour l’accompagner, dont un bon nombre de camarades issus de Yes (Howe, Squire, Bruford, White), une collaboration qui culmine avec la présence d’un extrait de l’album dans le premier live du groupe, Yessongs (1973). On a connu pire en matière de promotion.
The Six Wives of Henry VIII nous plonge dans l’Angleterre du XVI siècle, à la cour du roi Henry VIII, connu pour ses six mariages et sa cruauté envers certaines de ses épouses qu’il fit exécuter. Chacun des six mouvements de l’opus correspond à une des femmes du monarque, avec comme fil conducteur la place accordée aux différents claviers emblématiques des 1970’s, de l’orgue Hammond au Mellotron en passant par le Minimoog et autre clavecin électrique. Cela donne à l’œuvre une sonorité très progressive et très datée, ce qui ne l’empêche pas d’être assez remarquable, à condition d’apprécier la musique purement instrumentale.
Dès "Catherine of Aragon", on se retrouve plongé dans du rock progressif rigoureux à la Emerson, Lake & Palmer, entre des lignes mélodiques puissantes et heurtées, et de véritables renvois à l’écriture classique. Wakeman se permet également des expériences sonores propices à des moments cosmiques quand il utilise judicieusement la palette de ses divers instruments. L’ultime "Catherine Parr" est également exemplaire en matière de rock progressif en s’inscrivant purement dans l’esthétique symphonique du genre, veine ELP ou Beggars Opera – c’est peut-être le mouvement le plus réussi de l’opus.
Les musiques savantes sont fortement mobilisées, que ce soit le baroque sur "Jane Seymour", proche de certaines toccatas de Bach, ou le romantique sur l’exceptionnel "Catherine Howard" (il y a quelque chose des Saisons de Tchaïkovski). Sur ce titre, on retrouve ensuite des sons analogiques qui font toute la saveur de l’époque, ainsi qu’un clavecin westernisant (comme un pastiche des pièces humoristiques d’ELP), qui en font un morceau très riche et varié, donc d’autant plus intéressant. "Anne Boleyn" de son côté regarde davantage vers les musiques savantes du XXème siècle, et s’avère le plus abrupt de la collection.
Tout, bien sûr, n’est pas absolument brillant et "Anne of Cleves" s’avère assez convenu. Wakeman n’est pas le seul claviériste progressif à tenter l’aventure en solo en 1973, et ce titre évoque le travail contemporain de Greenslade, avec parfois quelques aspérités latin-jazz (les percussions centrales) et même s’il est virtuose, le long solo manque d’aspérités.
Si l’album peut être considéré comme un témoignage de la démesure et de la grandiloquence de Rick Wakeman, il illustre également des talents immenses du musicien et d’une empreinte sonore aussi variée que typiquement progressive. Dans la catégorie instrumentale, peu d’œuvres progressives avaient atteint un tel niveau en 1973.
À écouter : "Catherine Howard", "Catherine Parr"